Le paradoxe Jayson Tatum

Après la remise du trophée de MVP des finales de conférences à Jaylen Brown, le débat sur Jayson Tatum et son leadership continue. Lors des finales de conférence Est, les Celtics ont disposé des Pacers 4-0 avec un Jaylen Brown logiquement récompensé du trophée de MVP. Si on peut débattre de la valeur du trophée de MVP des finales de conférences, la définition de MVP reste la même : Il est le meilleur joueur. A Boston, il ne fait aucun doute que le meilleur joueur est Jayson Tatum. Il est le franchise player de cette équipe, le joueur le plus talentueux. C’est le cas depuis plusieurs saisons maintenant. Pourtant, il est celui que l’on a pointé du doigt lors de la défaite des C’s en finales 2022 face aux Warriors.

A contrario, il est le recordman de points lors d’un game 7 avec ses 51 pts inscrits l’année dernière en demi-finales de conférence. Patron d’une équipe qui a outrageusement dominé la saison régulière, Jayson Tatum n’a terminé que 6ème du vote pour le MVP. Tant de contrariétés qui entourent Jayson Tatum depuis quelques temps et qui ne cessent d’interroger sur le joueur et le leader qu’il est. Vous l’aurez compris, nous allons plonger au cœur du paradoxe Jayson Tatum.

Les finales 2022 : un déclic

Je vous propose de revenir au mois de Juin 2022. En même temps que la planète NBA saluait le retour des Warriors au sommet, Jayson Tatum se faisait lyncher de tous les côtés pour ses finales ratées. Les finales NBA, c’est le moment où les grands joueurs doivent faire la différence. Alors que les Celtics menaient 2-1, les Warriors ont renversé la vapeur et Jayson Tatum a progressivement disparu. Boston n’avait plus de réponse face à une équipe des Warriors qui avait l’expérience et surtout ; le meilleur joueur de la série.

Statistiquement parlant, ce n’est peut-être pas digne de finales NBA de franchise player mais ce n’est pas hors sujet non plus : 21.5 points, 7.0 assists, 6.8 rebonds, 36.7% au shoot global et 45.5% à 3 pts. En plus d’avoir disparu, le scenario le dessert complètement. JT s’est écroulé alors que les Celtics menaient. Cela peut s’expliquer en mentionnant l’inexpérience de finales NBA pour le leader des Celtics. On peut ajouter que les Celtics n’étaient pas attendus à ce stade-là de la compétition avec un début de saison difficile et que des doutes subsistaient au sujet de la paire Tatum-Brown ; les joueurs sur lesquels le projet des Celtics est basé.

Pour une équipe que l’on attendait pas en finales face à un adversaire qui en avait l’expérience, certaines critiques ont été légèrement démesurées; particulièrement envers Tatum. Les règles du jeu sont malheureusement différentes à Boston. Ces finales ont malgré tout fait passer un cap au leader des Celtics. De 26,9 pts de moyenne en saison régulière 2021-2022, il est passé à 30,1 pts/matchs la saison suivante.

Il est aussi passé de 45,3% au shoot à 46,6% ; de 6,2 lancers francs tentés à 8,4 par matchs et de 8 à 8,8 rebonds. Idem en playoffs où son nombre de points passe de 25,6 à 27,2, de 6,7 à 10,5 rebonds, de 42,6 à 45,9% au shoot et de 80 à 87% de réussite aux lancers. Les finales 2022, bien que ratées, ont définitivement fait passer un cap à JT. Si on regarde de manière plus globale, les campagnes de playoffs de Jayson Tatum ont toujours été de haut niveau. En attestent ses 18,5 pts par matchs en playoffs en tant que rookie. Il rate sa campagne de playoffs sophomore (15,2 pts), mais il a su revenir métamorphosé l’année suivante avec 25,7 pts de moyenne en 17 matchs. Il sait rebondir après un échec. Il échoue en finales à 24 ans !

A quel âge Jordan a gagné son premier titre ? 27 ans. A quel âge LeBron a gagné son 1er titre ? 28 ans. Cette année, Jayson Tatum a fêté ses 26 ans. Il entre dans son prime et a déjà engrangé beaucoup d’expérience en ayant participé aux playoffs tous les ans depuis sa draft ainsi qu’une fois aux finales NBA. C’est maintenant que sa capacité à faire gagner peut réellement être évaluée ; et nous avons déjà quelques éléments de réponses.

MVP de la meilleure équipe

En Septembre 2023, Brad Stevens enflammait la planète NBA en faisant signer Kristaps Porzingis et Jrue Holiday dans le Massachussetts. Quelques mois plus tard, Brad Stevens est logiquement élu « Executive of the year » après que son « big 5 » composé donc de Jrue Holiday, Derrick White, Jaylen Brown, Jayson Tatum et Kristaps Porzingis ait bouclé la saison régulière avec – de très loin – le meilleur bilan de la ligue : 64 victoires en 82 matchs.

Ces dernières années, à chaque fois qu’une équipe a atteint la barre des 60 victoires, elle a placé un candidat au MVP dans les 3 places finales minimum. Cette saison, Jayson Tatum (annoncé parmi les candidats au titre de MVP en début de saison) n’a terminé que 6ème. La dernière fois que quelque chose de similaire s’était produit, c’était avec les Warriors de 2017. Cette équipe réunissait Stephen Curry, Klay Thompson, Kevin Durant & Draymond Green. Rien que ça. Les Warriors avaient remporté 67 victoires. Cette année-là, Stephen Curry avait fini 6ème et Kevin Durant avait même fini seulement 8ème alors qu’il était élu MVP des finales quelques semaines plus tard.

Ce que l’on peut conclure de tout cela, c’est que être un MVP dans des équipes avec de telles force de frappe, c’est très dur. Cela n’enlèvera pas à Tatum, le fait qu’il a été le MVP de cette équipe. Il a terminé meilleur marqueur (26,9 pts par match) de la meilleure attaque de la ligue et il a aussi terminé meilleur rebondeur (8,1) de la 2ème meilleure équipe au rebond de la ligue. Dans toutes les stats principales, Jayson Tatum est soit leader, soit dans le top 3 de son équipe (sauf pour les contres). Selon Statsmuse, il a terminé la saison avec le 2ème meilleur différentiel cumulé de la ligue derrière Nikola Jokic, le MVP de cette saison. Jayson Tatum a été le patron de la meilleure équipe de la ligue.

Sa ligne de stats sur cette saison régulière est de 26,9 pts/matchs, 8,1 reb, 4,9 ast, 1 interception, 47.1% au shoot et 37.6% à 3pts.

Sur ces playoffs, Tatum est moins efficace en attaque mais se met davantage au service du collectif avec 26.0 pts, 10.4 reb, 5.9 ast 1.1 steal, 44.2% shoot, 29% à 3pts. Il est le leader de son équipe en points, rebonds et passes décisives sur cette postseason.

Venons-en donc au sujet périlleux de ces finales de conférence. Sur ces finales, les stats de Tatum ont été meilleures que celles de Jaylen Brown. Tatum a tourné à 30,3 pts, 6,3 ast et 10,3 reb par matchs. Jaylen Brown a, lui, tourné à 29,8 pts de moyenne, 5 rebonds et 3 ast/matchs. Cependant, les pourcentages de Tatum sont moins bons que ceux de Brown. Il faut tout de même préciser que, comme un leader, Jayson Tatum a logiquement pris plus de shoots. Il est à 23,7 tentatives par matchs pour 46,4% de réussite au shoot global et 29,1% de réussite à 3pts. Jaylen Brown a pris 21,7 tirs en moyenne et n’est jamais descendu en dessous des 50% de réussite. A 3pts, il était à 33,7% de réussite. L’écart n’est pas des plus conséquents et c’est sans doute cela qui a joué en faveur de Jaylen Brown. Pas beaucoup d’écart en terme de tentatives, plus de régularité au scoring et des actions clés comme le buzzer beater au Game 1 qui arrache la prolongation. Cela ne veut pour autant pas dire que Tatum a raté ses finales de conférences.

Ses stats sont meilleures et montrent encore une fois son volume de jeu conséquent. Il faut aussi préciser que le pourcentage à 3pts est à prendre avec des pincettes avec les Celtics car c’est l’équipe qui prend le plus de tirs à 3pts de la ligue. C’est leur jeu. Sur ces playoffs, ils en tentent 39,8 par matchs ! La 2ème équipe est à 35,7 ! L’ironie du sort, c’est que même avec des pourcentages plus faibles que ceux de son comparse, le différentiel de Tatum est meilleur. Il est à 8,75 et Jaylen Brown à 6,75. Brown a brillé par ses prises d’initiative offensives et a réalisé des actions importantes, il mérite ce trophée de MVP. Pourtant, si le trophée de MVP récompensait seulement le joueur le plus « valuable », les stats de Jayson Tatum feraient pencher la balance en sa faveur. Cependant, nous savons tous qu’il n’est pas uniquement question de l’aspect valuable et, quelque part, heureusement. En effet, si Tatum est le joueur le plus valuable de son équipe, d’autres aspects rentrent en compte pour un MVP.

Jayson Tatum : un Leader différent ?

La conclusion de ces finales de conférence, c’est que même avec des stats de MVP, Jayson Tatum n’est pas élu MVP. Est-ce un complot ? N’allons pas aussi loin. Revenons à la comparaison avec les Warriors et plus précisément à Stephen Curry. Ce dernier fut élu MVP en 2015 avec 23 pts de moyenne par match. Oui oui, 23 pts. Rappelons aussi les 7,7 ast de moyenne. Ce qui a fait pencher la balance en sa faveur, c’est la nouveauté du phénomène. Personne n’avait shooté autant à 3 pts en étant aussi régulier. Stephen Curry est devenu un phénomène. Les Warriors avaient, en plus, réalisé une meilleure saison que les Celtics (67 victoires pour 15 défaites).

Prenons aussi le cas de Jaylen Brown sur ces finales de conférence. Qu’avait-il de plus sur ce tour de playoffs ? De meilleurs pourcentages (certes), mais surtout des actions marquantes. Ce que l’on peut conclure de tout cela, c’est que l’impression visuelle compte aussi beaucoup. L’aspect « valuable » de Tatum n’est plus à prouver. En revanche, son aspect dominant est moins évident à percevoir. Du moins cette année. L’année dernière, l’équipe des Celtics était plus « normale ». Tatum performait donc plus comme un franchise player « classique » d’une très bonne équipe. Il tournait à 30,1 pts/matchs ; 8,8 reb ; 4,6 ast et 1,1 interception par match. Cette année, avec un 5 majeur plus fort, Tatum a moins besoin de prendre les choses à son compte. Il crève donc moins l’écran mais en profite pour faire profiter son équipe de toute sa palette technique.

Alors oui, en étant franchise player, la coutume veut que Tatum aurait du prendre les gros shoots que Brown a pris sur ces finales. Cependant, si les Celtics n’avaient pas un joueur qui influe autant sur le jeu que Tatum, le niveau de performance qu’a atteint Boston cette saison n’aurait pas été possible. Encore une fois, il a été le plus influent de son équipe. Si vous ne savez pas ce que donne un Tatum qui prend les choses à son compte, demandez aux Sixers. Ils s’en rappellent sûrement encore. Il est évidemment attendu sur ces finales NBA. Maintenant, il a de l’expérience, une équipe taillée pour gagner et le talent. Alors rendez-vous le 6 juin.