Steve Kerr fête ses 57 ans aujourd'hui. On vous propose, grâce à ce portrait paru dans le numéro 51 de REVERSE en 2015, de connaître un peu plus en profondeur l'histoire, marqué par des drames, mais aussi une force mentale phénoménale, de celui qui est devenu l'un des meilleurs coaches de tous les temps en NBA avec les Golden State Warriors.
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Lorsque l’on est novice, refuser le premier rôle d’une pièce sur la plus belle scène qui soit n’est pas chose facile. Surtout quand celui qui vous le propose est l’un de vos mentors et accessoirement l’homme le plus titré et respecté de la profession. Mais Steve Kerr n’est pas homme à signer aveuglément en bas de la feuille sans regarder attentivement ce à quoi il s’engage. C’est peut-être justement parce qu’il connaissait parfaitement Phil Jackson qu’il savait que ce job chez les Knicks, qu'il a décliné à la surprise générale avant d'atterrir dan la Bay Area en 2014, sentait le souffre et serait tout sauf épanouissant.
Plutôt que d’être la marionnette d’un homme et de son système, aussi légendaires soient-ils, il a donc choisi la Californie et la succession de Mark Jackson à Golden State. Trop inexpérimenté, trop soft, pas assez tacticien dans l’âme. Voilà ce que le natif de l’Arizona a entendu à peine après avoir posé les pieds à Oakland. D’autres l’ont taxé d’arrogance, estimant que passer outre l'offre du « Zen Master » était une folie.
Une meilleure connaissance du personnage et de son parcours aurait pu inciter ses détracteurs à plus de mesure envers celui qui se positionne déjà comme l'un des meilleurs coaches du 21e siècle en NBA.
L’absence d’un père abattu par des terroristes
25 février 1988. Les Wildcats d’Arizona se rendent sur le parquet de leur voisin d’Arizona State, à 130 km de leur camp de base de Tucson, dans la ville de Tempe. Steve Kerr, senior de l’équipe NCAA alors coachée par Lute Olson, s’échauffe comme de coutume avec ses coéquipiers avant ce derby toujours très attendu dans l’état du Grand Ouest. Depuis les travées de l’Activity Center, une quinzaine de « supporteurs » des Sun Devils scandent alors à son intention des « Where’s your dad ? » et des « PLO » (le sigle de l’Organisation de Libération de la Palestine - ndlr).
Beaucoup de joueurs auraient dégoupillé, dans un sens ou dans l’autre, refusant de jouer le match ou fonçant tête baissée dans le groupe d’étudiants pour en amocher le plus possible. Pas Steve Kerr. Après avoir essuyé quelques larmes, le jeune meneur calme les décérébrés qui l’entourent en inscrivant 22 points à 6/6 à trois-points contre le rival honni.
« C’est tout Steve, ça. Il n’allait pas se ruer dans les tribunes pour dégommer ces idiots. Il a préféré ruiner leur soirée en gagnant le match », raconte Andrew, son plus jeune frère, présent dans la salle ce soir-là.
Quatre ans et un mois plus tôt, Malcolm Kerr, 52 ans, était froidement abattu d’une balle dans la tête à quelques mètres de son bureau de l’Université Américaine de Beyrouth, au Liban, par deux membres du Hezbollah. Président de l’établissement et père de cinq enfants tous nés au Proche-Orient, c’était un homme respecté et apprécié dans la région pour sa connaissance et son amour de la culture locale. C’est accessoirement lui qui a cru en son troisième fils et fait en sorte qu’il puisse passer un essai pour intégrer l’université d’Arizona et son équipe de basket.
John Kerr, l’aîné de la fratrie, se rappelle du jour où son père a pu voir en vidéo le premier match de Steve en NCAA.
« On a pu se procurer une cassette de la rencontre filmée depuis les tribunes. Le problème, c’est que l’équipe avait trois joueurs blonds à ce poste… On a finalement réussi à distinguer lequel était Steve et le voir inscrire quelques points. Je pense pouvoir dire que ça a été l’un des plus beaux moments de la vie de mon père, vu la fierté qu’il y avait dans ses yeux », se souvient-il sur ESPN.
L’autre temps fort de la vie du patriarche aura été cette célèbre poignée de mains entre Jimmy Carter, Anwar El Sadat et Menahem Begin pour sceller les accords de paix de Camp David entre l’Egypte et Israël en 1978. Cette connaissance de « l’étranger » et cette ouverture sur le monde que Malcolm a transmise à ses enfants n’a pourtant pas grand-chose à voir avec le succès qu’a connu Steve par la suite.
Quel que soit son palmarès (cinq bagues de champion), il sera toujours dans l’imaginaire collectif ce petit blanc trop frêle qui fait dire au spectateur lambda « Si lui joue en NBA, pourquoi pas moi ? ». Sauf qu’aucun basketteur de canapé n’aura jamais l’abnégation, le talent et la science du jeu de l’intéressé.
Fréquemment décrit comme un « overachiever », un type qui dépasse les limites que lui accorde initialement son talent, l’actuel coach des Warriors n’a en fait eu que ce qu’il méritait. De ses premières parties contre des adultes au Caire alors qu’il n’avait que 14 ans, à ses bouts de matches sous le maillot des Spurs en 2003, à 38 ans, il a élevé le shoot à trois-points au rang d’art et fait du dévouement à l’utopie collective un leitmotiv. Au point de devenir l’homme de confiance de deux des plus grands gourous du coaching : Phil Jackson et Gregg Popovich.
Steve Kerr explique pourquoi les Warriors seront meilleurs cette saison
Héritier de Pop et du Zen Master
A Chicago, il est passé autant à la postérité pour avoir tenu tête à Michael Jordan au point d’en venir aux mains avec lui lors d’un entraînement, que pour son shoot du titre lors du Game 6 des finales 97 contre le Jazz sur une passe du même Jordan. Ce que les gens savent moins en revanche, c’est le rôle qu’il a joué dans le retour en grâce de Dennis Rodman.
En 97 toujours, Jackson en personne le mandate pour accompagner l’intérieur alors dépressif dans une virée corsée à Atlantic City. Le but ? Lui redonner le moral à la veille d’un match contre les Nets, le tout en veillant bien entendu à ce que « The Worm » ne dérape pas trop et soit en état d’affronter New Jersey le lendemain.
Steve Kerr, dont l’hygiène de vie est jusqu’ici irréprochable, accepte de participer à l’indécente fête pour plaire à son patron et se retrouve à défendre sur Kerry Kittles avec une semi-gueule de bois quelques heures plus tard. Malgré la défaite, il parvient à inscrire trois paniers extérieurs et à limiter l’arrière à 6 points, s’attirant le respect indéfectible de Jackson.
Dans le Texas, où il glane deux nouvelles bagues à quatre ans d’intervalle, le maître des lieux a également été marqué par son passage. Le notoirement taiseux « Pop » n’a ainsi pas tari d’éloges sur son ancien protégé lors de leurs retrouvailles cette saison sur des bancs opposés.
« Il n’y avait aucun doute pour moi. Il y a toujours des gars dans votre équipe dont vous sentez qu’ils ont une vraie intuition pour ce jeu. Steve est un leader naturel qui communique bien et qui possède une intelligence supérieure à la moyenne. Il aime la vie et s’entend bien avec tout le monde. On le sent à l’aise dans ce qu’il fait et bien dans sa peau. Il sait aussi se moquer de lui-même, ce qui est une caractéristique agréable.
Je crois vraiment que c’est un type très spécial. Par contre, je suis sûr qu’il ne comprend pas comment son équipe fait pour défendre aussi bien alors que lui était infoutu de le faire (rires) », a plaisanté le quintuple champion NBA chez Bleacher Report.
La méthode Steve Kerr : communiquer pour mieux régner
Ce qui est finalement assez drôle, c’est que Steve Kerr a passé toute sa carrière en étant considéré comme un type un peu en décalage avec son époque. A la fin de son aventure avec les Bulls, il déclarait même ceci :
« Je n’ai pas vraiment de fans de mon âge. La plupart des gens qui m’apprécient sont des grands-mères qui trouvent que je ressemble vaguement à leur petit-fils, ou des garçons de 8 ans qui s’identifient à moi à cause de mon gabarit ».
Aujourd’hui, il est l’archétype du coach tendance que tout le monde apprécie dans la ligue et que les futurs techniciens chercheront à imiter. Là où Steve Kerr a fait fort par rapport à ses collègues novices, c’est dans la relation qu’il est parvenu à instaurer avec sa star. Stephen Curry était assez proche de Mark Jackson et ne voyait pas forcément d’un très bon œil la venue d’un homme dont les seuls faits d’armes hors du terrain – outre ses qualités de consultant télé hors-pair – se résumaient à une expérience mitigée au poste de General Manager à Phoenix entre 2007 et 2010 et l’encadrement de l’équipe AAU de son fils Nick il y a quelques années…
C’est en lui proposant une partie de golf à l’été 2014 que Steve Kerr a apprivoisé Curry pour lui exposer ce qu’il envisageait au sujet de leur collaboration.
« Je me suis présenté à lui en lui disant que je serai là pour communiquer avec tout le monde de façon très ouverte. Je voulais absolument qu’il soit au centre du projet. Ce groupe est facile à coacher, mais c’est d’abord parce que Steph en est le leader. Le fait qu’il me laisse décortiquer et parfois critiquer son jeu lors des séances vidéo pour l’inciter à progresser a convaincu tout le monde d’accepter les remarques », explique-t-il.
« Je suis réceptif quand un coach hausse le ton ou me critique parce que cela signifie qu’il attend de moi que je sois le meilleur. Avec Steve, il y a un respect mutuel et une cohérence dans le message qui font que ça fonctionne bien. »
On pouvait s’attendre à un jeu up-tempo et avant tout basé sur l’attaque de la part de Steve Kerr. Mais sa méthode est plutôt axée sur un équilibre bien dosé entre des séquences offensives désormais impossibles à suivre pour l’adversaire depuis qu’il a pu enrichir le playbook des Warriors en leur donnant des solutions autres que les isolations à outrance et une rigueur défensive irréprochable, que son prédécesseur avait déjà commencé à mettre en place.
A l'époque, l'un des choix forts du quintuple champion NBA aura été d’imposer Draymond Green et Harrison Barnes dans le 5 de départ tout en ménageant l’égo de David Lee et d’Andre Iguodala. De Curry à Bogut, jusqu’au dernier des remplaçants, la défense sur le pick-and-roll est incroyablement synchrone et plus personne n’est dispensé d’efforts lorsque l’adversaire a le ballon.
L’Australien, ex-numéro 1 de Draft, est lui aussi dithyrambique à l’égard de celui qui « a offert un nouveau souffle à sa carrière ».
« L’impact de Steve est surtout mental. Il donne confiance à tout le monde et personne ne se sent laissé de côté. Les gars se nourrissent du fait qu’il n’y ait pas d’injustice dans ses choix. C’est finalement un mec normal et on n’était pas habitué à ça. »
La communication a également été un point fort immédiat de mandat. Lorsque des fans se sont plaints d’avoir fait le déplacement à Denver pour rien parce que tous les cadres avaient été mis au repos, il a personnellement envoyé un mail d’excuse à chacun d’entre eux en leur expliquant qu’il comprenait parfaitement leur point de vue mais qu’il était impuissant face au calendrier trop chargé imposé par la ligue. Ce côté « nice guy » cultivé sans forcer est probablement ce qui le caractérise le mieux.
Dans ses rêves les plus fous, Steve Kerr n'aurait jamais pensé célébrer un titre avec ses enfants Nick, Maddy et Matthew sur le parquet de l’Oracle Arena quelques mois après ses débuts comme head coach. Encore moins trois titres en cinq ans, en battant le meilleur bilan de l'histoire en saison régulière qu'il avait lui-même contribué à établir avec les Bulls de Michael Jordan...
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Stephen Douglas Kerr
Draft : Sélectionné avec le 50ème pick en 1988 par Phoenix
Equipes : Arizona Wildcats (1983-1988), Phoenix Suns (1988-1989), Cleveland Cavaliers (1989-1992), Orlando Magic (1992-1993), Chicago Bulls (1993-1998), San Antonio Spurs (1999-2001), Portland Trail Blazers (2001-2002), San Antonio Spurs (2002-2003).
Palmarès : 5 fois champion NBA (1996, 1997, 1998, 1999, 2003), Champion du Monde (1986), élu Coach Of the Year en 2016, trois fois champion NBA en tant que coach (2015, 2017 et 2018)
Stats en carrière : 6 pts à 47,9% dont 45,4% à trois-points (le plus élevé de l’histoire), 1,2 rbd, 1,8 pd et 0,5 steal en 17 min
Twitter : @SteveKerr