'THE DECISION', le moment le plus marquant de la décennie
S’il fallait choisir un seul jour pour résumer toute la décennie écoulée, ce serait le 8 juillet 2010. Tout ce qui s’est passé en NBA lors des dix années qui ont suivies a, d’une manière ou d’une autre, pour origine le moment où LeBron James a bouleversé les codes établis. Pour le King, la décade 2010-2020 a débuté avec un choix. Le plus difficile de sa carrière professionnelle, et sans doute même le plus compliqué de toute sa vie. Un dilemme télévisé en direct sur ESPN et maladroitement intitulé « The Decision. » Tout part de là. D’une déclaration désormais culte :« Je vais exporter mes talents à South Beach et rejoindre le Miami Heat. »
https://www.youtube.com/watch?v=RTeCc8jy7FI&t=29s Une phrase devenue une punchline. Une formule lourde de conséquences. En un instant, le prodige adulé a été bombardé ennemi public numéro un. Son maillot a été brûlé à Cleveland. Ceux qui l’ont toujours soutenu se sont sentis trahis. Dan Gilbert, propriétaire frustré et ulcéré des Cavaliers, a même écrit une lettre sur le site internet de la franchise pour descendre le King « autoproclamé. » Tout en promettant au peuple de l’Ohio que l’organisation serait sacrée avant cet imposteur. Mais c’est justement pour gagner des titres que James a quitté son état natal, direction la Floride. Il était lassé d’échouer si près du but – deuxième tour, finales de Conférence ou même en finales NBA en 2007 – malgré des exploits individuels répétés. Alors il s’est allié à ses amis Dwyane Wade et Chris Bosh pour récolter des bagues.« Not one, not two, not three… » Comme il l’avait déclaré bêtement lors de l’introduction du ‘Big Three’ devant des supporteurs du Heat en délire, écorchant un peu plus son image au passage.
https://www.youtube.com/watch?v=e9BqUBYaHlM2011, le pire échec de la carrière du phénomène
Les répercussions liées à cette décision sont assez impressionnantes. Intéressantes. Presque ironiques. Si le natif d’Akron n’avait pas osé tout plaquer pour jouer avec deux autres All-Stars, Kevin Durant n’aurait certainement jamais rejoint l’armada des Golden State Warriors. Et c’est justement en signant à Oakland qu’il a probablement privé LBJ d’au moins deux titres supplémentaires. Le destin. Le recul nous permet aussi de réaliser le chemin parcouru par la superstar depuis ce 8 juillet 2010. LeBron James était profondément haï par une large partie du public à ce moment-là. Dix ans plus tard, il est à nouveau l’un des athlètes les plus populaires du monde. Se défaire de cette image du vilain est un exploit presque aussi important que ses performances magistrales sur les parquets. Mais pour ça, il a fallu gagner. Gagner et évoluer. Les débuts au Heat ont été chaotiques avec une équipe montée de toutes pièces pendant l’intersaison. Miami a commencé la saison 2010-2011 avec 9 victoires en 17 matches. Presque logique vu le contexte mais bien en-dessous des attentes de ceux qui, utopistes, rêvaient déjà de voir les Floridiens battre la marque record de 72 victoires sur un exercice. Bilan irréel des Chicago Bulls en 1996. James, Wade et Bosh ont fini par se reprendre pour gagner 58 matches avant de se tracer un chemin jusqu’aux finales NBA. Et là, nouvelle désillusion. Encore plus grande que les sorties prématurées avec les Cavaliers. Une victoire finale 4 à 2 des Mavericks pourtant vieillissants et portés par un Dirk Nowitzki gigantesque. La déconvenue la plus cuisante de son parcours jusqu’à aujourd’hui. Ses détracteurs voulaient le voir perdre en 2011. Et il les a fait jubiler. Parce que le roi, alors sans couronne, est complètement passé à côté de ses finales. 17 points par match, des statistiques bien inférieures à ses standards hors-normes. Surtout, il a disparu dans les moments les plus importants des rencontres. Seulement 3 points de moyenne dans les quatrièmes quarts temps. Un échec qui a laissé de profondes séquelles auprès du bonhomme. Un tournant majeur dans sa carrière.2012-2016, le « Prime » magistral de LeBron James
« J’avais perdu l’amour du jeu [après la défaite en finales contre Dallas] », avouait même l’intéressé il y a quelques jours.
Il en est sorti encore plus fort. Encore plus brillant. Parce qu’il a appris à se remettre en question. Des discussions estivales avec Dwyane Wade l’ont aidé à se sortir de cette passe vraiment difficile. Il s’était enfermé dans le rôle du méchant. C’est contre-nature chez LeBron. C’est un acharné de travail mais c’est aussi un homme qui aime s’amuser, rire et s’exprimer sur le terrain. Il n’a pas le même état d’esprit ou la même attitude que Michael Jordan, ce qui lui a parfois été reproché. Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne pouvait pas accomplir de grandes choses. Il a fini par comprendre qu’il devait être juste lui-même. Et une fois qu’il a embrassé cette voie, il a mis la NBA à ses pieds pour de bon.2012-2013 : LeBron James, enfin King !
C’est à partir de cette période que le King a mérité son surnom et sa réputation de futur monument du basket. Après un long travail sur lui-même, il est revenu plus conquérant mais aussi plus joyeux en 2012. Ça a payé. Il a d’abord décroché un troisième trophée de MVP (27,1 points, 7,9 rebonds et 6,2 passes de moyenne) avant de remporter, enfin, sa toute première bague de champion NBA. Un succès en six manches contre une équipe du Thunder inexpérimentée mais menée par son jeune rival Kevin Durant, Russell Westbrook et James Harden. Une libération. Décomplexé, il a atteint le nirvana la saison suivante – sans doute sa plus aboutie. 26,8 points à 56% aux tirs, 8 rebonds et 7,3 passes tout en étant le patron indiscutable d’un Heat quasiment invincible. Miami a gagné 27 matches de suite cette saison-là. La troisième série de victoires la plus longue de l’Histoire. Avec en prime, évidemment, un deuxième sacre. Cette fois-ci contre les San Antonio Spurs. Des finales royales bouclées après des Games 6 et 7 absolument épiques. Beaucoup se souviennent, à juste titre, du panier à trois-points miraculeux de Ray Allen dans les dernières secondes de la sixième manche. Au moment même où les officiels préparaient déjà le trophée pour les Texans… Mais cette action décisive, légendaire, ne doit pas faire oublier les performances herculéennes de James tout au long de la série. Rien que sur ce G6, il a planté 16 points dans le dernier quart temps. Il a fini avec 37 points en plus du game winner dans le Game 7. Deux chefs d’œuvre. D’ailleurs, sans parler de G.O.A.T., très peu de joueurs ont atteint un niveau de jeu aussi élevé que celui de LeBron James en 2013. Ça se compte probablement sur les doigts d’une seule main. Sans un journaliste de Boston qui a préféré donner sa voix à Carmelo Anthony, il aurait même été le premier joueur élu MVP à l’unanimité. Avant Stephen Curry (Shaquille O’Neal aurait aussi mérité un tel honneur en 2000). Double-MVP, double-champion NBA, double-MVP des finales… « L’élu » était vraiment au-dessus du lot. Mais pas ses coéquipiers.2014, éclatement du Heat et retour à Cleveland
Wade a entamé son déclin au moment où il a laissé le leadership complet à son ami après les finales 2011. Souvent blessé, moins tranchant, ‘Flash’ ne brillait que… par intermittence. Chris Bosh suivait encore le rythme mais le reste de l’effectif du Heat avait pris de l’âge. Des lacunes et un manque de fraîcheur exposés par des Spurs somptueux et revanchards, magnifiques champions en écrasant Miami (1-4) en 2014. C’était la fin d’un cycle à South Beach. Et ce qui semblait improbable et pourtant inévitable s’est produit. « I'm coming home. » Des mots doux aux oreilles – ou plutôt aux yeux – des fans des Cavaliers. Le 11 juillet 2014, LeBron James annonce son retour à Cleveland via un essai écrit par ses soins et publié sur Sports Illustrated. Le Messie qui revient en Terre Promise. Tout le peuple de l’Ohio l’a pardonné. De l’eau a coulé sous les ponts depuis. L’homme a mûri. Il a pris soin de travailler sa communication, aussi. Il est en paix après avoir enfin gagné. En paix mais aussi en mission. Celle de ramener un titre à son état, vierge de tout trophée majeur depuis un demi-siècle. Un immense défi, à la hauteur du joueur, de sa carrière, de ce à quoi il aspire devenir et même du produit marketing qu’il incarne. Car pour prétendre être un grand parmi les grands, il doit achever ce qu’il a commencé à Cleveland. Et même si le natif d’Akron mettra en avant son attachement, sans doute sincère, pour la région, sa région, il n’est pas venu jouer les mentors pour les jeunes du coin. Il a même répliqué la même formule qu’au Heat : un trio de stars avec Kyrie Irving, déjà sur place, et Kevin Love, récupéré aux Timberwolves en l’échange d’Andrew Wiggins, premier choix de la draft 2014.Un nouveau 'Big Three' pour régner à l'Est
Une nouvelle équipe à reconstruire de zéro, avec de nouveaux repères à trouver, une alchimie à développer, etc. LeBron sait que le temps est compté. Alors il a passé un nombre incroyable de minutes sur le parquet et il a pris le contrôle quasi-intégral du jeu, au point où ses coéquipiers ne savaient plus jouer sans lui. Son influence est telle qu’elle a fait naître auprès du public le fantasme d’une main mise globale sur toutes les décisions sportives prises par la franchise. N’empêche que la superstar, au sommet de son art, est tout de même parvenue à mener Cleveland en finales. Là, les Cavaliers chuteront contre des Golden State Warriors en pleine ascension en étant privés d’Irving et Love pendant presque toute la série. Entouré de cols bleus, James s’est démené comme un lion. 36 points, 13 rebonds et 9 passes de moyenne pour une défaite en six rounds. Il était toujours considéré comme le meilleur joueur du monde malgré l’avènement de Stephen Curry. Mais contrairement au phénomène des Dubs, son armada ne faisait pas aussi peur que celle d’Oakland. Personne ne pouvait arrêter les Warriors au cours de la saison 2015-2016. Menés par un Curry extraordinaire, élu MVP à l’unanimité, ils ont gagné 73 matches. Un nouveau record NBA. Mais 73 victoires ne veulent rien dire sans la bague au bout. Et les joueurs de Steve Kerr s’y dirigeaient tout droit. Dominateurs, en pleine confiance, ils menaient 3 manches à 1 en finales contre des Cavaliers cette fois-ci au complet. Doucement mais sûrement, James prenait la direction d’une nouvelle défaite à un stade de la compétition où Michael Jordan, l’idole qu’il espère dépasser, n’a jamais perdu. 1-3. Personne n’a jamais remonté un tel déficit en finales. Une belle page de l’Histoire à écrire.2016, le plus beau titre de l'Histoire ?
Alors LBJ s’est surpassé. Ses 41 points dans le Game 5 ont maintenant ses Cavaliers en vie. 41 points… encore, dans le Game 6 (avec le même total pour Kyrie Irving). Puis un triple-double dans le Game 7. Avec un block mémorable sur Andre Iguodala dans les derniers instants. « The Block ». Le renversement est incroyable. Impressionnant. Irréel. Culte. Les performances du King sont magistrales. 29,7 points, 11,3 rebonds, 8,9 passes, 2,3 blocks et 2,6 steals sur l’ensemble des sept matches. Il est devenu le premier joueur à dominer toutes les catégories statistiques au cours d’une finale. En pleurs dans les bras de Kevin Love, le numéro 23 peut savourer. Il a tenu sa promesse. Cleveland peut célébrer. Et lui a déjà obtenu son bon de sortie. https://www.youtube.com/watch?v=-zd62MxKXp8 Ce sacre l’a fait entrer dans la prospérité. Là, ça y est, il est définitivement en paix. Et il ne se cache plus. En novembre 2016, le géant du basket avoue ouvertement « chasser le fantôme de Chicago. » C’est la première fois qu’il admet publiquement vouloir devenir un jour le meilleur joueur de tous les temps. Sauf qu’entre temps, Kevin Durant, son ami, une superstar qui a pris exemple sur LeBron, a fait le choix très controversé de rejoindre les Warriors déchus. Débarrassé de l’emprise de Russell Westbrook et fraîchement intégré au côté de trois autres All-Stars, KD exprime son – énorme – potentiel. Il a fait plus que jeu égal avec son aîné à partir de 2016. Il est tout simplement devenu le meilleur joueur du monde. Statut qu’il confirme avec deux trophées de MVP des finales et donc deux titres pour les Warriors – sans forcer – contre les Cavaliers en 2017 et 2018. Le bilan de LeBron James au dernier round (3-6) devient une rengaine pour ses détracteurs. Impossible de pouvoir se revendiquer le plus grand de tous les temps avec six défaites en finales NBA. Et pourtant il ose se considérer de la sorte. Malin, le personnage le plus influent de la ligue a alors trouvé une autre narrative.« Je pense que le titre de 2016 a fait de moi le meilleur joueur de l’Histoire. C’est le sentiment que j’ai eu [juste après la victoire]. Tout le monde parlait du fait que les Warriors étaient la meilleure équipe de l’Histoire. La façon dont nous sommes revenus… je me suis dit que c’était spécial », témoignait le King en décembre 2018.