Alors qu'il a peut-être disputé ses derniers matches avec les Portland Trail Blazers, Jusuf Nurkic aura tout de même été apprécié de la fanbase et a vécu de bons moments en Oregon. Voici son histoire, telle que nous vous la racontions dans le REVERSE #65.
Quelle serait votre réaction si vous entendiez parler d’un homme de plus de 2,10 m et 180 kilos qui a un jour envoyé quatorze mecs à l’hôpital à lui tout seul lors d’une bagarre ? Peut-être de l’envie. Oui, vous seriez peut-être envieux. Vous auriez envie d’être ce gars-là. C’est normal. Avec une telle force, certaines gifles arrêteraient de se perdre. Mais bon, n’oubliez pas que vous galérez à soulever les quatre-vingt kilos au développé couché, alors défoncer quatorze hommes à mains nues… ça fait peur.
Un homme capable d’une telle performance, c’est quelqu’un qu’il ne faut sûrement pas embrouiller. Vous n’auriez sans doute jamais envie de croiser sa route et encore moins son regard. Tout ça, c’est parce que vous n’êtes pas Enes Trnovcevic, représentant d’athlètes qui a eu un raisonnement complètement opposé au vôtre. Lui, il mourait d’envie de voir la bête. Enfin, il voulait surtout rencontrer… son fils.
L’anecdote complètement dingue sur la façon dont Jusuf Nurkic a été repéré
C’est le tout premier réflexe qu’il a eu en apprenant pour la première fois l’existence d’Hariz Nurkic, officier de police bosnien qui a donc savaté quatorze gus dans une baston. Il a directement voyagé jusqu’à Tuzla, ville de 80 000 habitants situés à une bonne cinquantaine de bornes de la frontière serbe, pour poser au mastodonte la question fatidique : a-t-il un fils béni par son ADN prêt à profiter de ses atouts génétiques pour faire carrière dans le sport pro ? Et bien, devinez quoi, c’est exactement comme ça que Jusuf Nurkic s’est mis au basket.
« Sur une échelle de un à dix, j’étais à moins dix. »
Trnovcevic a fini par repartir de Tuzla avec l’adolescent dans ses bagages. Direction la Slovénie pour le garçon de quatorze balais qui ne parlait même pas la langue locale. Il n’y connaissait pas non plus grand-chose aux subtilités de la balle orange.
« Sur une échelle de un à dix, j’étais à moins dix », raconte-t-il lors d’une interview accordée à The Crossover.
« Je ne savais même pas courir. Je n’avais jamais touché un ballon de basket. J’étais le plus jeune joueur de l’équipe. C’est toute ma vie qui a changé du jour au lendemain.
Je serais un menteur si je disais que je me sentais capable de percer à cette époque. J’ai pleuré presque tous les soirs pendant six mois. »
Et pourtant, quelques années plus tard, le voilà déjà devenu l’un des meilleurs basketteurs de son pays. Parce que s’il pleurait dans les jupons de sa maman Rusmina, par téléphone interposé, le gaillard ne voulait montrer aucun signe de faiblesse à son paternel. Pas le style des hommes de la famille. Alors il a continué. Il s’est entêté, tout cabochard qu’il est.
« J’ai commencé à comprendre ce que cela voulait dire d’être un homme. J’ai arrêté de me dire que la vie était dure, arrêté de penser à rentrer à la maison. »
Et il s’est finalement mis à faire ce qu’il fallait pour mettre à profit ses avantages physiologiques considérables. Il a d’ailleurs pris presque quatre centimètres par an avant de se faire repérer lors du Nike International Junior Tournament à Belgrade. Dans la foulée, à même pas dix-huit balais, il rejoignait le club croate du Cedevita Zagreb, étiqueté Euroleague.
A peine deux ans plus tard et après un détour par Zadar, il débarquait dans le championnat le plus relevé du monde. Le beau bébé de 2,13 m et 127 kilos a été pioché par les Bulls (quatorzième choix en 2014) au grand plaisir de son grand-père, un fermier « qui aime les vrais gros taureaux ». Mais c’est du côté de Denver que sa carrière a débuté – les Nuggets ayant acquis ses droits le soir de la draft.
Jusuf Nurkic alias The Bosnian Beast
Dès le départ, il s’est distingué par sa force physique. A une époque où les intérieurs sont de plus en plus fins et de plus en mobiles, lui est une brute épaisse. En voilà un qui se serait senti très à l’aise dans la NBA des années 90, décennie au cours de laquelle les pivots pouvaient afficher leurs bourrelets et leurs kilos en trop sans pression. C’est justement comme ça qu’il a gagné un surnom : « the Bosnian Beast ».
Il n’a pas non plus tardé à se faire une réputation. Quelques semaines après des débuts intéressants, le garnement collait un block bien viril à Marc Gasol. Dans la foulée, il lançait un regard plein de mépris à l’intérieur All-Star pourtant respecté avant de lui faire un doigt. Badass. Comme papa. La pomme ne tombe jamais très loin de l’arbre après tout.
Mais comme le dit justement LaVar Ball, le fils n’atteint jamais les standards du père quand ils sont trop élevés. Bon OK, là, vous vous demandez certainement ce que LaVar vient faire ici. Mais écoutez donc juste une dernière fois sa théorie. Selon lui, la progéniture d’une très grande superstar est condamnée à ne jamais faire aussi bien que son paternel. Car trop de pression. Le même constat s’applique pour les gangsters. Ou pour les bonhommes.
« Je sais que je peux être un All-Star. Pour moi, il n’y a aucun pivot meilleur que moi. »
Dur à cuire à l’extérieur, le buffle peut parfois se montrer fragile à l’intérieur. Quelque part au fond de lui, il est resté l’ado qui pleurait auprès de sa mère quand il avait le mal du pays. Dès qu’il est confronté à un peu d’adversité ou dès que tout ne va pas dans son sens, il boude. Il râle. Il se frustre. Et il se plaint.
Ça a même commencé très tôt. Déjà à Zagreb, son premier club pro, le jeune Jusuf Nurkic était impatient, têtu et peu disposé à accepter de subir la concurrence de ses aînés. Aleksandar Petrovic, le frère du regretté Drazen, lui a confié un rôle de remplaçant à son arrivée au Cedevita. Plutôt logique pour un jeune homme de dix-huit printemps qui n’avait découvert le basket que quatre ans auparavant, non ? Non. Pas pour lui.
Hors de question d’attendre, il a préféré répondre à son coach qu’il fallait le transférer aussi vite que possible. Et il a obtenu gain de cause. Il a été prêté à Zadar, jolie petite ville côtière croate. Là-bas, il s’est mis à briller dans la peau d’un titulaire. Il a même pu savourer sa revanche en éliminant son ancien club lors des playoffs du championnat local quelques semaines plus tard.
« Cedevita continuait à me payer. Tout le monde est venu me voir après le match pour me dire : ‘‘Merde, on aurait dû te garder’’. »
Rebelote à Denver quelques années plus tard. Prometteur lors de sa première saison NBA, blessé la seconde, il était ensuite en compétition directe avec la star montante Nikola Jokic l’exercice suivant. Mike Malone a fini par laisser le Serbe s’installer dans le cinq majeur, aux dépends du Bosnien.
A partir de là, même scénario : frustration, colère et envies de départ.
« Il y a eu des rumeurs comme quoi j’étais malheureux. Mais je n’avais aucune raison d’être heureux ! Personne ne devrait être heureux dans cette situation. »
Les Nuggets ont accepté de le libérer et l’ont envoyé aux Blazers à l’approche de la deadline, en février dernier. Le garçon savait exactement où il voulait aller. Alors il a quelque peu forcé la main de ses dirigeants et pris le contrôle de son destin.
« J’ai appris à être un homme qui prend des décisions. Je ne veux pas avoir de regrets. Je vais écouter tout le monde, mais je veux avoir des responsabilités. »
D’une certaine manière, Portland, son atmosphère et ses supporteurs bouillants lui rappellent Zadar. Il s’y sent « en paix ». Quelques semaines après son transfert, il prenait sa revanche sur ses anciens employeurs en leur collant 33 points et 15 rebonds. La victoire des Blazers scellant du même coup la course au dernier spot en playoffs que se disputaient les deux équipes.
« Damian Lillard est la meilleure chose qui me soit arrivée. »
Là encore, ses anciens coéquipiers sont venus le saluer après le match. Certains se demandant sans doute pourquoi leurs dirigeants avaient laissé partir un tel talent. Le géant s’était une nouvelle fois fait justice lui-même. Avec toujours ce même raisonnement philosophique :
« Si je ne me bats pas pour moi, qui va le faire ? Je veux jouer. Je sais que je devrais être titulaire. Je sais que je peux être un All-Star. Pour moi, il n’y a aucun pivot meilleur que moi. »
Se taper, mais pour les autres
Ses performances avec sa nouvelle franchise lui ont donné raison, mais son image en a pris un coup. En NBA, un joueur peut rapidement se faire une réputation de pleureuse capable de démolir un vestiaire. Les Blazers sont restés ouverts, mais ils ont immédiatement posé les bases.
Damian Lillard, cadre de l’un des groupes les plus soudés de la ligue, a accueilli le nouveau avec un message fort.
« Ici, on ne se cherche pas d’excuses. »
Le meneur All-Star a été entendu et les deux hommes ont forgé un lien très fort.
« Damian Lillard est la meilleure chose qui me soit arrivée dans ma vie », admet même Jusuf Nurkic qui a fini la saison en trombe, comme s’il était complètement relancé par son arrivée dans l’Oregon.
« J’avais besoin d’un changement de scénario. »
Et le reste lui a donné raison, petit à petit, il a su se rendre indispensable à sa nouvelle équipe qui lui a offert un contrat de 48 millions de dollars sur quatre ans en 2018. A Portland, il est désormais chez lui et le soutien que ses coéquipiers lui ont manifesté après sa grave blessure à la jambe a manifestement beaucoup compté pour lui.
Jusuf Nurkic, le coeur au service du courage
Cela explique sans doute qu’il ait pu aussi vite retrouver ses marques à son retour et redevenir un titulaire indiscutable et l’un des éléments moteurs de ce groupe lors de son fantastique parcours pour accrocher les playoffs.
« C’est l’endroit parfait pour moi. Ils ont besoin de moi et j’ai besoin d’eux », expliquait-il.
En pleine possession de ses moyens, il peut donner une autre dimension à cet effectif car celui qui ne s’est toujours battu que pour lui-même a fini par comprendre le sens du sacrifice. Une valeur chère aux Blazers. Avoir du courage, ce n’est pas seulement se battre contre quatorze hommes tout seul. C’est aussi savoir mûrir et se mettre au service de quelque chose de plus grand que soi. En réalisant ça, Jusuf Nurkic a prouvé qu’il en avait… Comme papa.
Les Stats de Jusuf Nurkic en carrière
Season | Tm | G | MP | FG% | 3P% | FT% | TRB | AST | STL | BLK | TOV | PTS |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
2014-15 | DEN | 62 | 17.8 | .446 | .000 | .636 | 6.2 | 0.8 | 0.8 | 1.1 | 1.4 | 6.9 |
2015-16 | DEN | 32 | 17.1 | .417 | .000 | .616 | 5.5 | 1.3 | 0.8 | 1.4 | 1.7 | 8.2 |
2016-17 | TOT | 65 | 21.4 | .507 | .000 | .571 | 7.2 | 1.9 | 0.8 | 1.1 | 2.2 | 10.2 |
2016-17 | DEN | 45 | 17.9 | .507 | .496 | 5.8 | 1.3 | 0.6 | 0.8 | 1.8 | 8.0 | |
2016-17 | POR | 20 | 29.2 | .508 | .000 | .660 | 10.4 | 3.2 | 1.3 | 1.9 | 3.1 | 15.2 |
2017-18 | POR | 79 | 26.4 | .505 | .000 | .630 | 9.0 | 1.8 | 0.8 | 1.4 | 2.3 | 14.3 |
2018-19 | POR | 72 | 27.4 | .508 | .103 | .773 | 10.4 | 3.2 | 1.0 | 1.4 | 2.3 | 15.6 |
2019-20 | POR | 8 | 31.6 | .495 | .200 | .886 | 10.3 | 4.0 | 1.4 | 2.0 | 2.4 | 17.6 |
Career | 318 | 23.1 | .492 | .096 | .673 | 8.1 | 2.0 | 0.9 | 1.3 | 2.1 | 11.8 | |
4 seasons | POR | 179 | 27.4 | .506 | .106 | .713 | 9.7 | 2.6 | 1.0 | 1.5 | 2.4 | 15.1 |
3 seasons | DEN | 139 | 17.7 | .458 | .000 | .584 | 5.9 | 1.1 | 0.7 | 1.1 | 1.6 | 7.5 |