[superquote pos="d"]« Jordan a eu du mal défensivement, mais il n'a pas cessé de s'améliorer dans ce registre »[/superquote]REVERSE : Vous vous souvenez de la première fois que vous l’avez vu jouer ?
Dean Smith : Oui, c’était à un camp d’été à North Carolina pour des joueurs de high school. D’ailleurs, c’est un camp où nous avons déjà accueilli de jeunes Français. Il s’apprêtait à faire sa dernière année de lycée, il avait 16 ou 17 ans, il ne mesurait alors qu’1m90, et mes assistants Roy Williams et Bill Guthridge avaient été très séduits par sa vitesse. Il avait du talent mais pas les fondamentaux.
REVERSE : Vous n’êtes pas quelqu’un qui aime les honneurs ou la médiatisation, mais en dépassant Adolph Rupp, était-ce vraiment une victoire de plus ou ça vous a quand même fait quelque chose de particulier ?
Dean Smith : Je l’admirais en tant que coach, mais ça n’a jamais été un de mes objectifs de le dépasser. Je voulais juste que mes équipes soient compétitives, et j’ai été embarrassé quand j’ai battu le record, à cause de toute l’attention médiatique que ça a générée. Ça veut juste dire que j’ai coaché pendant longtemps et que nous avons remporté la plupart de nos matchs.
REVERSE : Mike Kryzewski, le coach de Duke, explique qu’il aime le sport surtout pour les rapports humains. Et vous ?
Dean Smith : C’est pour ça aussi que je me suis lancé dans le coaching. Mon père était lui-même coach dans les années 30, et j’ai été marqué par les liens qu’il gardait avec ses anciens joueurs. Pendant la Seconde Guerre mondiale, certains étaient au front, et ils avaient parfois des permissions alors ils rentraient au pays et ils passaient toujours par la maison voir mon père. Personnellement, j’ai toujours des contacts fréquents avec mes anciens joueurs, je sais où ils habitent, ce qu’ils font. Ils m’appellent souvent et d’ailleurs, ça occupe la plupart de mes journées et ça fait plaisir.
REVERSE : Dans le sport US universitaire, beaucoup de joueurs sont marqués par un entraîneur. Ils ont alors grosso modo entre 18 et 22 ans, et beaucoup parlent de second père. Vous pensez que c’est ce que vous étiez ?
Dean Smith : En tout cas, je n’essayais pas de l’être. J’étais un entraîneur disciplinaire, je les prévenais avant qu’ils signent à North Carolina que je serai dur avec eux. Mais en dehors du terrain, j’étais aussi là pour les aider, leur rendre les services nécessaires pour qu’ils atteignent leurs objectifs dans la vie. Les rares joueurs qui sont partis en NBA avant la fin de leur cursus, c’est parce qu’ils allaient quand même s’arranger pour revenir prendre les cours nécessaires et obtenir leur diplôme. Ça, j’y tenais. Jordan est revenu, Worthy est revenu, Vince Carter aussi. Si les joueurs ne veulent pas de diplôme, qu’ils passent directement du lycée aux rangs pros, sinon quel est l’intérêt de venir en fac ? (97% de ses joueurs ont obtenu leur diplôme - ndlr)
[superquote pos="d"]« Le basket est un jeu d’équipe, on parle trop de statistiques »[/superquote]REVERSE : Dans ce que vous avez accompli en 36 ans de coaching, qu’y a-t-il de plus fort ? Participer à la March Madness 23 années de suite ? Disputer 11 Final Four ? Avoir 2 bagues de champion ?
Dean Smith : Ça, ce sont des statistiques qui ne m’intéressent pas. A North Carolina, notre philosophie est la suivante : tu dois jouer aussi dur que possible, et de façon intelligente et collective, après seulement on peut commencer à penser à la victoire. Le basket est un jeu d’équipe, on parle trop de statistiques. Lorsque j’ai coaché l’équipe olympique en 1976 et que nous avons rapporté l’or, c’est la seule fois de ma carrière où j’ai dit à mes joueurs qu’il ne fallait rien d’autre que la victoire. La seule. Les Soviétiques avaient gagné en 72, c’était la guerre froide, donc il fallait gagner. C’est ce qu’on a fait contre la Yougoslavie.
REVERSE : Vous avez pris votre retraite de façon surprenante. Pourquoi ?
Dean Smith : Être coach à North Carolina, c’est un énorme travail, on doit répondre à tellement de sollicitations en dehors du basket. J’aimais coacher, mais j’aimais moins les à-côtés. Ca finit par épuiser. En NBA, les coaches ne se consacrent qu’au basket, et quelque part, je les envie. D’ailleurs, très peu de temps avant d’annoncer ma retraite, je revenais d’une partie de golf avec Michael Jordan et nous sommes allés assister ensemble à l’entraînement des Sixers de Philadelphie que venait de reprendre Larry Brown. Larry avait une pêche d’enfer, et honnêtement, je n’avais moi-même plus cette pêche, donc je me suis dit qu’il était temps de dire stop.
[superquote pos="d"]« J’aimais coacher mais je n’aimais pas les à-côtés »[/superquote]REVERSE : En 2000, il y a eu des rumeurs comme quoi Jordan aller racheter les Hornets, alors à Charlotte. Et il a parlé de vous comme coach…
Dean Smith : (Il sourit) Michael est gentil, mais quand j’ai annoncé ma retraite, c’était une décision ferme. Il m’en avait en effet parlé, mais il n’en était pas question. Larry Brown m’avait proposé de devenir président des Sixers, mais j’ai refusé. En 1970, les Atlanta Hawks m’ont proposé le poste d’entraîneur, et après il y a eu d’autres équipes, comme les Lakers. Mais moi, j’ai toujours aimé l’atmosphère d’un campus universitaire, d’être entouré d’étudiants, tout ça. Tu te sens plus un professeur en fac que chez les pros, et j’aimais ça.
REVERSE : Maintenant que vous ne coachez plus, que faites-vous ?
Dean Smith : Je travaille toujours un peu pour North Carolina, je suis consultant auprès du président et du directeur athlétique de la fac. J’aide aussi un peu les coaches, quand ils me demandent d’analyser le jeu d’une autre équipe ou quand ils ont des questions sur le plan tactique. Je viens au bureau tous les jours, mais je repars à l’heure que je veux, et peu de gens peuvent en dire autant. Mais l’essentiel, c’est que je sois en forme, ma famille aussi, et qu’on puisse aller en France quand on veut pour manger de la nourriture saine (il rit).
REVERSE : Si vous pouviez dire une seule chose au Dr Naismith, ce serait quoi ?
Dean Smith : Merci d’avoir inventé un si beau jeu, populaire dans le monde entier !
Portrait - Dean Smith, le cerveau
[caption id="attachment_78404" align="alignright" width="350"] Vince Carter, le dernier joueur en activité à avoir joué sous les ordres de Dean Smith[/caption] 15 mars 1997. En battant la fac de Colorado, North Carolina offre à Dean Smith la 877e victoire de sa carrière. Adolph Rupp, l’ancien pilier de Kentucky, est détrôné. Smith devient, 36 ans après ses débuts à UNC, l’entraîneur ayant remporté le plus de matches dans l’histoire de la NCAA. Tous les plus grands l’adoubent, du retraité John Wooden (« Dean est le meilleur professeur de tout le basket ») au colérique Bobby Knight (« Smith connaît le basket mieux que personne, c’est tout. »). Mais Smith n’est pas venu au basket pour les records, plutôt « pour les rapports humains ». A ceux qui ne jurent que par la victoire, il réplique qu’elle « n’est pas tout ». « Pour moi, c’est un second père.», répète souvent Jordan. Dean Smith a d’abord été champion NCAA en tant que joueur, avec Kansas en 1952. Son coach ? Le grand « Phog » Allen, lequel avait appris ce jeu de son propre créateur : le canadien James Naismith. Deux aïeux de prestige, la voie semblait tracée. Derrière, Dean Smith a mis son savoir en pratique pendant 36 saisons, avec la même fac. Il a remporté deux titres NCAA, en 82 avec Jordan et Worthy, en 93 avec Donald Williams et George Lynch. Il a mené l’équipe américaine à la médaille d’or aux JO de 76, lavant l’affront subi face à l’ex-URSS quatre ans plus tôt à Munich. Il a écrit un livre, traduit en plusieurs langues, qui détient toujours les records de vente dans le monde pour un bouquin qui parle tactique. Une arène de près de 23.000 places porte son nom à North Carolina, surnommée le « Dean Dome ». Très peu ont droit à cet égard.[superquote pos="d"]« Pour moi, c’est un second père », répète souvent Jordan.[/superquote]En 36 ans, Dean Smith a marqué son temps, reconnu comme un formateur d’exception. « J’ai toujours cherché à recruter des joueurs de UNC », explique Pat Riley, quadruple champion NBA avec les Lakers et actuel coach du Miami Heat. « J’ai beaucoup de respect pour coach Smith, car quand ses joueurs sortent de la fac, ils sont prêts pour la NBA. » Jordan, Worthy, Billy Cunningham, Bob McAdoo, Rick Fox, Kenny Smith, J.R. Reid, Sam Perkins, Antawn Jamison, Vince… La liste est longue.
« UNC est ce que j’appelle une fac +4 », explique John Gabriel, scout chez les Blazers de Portland. « Si je classe un joueur comme le 10e meilleur de la draft à venir, le fait qu’il vient de North Carolina lui fait automatiquement gagner 4 places, il devient le 6e meilleur. C’est un classement qu’on établit en fonction du succès obtenu en NBA par d’anciens joueurs de UNC. »
Niveau coaching, quatre de ses ex-assistants ont été élus Coach NCAA de l’Année : Roy Williams à Kansas, Eddie Fogler à Vanderbilt, Bill Guthridge à North Carolina et bien sûr Larry Brown à Kansas, avant qu’il ne devienne champion NBA avec les Pistons.
Formateur, mais également novateur. Dans le jeu universitaire, il a mis en place la défense tout-terrain. Côté tradition, si aujourd’hui en NCAA, les seniors sont titulaires pour leur dernier match à domicile, c’est à Smith qu’on le doit. Un rite destiné à mettre en lumière des remplaçants peu habitués durant leur carrière à avoir les honneurs du cinq de départ.
9 octobre 1997. Quelques mois après avoir établi son record de victoires, Dean Smith prend tout le monde de court en annonçant sa retraite, à quelques jours de la reprise de l’entraînement. Personne ne s’y attendait, mais pour lui, le temps était venu de prendre du recul. « Je n’avais plus la flamme », avoue-t-il. Amoureux du coaching mais « épuisé par les à-côtés », il n’a pas pu se séparer de UNC pour autant. Dean Smith est désormais consultant technique. Pour un peu plus de 1100 dollars par mois, la paye qu’il avait à ses débuts de coach en 1961.
Photos courtesy of UNC.