C’est l’histoire d’un gamin qui avait un rêve. Celui de suivre les pas de son idole Michael Jordan et de jouer en NBA. Ce rêve, Tony Parker, qui s'apprête à entrer au Hall of Fame ce weekend, en a fait une réalité. Un conte merveilleux pour lui, pour ses milliers de supporteurs et de passionnés de balle orange ainsi que pour le basket français. Ce rêve, c’est donc son histoire. Une histoire qui a bien failli ne jamais commencer.
Parce qu’avant de devenir un pionnier, une icône et un Hall Of Famer dont le numéro 9 a été retiré par les San Antonio Spurs, TP était un jeune homme très talentueux, ambitieux mais qui avait encore tout à prouver de l’autre côté de l’Atlantique.
Un petit meneur de 19 ans quasiment inconnu des Américains. Il faut resituer le contexte. Nous sommes au début des années 2000 et les internationaux sont à peine plus d’une trentaine – et encore c’était déjà un bond par rapport à la décennie précédente ! – dans la ligue la plus relevée et la plus médiatisée du monde.
Tony Parker-The Final Shot : son réalisateur nous raconte le docu événement
Style de jeu, langue, mentalités, méthodes… le fossé entre la NBA et les championnats européens était bien plus grande que l’océan qui sépare les deux continents. Les recruteurs US ne squattaient pas les sols français, espagnols ou russes comme ils le font aujourd’hui. Personne n’imaginait alors qu’un joueur du Paris Basket Racing puisse un jour marquer l’Histoire aux Etats-Unis. Après rongé son frein dans l’ombre de Laurent Sciarra, cadre des Bleus et médaillé olympique à Sidney, le jeune Parker est bombardé à la mène de l’équipe de la capitale au coup d’envoi de la saison 2000-2001.
Ses performances ont attiré l’attention de quelques franchises. Dont les Spurs, champions en 1999. Et à peine sorti de l’adolescence, le prodige formé à l’INSEP a décidé de se présenter à la draft bien plus tôt que ce qu’il l’avait prévu initialement. Le rêve est devenu un objectif.
Il est donc parti à l’aventure à l’autre bout du monde. Avec l’ambition de convaincre une organisation de miser sur lui. Première étape du trajet à San Antonio, Texas. Là où tout aurait pu s’arrêter très rapidement. Parce que si l’histoire est si belle aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle a débuté… sur un échec cuisant.
« Mon premier workout avec une équipe NBA était un désastre. J’étais terriblement nul. Et quand ça s’est terminé, j’ai pensé qu’il en était de même pour mes rêves de jouer en NBA », racontait l’intéressé dans sa longue colonne pour The Player’s Tribune en août 2018. Sous les yeux de Gregg Popovich, le coach, et de R.C. Buford, le GM, le Français s’est fait balader : « Ils avaient fait venir Lance Blanks, un ancien joueur NBA, pour mener mon workout. Il m’a complètement dominé. »
Au point où l’entraîneur a coupé la séance après seulement dix minutes. Voilà. Terminé.
Mais le coach des éperons s’est toujours reposé sur ses principes. Il était persuadé d’avoir vu un basketteur prometteur. Alors il lui a donné une deuxième chance. Cette fois-ci, Tony Parker s’en est mieux sorti. Toujours opposé à Banks, il a tenu le choc. Quelques semaines plus tard, San Antonio l’a sélectionné en vingt-huitième position à la draft. L’histoire pouvait donc continuer. Tout est allé si vite ensuite.
Tony Parker, un petit Français dans l'Histoire de la NBA
Le 3 novembre 2001, pour son troisième match en NBA, TP cumulait 15 points et 6 passes décisives en sortie de banc. Quelques jours plus tard, Popovich a pris la décision de le lancer dans le cinq majeur. Pop. Faire confiance à un rookie. Après seulement cinq rencontres. Le Français a sauté le vétéran Antonio Daniels dans la rotation et il a soudainement eu pour mission d’alimenter Tim Duncan et David Robinson en ballons dans la raquette. Aux Spurs, l’une des meilleures équipes de la ligue. Incroyable.
Le 6 novembre, à l’occasion d’un duel contre Orlando, il est devenu le plus jeune meneur titulaire de l’Histoire de la NBA. Plus de 1200 autres ont suivi, saisons régulières et playoffs inclus, sous la tunique noire et blanche de San Antonio. Un maillot, le numéro 9, qui va donc être retiré au plafond de l’AT&T Center cette nuit. Un hommage réservé aux plus grands. C’est la place qu’il occupe dans le basket. Ici et là-bas. Une récompense logique après avoir compilé quatre titres, un trophée de MVP tout en étant six fois All-Star.
Aujourd’hui, son nom est sanctifié à Fort Alamo. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Les supporteurs texans ne croyaient pas vraiment en lui.
« On ne lui faisait pas confiance au début. On l’aimait bien mais on ne lui faisait pas confiance parce qu’il ne savait pas shooter », écrivait Shea Serrano, journaliste, écrivain et surtout grand fan des Spurs, dans un article pour The Ringer.
La confiance de Popovich avait aussi ses limites. Pourtant, les premières sorties de Tony Parker lors des matches les plus importants sont surprenantes. Pour ses premiers playoffs, il a joué les yeux-dans-les-yeux avec Gary Payton, icône NBA, en 2002. Il n’a pas été dominé alors qu’il affrontait l’un des meilleurs joueurs de la ligue à son poste. 17,2 points de moyenne sur une série gagnée in-extremis – 3-2, le premier tour se jouait au meilleur des cinq manches à l’époque – contre les défunts Seattle Supersonics. Avec même deux pointes au-dessus des 20 unités.
Il est ensuite aligné plus de 38 minutes par match lors du second tour contre les Los Angeles Lakers. Mais les Spurs sont expédiés 4-1 et le jeune homme a fait preuve de maladresse sur les deux dernières rencontres (11 sur 29 aux tirs).
Back-up de Speedy Claxton dans le money time
Pop a alors agi en conséquence. Pendant un moment, Parker était le meneur des Spurs… jusqu’au dernier quart temps. Car il est souvent scotché sur le banc lors des fins de rencontres serrées en playoffs. Speedy Claxton ou Steve Kerr prenaient alors le relais. C’était notamment le cas lors des finales NBA 2003. Claxton était sur le parquet quand San Antonio a passé un 19-0 à New Jersey pour décrocher le deuxième titre de son Histoire. Le premier pour la nouvelle idole du basket tricolore.
L’émotion était trop forte et rien ne pouvait alors gâcher la fête. Pas même les rumeurs d’une éventuelle arrivée de Jason Kidd. Maître à jouer des Nets, Kidd était alors la référence absolue à la mène en NBA au début des années 2000. Et malgré la présence d’un jeune meneur en pleine ascension, les Spurs étaient déterminés à recruter le joueur All-Star, free agent en 2003.
Ça ne s’est pas fait. Kidd est resté dans le New Jersey. D’autres spéculations ont agité les premières années de la carrière de TP9. Parfois impliquant Chris Paul. Voire même Devin Harris. Des épreuves qui ont endurci le mental du jeune homme. Puis il est devenu un joueur incontournable. L’un des meilleurs basketteurs du monde. Le plus véloce en NBA. Rick Fox, chien de garde des Lakers chargés de lui mettre des brins a dit qu’il était « impossible de dégommer un gars que l’on n’arrive pas à attraper. »
Tony Parker s’est imposé comme l’un des trois cadres des Spurs. Le fameux trio formé avec Tim Duncan et Manu Ginobili. Ensemble, ils ont donc gagné quatre bagues. Un premier en 2003. Un deuxième en 2005, cette fois-ci contre les Detroit Pistons. Une série engagée jusqu’au bout, avec une victoire au terme d’un septième match.
Tony Parker, pionnier du basket français... et européen
Si le sacre de 2003 était surtout l’œuvre de Duncan, celui de 2005 est marqué par les chevauchées fantastiques de Ginobili, cheveux au vent – et ce même s’il ne sera pas élu MVP des finales. L’heure de Tony Parker est arrivée deux ans après. En 2007. La consécration individuelle en plus d’un nouvel accomplissement collectif. Opposés à un très jeune LeBron James, les éperons n’ont pas tremblé une seule fois contre les Cavaliers. Un coup de balais, 4-0.
Le meneur des Texans s’est baladé pendant toute la série face à des joueurs de seconde zone comme un Eric Snow vieillissant, Daniel Gibson et compagnie. 24,5 points de moyenne. Et un trophée de MVP des finales, une grande première pour un joueur européen.
Il tient d’ailleurs d’autres records réservés aux ressortissants de son continent. Ses 55 points en 2008 – sa meilleure performance en carrière aux points – restent le plus gros carton réalisé par un basketteur européen en NBA. Même Dirk Nowitzki ou Pau Gasol n’ont pas fait mieux. Luka Doncic et Giannis Antetokounmpo n’y sont pas non plus (pas encore ?) parvenus.
Ce soir de novembre 2008, le 5, le Français a complètement pris feu contre les Minnesota Timberwolves. 55 points à 22 sur 36 aux tirs avec 7 rebonds et 10 passes pour une victoire en prolongation (129-125). La première de la saison pour les champions en titre qui restaient alors sur trois défaites de suite. Le patron a pris les choses en mains.
« Je voulais tellement gagner. Tout le monde sait que je peux faire ce que je veux quand je mets mes tirs. Et ce soir était l’un de ces matches où tout fonctionne », témoignait la star de San Antonio après sa prestation étincelante.
En effet, Tony Parker a planté plusieurs tirs à mi-distance sur cette partie. Parce qu’il a beaucoup bossé cet aspect du jeu depuis son arrivée en NBA. Le petit meneur qui ne pouvait pas shooter a disparu, à force de travail avec l’assistant Chip Engelland, spécialiste de la discipline. Il a laissé place à un scoreur ultra rapide au premier pas dévastateur. Et quand ses vis-à-vis faisaient le choix de reculer sur les picks-and-roll, il les punissait avec des ficelles à six mètres du panier. L’arsenal digne d’une superstar parmi les meilleurs joueurs du monde.
Parce qu’après 2007, et jusqu’à l’avènement de Kawhi Leonard bien plus tard, il s’est affirmé comme le chef de file de San Antonio. Une période un peu moins victorieuse pour la franchise sur le plan collectif. « Victorieuse » entre guillemets parce que tout est relatif. Moins victorieuse à l’échelle du succès des Spurs. Une finale de Conférence en 2008, deux éliminations au premier tour, une au second et une autre finale de Conf’ en 2012. Puis un retour en finales en 2013.
Et quelles finales ! Elles ont commencé de la meilleure manière pour les hommes de Gregg Popovich. Ils sont allés s’imposer sur le parquet du Miami Heat lors du Game 1. Avec TP en meilleur scoreur de la partie ! Il a inscrit 21 points.
Tony Parker ne jouait pas pour l'argent, mais pour être le meilleur du monde
Un game winner légendaire en 2013
Surtout, Tony Parker a assuré le succès des siens. Avec la manière. Les Spurs menaient encore de deux points à 17 secondes de la fin du match. Tony a hérité de la gonfle à 9 secondes de la fin de l’horloge des 24. Il ne l’a plus lâché. Défendu coup sur coup par Chris Bosh, LeBron James, Dwyane Wade puis à nouveau LeBron, il est allé d’un coin à l’autre du terrain sans trouver d’ouverture. Il a perdu le contrôle de la balle, et même brièvement l’équilibre. Mais il a été suffisamment agile pour la conserver tout en se relevant malgré la pression du King.
Puis il s’est retourné pour se mettre face au panier, effaçant du même coup James en pivotant. Juste le temps de tirer et de marquer avec la planche au buzzer de la fin de possession. La balle a rebondit sur le cercle avant de rentrer.
« Nous avons eu de la chance. Des fois c’est ce qu’il faut pour gagner des matches », résumait Tony, héros de la rencontre. La suite fut plus délicate. Les deux équipes se sont rendu coups sur coups. Miami a pris le Game 2 et le Game 4, avec une victoire de San Antonio entre temps. 2-2, balle au centre avant un Game 5 décisif à l’AT&T Center. Ce match clé, les Spurs l’ont gagné de dix points (114-104).
La rencontre a été marquée par la performance de Manu Ginobili, titularisé à la surprise générale après des prestations médiocres de l’Argentin. Il a inscrit 24 points ce soir-là. Mais qui a encore une fois fini meilleur scoreur du match ? Parker, évidemment. Avec 26 points à 10 sur 14 aux tirs. Les Spurs ont donc attaqué le Game 6 avec deux occasions de tuer la série et de décrocher un nouveau titre.
Ce fameux Game 6. L’un des plus fous de l’Histoire des finales. Aujourd’hui, ce choc d’anthologie tient sa réputation en raison du panier dingue de Ray Allen, qui a arraché la prolongation sur la dernière possession du temps réglementaire alors que les officiels NBA préparaient déjà le trophée pour San Antonio. Mais avant ça, peu nombreux sont ceux qui se souviennent que c’est Tony Parker qui avait mis son équipe au contrôle ! Avec un sacré culot.
Pas réputé pour son tir à trois-points, il avait planté un panier primé plein d’audace, un step-back sur la truffe de LeBron James, pour égaliser à 89-89 à moins d’une minute trente du buzzer ! Dans la foulée, c’est encore lui qui marquait pour donner l’avantage à San Antonio. En vain, puisque Miami a finalement remporté ce Game 6 et le Game 7 deux jours plus tard. Une défaite cruelle. « Ah ben bien sûr, c’est mon pire souvenir en NBA », avouait Tony à Basket-infos. « Parce qu’on passe à 28 secondes d’un titre et ça fait mal. C’est la plus grosse défaite de ma carrière. »
La plus grosse défaite… avant sa plus belle victoire. Parce que ce triste souvenir a été la base de l’un des sacres les plus marquants de ses vingt dernières années. Nombreuses sont les équipes qui se seraient écroulées après un revers aussi rageant. Mais pas ce groupe. Même vieillissants, les Spurs ont trouvé les ressources pour revenir encore plus forts ensuite. Ils ont retrouvé le Heat dès l’année suivante. Et ils leur ont donné une leçon de basket.
Boostés par l’envie de prendre leur revanche, portés par un Leonard qui commençait seulement à prendre conscience de ses supers pouvoirs et enchantés par un jeu de passe merveilleux, les éperons ont fait une démonstration sur l’ensemble de ces finales 2014.
2014, la consécration de toute une carrière
« Je dirais que 2014 était le plus grand de ma carrière. Parce qu’on arrivait à la fin et j’ai pu apprécier chaque moment. Je me souviens que j’avais fait venir tous mes amis et toute ma famille parce que je me suis dit que ce serait sans doute la dernière fois. » Révoltés, les Spurs ont dominé le « Big Three » floridien sur ces finales. L’un des plus beaux succès de tous les temps. D’une certaine manière, c’était l’apogée pour un autre trio, celui de San Antonio. Pas en termes de niveau de jeu. Mais plutôt une consécration d’une magnifique aventure commune entre Tim Duncan, Manu Ginobili et Tony Parker.
"I really enjoyed every moment of 2014." - @tonyparker#MerciTony pic.twitter.com/B7w0UOETPz
— San Antonio Spurs (@spurs) November 10, 2019
Parce que peut-être que c’est surtout ça, la carrière du plus grand basketteur français. Des rencontres. Des titres, des trophées, des grands moments, des portes ouvertes pour les Européens et les joueurs de l’Hexagone (28 français ont été draftés après lui). Mais avant tout des rencontres. David Robinson. Gregg Popovich. Bruce Bowen. Manu Ginobili. Tim Duncan. Des amis qui seront présents lorsque le numéro 9 entrera au Hall of Fame. Des collègues devenus des frères. « Tout ce qu’on voulait au final, c’était de gagner des titres ensemble. C’est ça qui comptait. » Mission accomplie.
Tim Duncan émouvant pour parler de Pop, « un être humain exceptionnel »