De nos jours, il est très difficile de passer à côté des petites anecdotes qui font la légende d'un match. L'omniprésence des caméras, celle des journalistes dans les vestiaires et l'utilisation massive des réseaux sociaux par les joueurs font que tout le monde ou presque croit détenir un peu de la vérité d'une rencontre.
Si certains regrettent que les parties cultes des époques passées n'aient pu avoir droit au même traitement, mieux vaut peut-être qu'il en ait été ainsi. D'abord parce que cela permet de faire fonctionner un peu l'imagination et de conserver le charme autour de certaines performances de légende, mais aussi parce que celles-ci peuvent être racontées a posteriori par des gens qui les ont vécues de l'intérieur.
C'est le cas de ce tour de force de Larry Bird en mars 1985, contre les Atlanta Hawks. Le "Hick from French Lick" était une mine d'or à punchlines et à anecdotes pendant sa carrière et cette "oral history" narrée par Boston.com en est la preuve.
Piqué au vif par Kevin McHale
Inscrire 60 points n'est ni anecdotique, ni assez irrationnel pour vous faire entrer dans la légende. Des joueurs ont réussi plus de 60 fois à totaliser entre 60 et 69 points sur un match dans l'histoire de la ligue. Mais ce n'est pas tant cette marque des 60 qui confère à la prestation de Bird le statut de performance culte. C'est la manière dont il l'a réalisée.
Quelques jours avant, neuf exactement, Kevin McHale, rival interne mais bon camarade, avait battu le record de points de la franchise de Boston, justement détenu par "Larry Legend", avec 56 unités au compteur. C'est probablement en voyant McHale quitter le match dans le dernier quart-temps de cette rencontre face à Detroit que Bird s'est dit que son collègue ne resterait pas sur ce trône bien longtemps.
"Je ne pouvais pas en croire mes yeux. Kevin a demandé à sortir. C'était Detroit et on ne s'entendait pas avec eux, alors pourquoi ne pas leur en mettre 70 ? Personne ne pouvait défendre sur lui. Quand je l'ai vu pointer le banc du doigt, je lui ai dit : Tu ne peux pas sortir, ce n'est pas possible", raconte-t-il.
La magie de Larry Bird passait même à travers la radio
Deux jours avant, il participe à une course à pied...
Plutôt que de forcer McHale à retourner sur le terrain, Larry Bird se prépare alors psychologiquement à reprendre le dessus. Au lieu de profiter de trois jours de repos comme le calendrier le lui aurait permis, le All-Star s'inscrit au Shamrock Classic, une course de 5 miles au départ du Boston Garden, avec son partenaire Scott Wedman.
Son gabarit (2,06 m) n'aidant pas, Bird est dépassé par tout un tas de fans, "des gosses de 10 ans y compris", qui s'exclament : "J'ai doublé Larry Bird ! J'ai doublé Larry Bird !" Le côté compétiteur de l'animal reprend vite le dessus.
"Sur le dernier mile, Larry m'a dit : plus personne ne me passe. Et il est parti... Le coach nous avait dit ne pas forcer pour ne pas nous blesser aux ischios, alors je n'ai pas essayé de le suivre. Il a fait la fin de course en moins de 5 minutes, c'était un sprint ! J'ai vu ce qu'était le coeur d'un champion", raconte Wedman.
Sur le parquet, Wedman a obtenu une preuve encore plus irréfutable que Larry Bird était bien du métal dont on fait les héros. Le 12 mars, les Celtics se rendent à New Orleans pour y affronter les Hawks dans un match délocalisé pour des raisons promotionnelles. Le célèbre numéro 33 a les jambes lourdes à cause de son accélération à Boston trois jours plus tôt. Qu'importe, Dominique Wilkins, l'un de ses plus grands rivaux de l'époque est dans le camp d'en face.
Do Wilkins : "On se serait cru dans un jeu vidéo"
La présence du "Human Highlight Reel" a toujours été synonyme de motivation pour Bird, qui y voyait l'occasion de rappeler qui était le patron. Plusieurs de ses matches les plus aboutis ont d'ailleurs eu lieu contre Wilkins. Ses 23 points après deux quarts-temps ne laissent d'abord présager en rien de ce qui va suivre. Pourtant, certains sentent qu'il commence à se passer quelque chose.
"A la mi-temps, il nous a dit : personne ne peut m'arrêter donc donnez moi simplement la balle et écartez vous de mon chemin. A la sortie du vestiaire, il a commencé à chauffer les joueurs d'Atlanta, les remplaçants, les coaches et même l'arbitre.
Il envoyait tellement de saletés ! Mais c'était l'un de ces soirs où il aurait pu shooter dans le ballon avec son pied et marquer le panier quand même. J'adorais ça", se souvient Robert Parish.
La démonstration est élégante, violente et sidérante. Bird cale 19 points dans le 3e quart-temps dont 11 en 3 minutes, avant une dernière période à 18 points. En tout : 33 points dans les 14 dernières minutes du match. Les shoots pleuvent de partout, dans toutes les positions, avec le même air arrogant et terriblement supérieur. Pour Do Wilkins, "on se serait cru dans un jeu vidéo. Ça ne pouvait pas être vrai. Pourtant, c'était bien réel".
Le trashtalk génial et méconnu de Larry Bird avec la Dream Team
Les remplaçants adverses s'enflamment pour Larry Bird
Des joueurs d'Atlanta, assis sur le banc, se mettent à célébrer chaque panier de Bird comme s'il s'agissait d'un de leurs amis en train d'humilier un adversaire sur le playground. Ils seront d'ailleurs mis à l'amende dans la foulée par leur coach Mike Fratello. Doc Rivers, l'actuel coach des Los Angeles Clippers, est justement dans le camp d'en face. Il se souvient de cette manie qu'avait Larry Legend d'annoncer précisément ce qu'il allait faire subir à ses victimes.
"A un moment, il nous sort : 'Je vais la mettre depuis les genoux du coach', ce qui signifiait qu'il allait shooter à 3 points depuis très loin. Il a eu la balle en main et a demandé si quelqu'un de chez nous la voulait. Rickey Brown est allé sur lui, Larry a fait son rainbow shot incroyable, c'est rentré. Rickey l'a percuté en défendant et l'a accidentellement envoyé... sur les genoux de notre coach. Exactement comme il l'avait dit.
C'était accidentel, mais c'était le destin. A la télé, vous pouvez voir Cliff Levingston et Eddie Johnson sur notre banc en train de se faire des high fives"...
Le plus étonnant dans cette histoire, c'est probablement que Larry Bird ne considère même pas cette prouesse comme l'un des moments favoris de sa carrière. Pour se convaincre qu'il était bien plus qu'un soliste de génie, la déclaration qui va suivre suffira.
"Je sais que la presse et les fans raisonnent en termes de points. Je comprends. Mais mes matches préférés sont ceux où j'ai fait tout un tas de choses différentes pour aider l'équipe à gagner.
Ne vous méprenez pas, 60 points, c'est beaucoup. Dans ce match, j'ai réussi des shoots que je ne me souviens pas avoir mis auparavant. Mais il y avait une rencontre plus tôt cette saison contre le Jazz où j'ai réussi un triple-double et pas mal d'interceptions en 30 minutes. Il y avait tout. C'est ce que j'appelle un grand match".
Prenez 7 minutes, posez-vous avec un petit jus et regardez de quoi était capable Larry Bird, aka "Larry Legend".
Quand Larry Bird était « MVP parce qu'il est blanc »