Penny Hardaway : ce qu’il a été, ce qu’il aurait pu être

Penny Hardaway a 52 ans. Le coup de vieux fait mal, mais c'est l'occasion de se pencher sur ce joueur fabuleux à la gloire éphémère.

Penny Hardaway : ce qu’il a été, ce qu’il aurait pu être

On ne vous parlera pas ici du Anfernee Hardaway qui a alterné le bon et l’insipide à Phoenix, puis s’est morfondu dans le chaos des Knicks d’Isiah avant de finir sa carrière sur le bout du banc du Heat. On ne vous en parlera pas pour la simple et bonne raison que ce joueur est trop différent du Penny Hardaway du milieu des années 90 pour être vraiment la même personne.

Celui dont se souviennent tous les gamins qui n’avaient pas grand-chose de plus que les matches de Canal pour satisfaire leur soif de basket aurait fait des Knicks une équipe respectable et aurait gentiment fait comprendre à Stephon Marbury que sa place était sur la banquette arrière de son 4x4. Le vrai Penny Hardaway aurait ensoleillé Phoenix et ébloui le Madison. Mais ‘The-Artist-Formerly-Known-As-Penny’ n’a passé que quatre ans en NBA avant de connaître une chute aussi brutale que son ascension avait été marquante.

« It’s a small world after all »

Orlando. Ses parcs d’attractions, son climat et… son cul bordé de nouilles ! Avoir le premier choix de la draft quand Shaq s’y présente, c’est déjà beau, mais l’avoir à nouveau l’année d’après quand on vient tout juste de rater les playoffs, ça tient du miracle. À l’annonce du résultat de la lottery, les fans de plus en plus nombreux voient déjà la raquette du futur. O’Neal et Chris Webber ensemble dessous, pour une franchise pleine de shooteurs et qui n’a que quelques saisons d’existence, c’est un rêve qui se réalise.

Mais Webber n’est pas le joueur le plus doué de la draft 1993. Orlando n’a encore jamais joué un match de playoffs de son histoire, mais ses dirigeants savent que le meilleur moyen de gagner un titre, c’est d’avoir un intérieur dominateur et un arrière créateur. L’expérience ratée des Twin Towers aux Rockets (qui avaient aussi eu le premier choix deux ans de suite), comparée au succès du Showtime des Lakers version Magic/Kareem, les pousse à monter un trade avec les Warriors pour choisir leur coup de cœur en lieu et place de « Mister Time Out ».

Penny et Shaq : télé cassée, chantage au Magic et amour durable

Penny n’a pas encore 22 ans et c’est lui, plus qu’Orlando, qui vient de gagner le gros lot en gagnant la chance d’avoir un mastodonte pour lui ouvrir les espaces, un meneur expérimenté (Scott Skiles, par ailleurs recordman NBA d’assists sur un match) pour lui enseigner le métier et une franchise en pleine explosion médiatique pour lui assurer la meilleure exposition possible.

Après des années de galère, Penny Hardaway s’éclate, est élu MVP du tout premier rookie game, devient All-Star pour sa deuxième saison, sort Jordan des playoffs et mène Orlando vers la première finale de son histoire. À 23 ans et deux ans dans la grande ligue, il s’est enfin trouvé un chemin facile.

Penny hardaway VS suns

Sur la route de Memphis

On peut dire que vu ce qu’il a traversé avant de signer son premier contrat pro, ce petit coup de pouce du destin, il le mérite amplement. Sa carrière aurait parfaitement pu ne jamais dépasser sa saison freshman. Une saison blanche à cause de la Proposition 48 (qui éloignait des terrains les joueurs aux notes insuffisantes), devenue noire quand un braqueur lui a mis une balle dans le pied et a bien failli lui en mettre une autre dans la tête.

Issu d’une famille décomposée, élevé par sa grand-mère à qui il doit son surnom et sa survie, Penny Hardaway est un pur produit des rues de Memphis. Peut-être même le gamin le plus doué que les playgrounds de la ville ont vu grandir. Le voir jouer au lycée, déjà, évoque immanquablement des souvenirs de Magic Johnson au même âge. Penny domine de la tête et des épaules – littéralement. On a le sentiment de voir un adulte perdu dans un pick-up game avec des mômes de 12 ans, tellement au-dessus du lot qu’il a du mal à savoir s’il doit tuer le match tout seul ou s’arranger pour impliquer les autres.

En NCAA, bien au chaud à la maison à l’Université de Memphis, il ne laisse pas la Prop 48 freiner sa progression. Il en profite au contraire pour reprendre le contrôle sur ses études. Sa saison sophomore est superbe et lui vaut une place dans l’équipe universitaire mise sur pieds pour servir de cobayes à la Dream Team de Magic. Avec lui, des futurs All-Stars comme Webber, Grant Hill, Allan Houston ou Jamal Mashburn. Contre lui, dix des 50 meilleurs joueurs de l’histoire, la plupart au sommet de leur art.

Les petits jeunes ne se laissent pas faire et infligent aux pros vexés leur seule défaite de l’été. De quoi se rassurer encore un peu sur son niveau de jeu… et enchaîner sur une saison junior révélatrice de son immense polyvalence. Il n’y aura pas de saison senior. Penny Hardaway sait depuis ses premiers pas à la fac qu’il peut jouer n’importe qui les yeux dans les yeux. Il est temps de s’offrir ce petit plaisir.

Voir Riley craquer… et mourir

Le petit plaisir en question n’a jamais été aussi évident qu’au premier tour des playoffs ’97 contre le Heat de Pat Riley. Le Magic vient de passer du statut de future dynastie à celui d’actuel fiasco. Pas-Encore-Gros-Mais-Déjà-Massif Shaq s’est envolé vers L.A. l’été d’avant, Rony Seikaly l’a remplacé tant bien que mal, mais la saison a été chaotique. Anfernee Hardaway est présenté comme le principal responsable du licenciement du coach Brian Hill, et son leadership est friable.

Sans O’Neal, le panthéon statistique lui tendait les bras, mais au lieu de gagner en maturité et d’écraser la ligue de tout son talent, il rate 23 matches et se bâtit la réputation la plus coriace qui soit : celle d’un mec incapable de résister à la moindre pression.

Le premier match est une méchante fessée. 99-64. L’axe Tim Hardaway – Zo Mourning est trop fort, la défense du Heat trop sévère, l’attaque d’Orlando trop limitée. Deuxième match, deuxième taule. La série semble pliée. Dennis Scott et Nick Anderson ne sont plus que des pistoleros sans flingues, Seikaly ne fait clairement pas le poids face à Zo, et Penny s’effondre sous ses immenses responsabilités dans le jeu. Richie Adubato, le coach du Magic, décide alors de replacer Hardaway en 2 pour lui permettre de se libérer en attaque.

Les deux matches qui suivent défient toute logique sportive. Orlando resserre sa défense, tient Miami sous les 80 points, mais surtout Penny Hardaway score 42 points dans le game 3 sur les… 88 du Magic ! Le reste du cinq ne cumule que 6 points à 3/16, mais la série est relancée.

Avec un match comme ça et une victoire inespérée, Penny a sauvé l’honneur, mais ça ne lui suffit pas. Il replante 41 points au match 4 et reçoit enfin un peu d’aide. Orlando revient à 2-2 et force un 5e match décisif que personne n’aurait imaginé cinq jours auparavant. Avec Danny Schayes et Derek Strong dessous, Hardaway vient de mettre plus de 80 points en deux soirs à la défense redoutée de Pat Riley. Un exploit que personne n’avait réalisé jusque-là.

« Si on n’avait pas forcé le game 5 (finalement perdu malgré ses 33 points - ndlr), tous ces vieux trucs auraient refait surface », lâche-t-il à l’époque, revanchard. « Nous avons mis les questions de côté. Maintenant on a le respect qu’on mérite. » Ou plutôt qu’il mérite.

Parce que ce qui impressionne le plus dans son pétage de plombs contre le Heat, ça n’est même pas le fait qu’il ait pu battre Miami à lui tout seul deux fois de suite. Non, c’est la manière, la fascinante facilité avec laquelle il s’est permis d’humilier la meilleure défense du moment, la beauté choquante de son arsenal offensif.

Penny hardaway VS jordan

Le premier de ses deux bijoux lui aura servi à se remettre en confiance pour mieux briller au suivant. Ce game 4 de 1997 est magique. Penny Hardaway est un mélange d’explosivité, d’adresse, de toucher et de grâce comme la ligue n’en a vu que deux : Kobe et Jordan. Eux seuls sont arrivés à autant de maîtrise de leur corps, de leurs appuis et de leurs moves.

Penny est trop fort dos au panier, trop agile en pénétration, trop stable quand il monte subitement prendre un tir extérieur. Ce qu’il a fait subir au Heat, c’est ce que toute la ligue s’attendait à le voir faire tout au long de la saison. Ce qu’il a fait subir au Heat, il ne l’a plus jamais fait subir à personne.

« Un des 5 meilleurs joueurs de cette ligue, facilement… »

Et il ne l’avait pas vraiment montré avant ça. Jamais il n’avait osé montrer à quel point il était fort. À croire que son talent le complexait, le gênait. Penny Hardaway était peut-être trop soft, après tout. Trop gentil. Saoulé d’entendre parler de rumeurs de transfert le concernant, sérieusement freiné par les blessures quelques mois à peine après son explosion contre Miami, il se lâche dans Sports Illustrated :

« On ne parlerait pas de transfert si mon genou n’avait pas été blessé ces dernières années. Dans cette ligue, quand vous jouez bien, on vous traite comme une superstar, et quand vous jouez moins bien vous n’avez plus la même attention. Kobe est en forme en ce moment. Avant, c’était Grant Hill, mais même pour lui les choses se sont gâtées. Les gens disent “Qu’est-il arrivé à Penny ?”.

Mais ça ne m’inquiète pas. Je suis un des 5 meilleurs joueurs de cette ligue, facilement. Et quand je serai enfin remis, je referai parler de moi. »

Il ne s’est jamais vraiment remis. La faute à ses genoux, peut-être. Mais des grands joueurs comme Kobe ou MJ auraient travaillé plus dur que jamais pour revenir à leur meilleur niveau malgré ça. Ils auraient trouvé un moyen de rester compétitifs. Leur rage, leur volonté de dominer quel qu’en soit le prix à payer les auraient tirés vers le haut.

Penny n’a plus jamais été le même joueur. Ses genoux l’ont trahi, son cœur aussi. La carrière d’Hardaway le nostalgique a continué bien trop longtemps pour avoir un sens. Celle, inoubliable, de Penny l’artiste a pris fin au 5e match d’une série irréelle contre le Heat. Après quatre petites saisons. Et sur l’un des plus éblouissants règlements de compte de l’histoire des playoffs.

Penny hardaway end

 

Penny Hardaway mix