Sampson 2.0
« Si ça ne tenait qu’à nous, nous préférerions ne pas voir quelqu’un arriver chez les pros à un si jeune âge », avouait Russ Granik, alors numéro deux de la ligue derrière David Stern, au sujet de Kevin Garnett quelques temps avant la draft 1995.
« Mais les tribunaux en ont décidé autrement. »Voilà comment la NBA a accueilli le phénomène qui allait la propulser au 21ème siècle et grâce auquel les Minnesota Timberwolves ne sont pas connus aujourd’hui sous le nom de Las Vegas Crooks ou de Columbus Whogivesafuck. On comprend l’inquiétude de Granik, bien entendu, même s’il y a toujours eu une hypocrisie énorme dans l’argumentaire de ceux qui souhaitaient restreindre en âge l’accès à la ligue. Mais il n’y a qu’à retourner voir des images de KG en high school pour comprendre à quel point son potentiel était sans limite et son talent déjà extraordinairement développé. Voir cette jeune tige de 18 ans placer des contres à faire rougir le Pat Ewing des années Georgetown, enchaîner des fade-away à la fluidité olajuwonienne et claquer des dunks tonitruants est déjà assez impressionnant comme ça. Mais le voir disséquer la défense adverse avec des passes toutes plus clairvoyantes les unes que les autres, c’est comprendre que le jeune prodige avait déjà l’intelligence de jeu d’un vétéran dans le corps d’un ado. En d’autres termes, à son arrivée, Kevin Garnett n’était pas un prospect, un simple spécimen physique à qui apprendre les rudiments du jeu. A quelques kilos près, il avait déjà tous les outils pour réussir.
« La détente de Kevin Garnett est sidérante, il court comme un sprinteur, il tire à six mètres avec facilité et une rotation parfaite et c’est le meilleur passeur parmi les intérieurs de la draft », s’émerveillait Jack McCallum dans Sports Illustrated en juin 1995.
« La plupart des équipes pensent qu’il finira par devenir un ailier à tout faire, mais pour l’instant donnons-lui un nouveau poste. Appelons-le un ‘‘faceup 4’’, un ailier-fort qui peut vous punir de n’importe où, un mélange entre Reggie Miller et une version plus douce et plus gentille d’Alonzo Mourning. »Cet OVNI qui s’apprête à faire le grand saut – rarissime à l’époque – du lycée jusque chez les pros a une panoplie d’outils absolument unique pour un joueur de sa taille. Il faut le voir, quelques années plus tard, en un-contre-un à l’entraînement de Team USA avant les Jeux Olympiques de Sydney, mettre un tir à mi-distance avec la planche sur la tête de Steve Smith, trop petit pour le gêner, puis répéter l’opération sur celle de Vince Carter, avant d’effacer Shareef Abdur-Rahim, ailier-fort comme lui, d’un méchant crossover. La séquence aurait déjà de quoi ébahir, mais KG, qui fait figure de vétéran avec ses trois sélections au All-Star Game alors qu’il a tout juste 24 ans (et vient de signer une saison à 23 points, 12 rebonds et 5 passes de moyenne…), ne s’arrête pas en si bon chemin. C’est au tour de Jason Kidd, meneur de la All-Defensive 1st Team la saison précédente, de tenter de le freiner. Un autre crossover et un dribble dans le dos plus loin, il rentre un autre tir extérieur. Carter et Abdur-Rahim auront bien le droit à un remake, mais le prototype du joueur du futur n’a plus rien à prouver ; la démonstration est essentiellement terminée. En un sens, Garnett est la version améliorée de Ralph Sampson, légèrement plus petit que l’ancien Rocket, mais encore plus mobile, mieux coordonné, et avec surtout comme principale force ce qui était la grande faiblesse du plus grand gâchis des années 80 : le mental. « The Kid » a toujours été d’une intensité terrifiante et difficile à garder sous contrôle. Ralph Sampson, le géant oublié