Une action anodine au cours de la débâcle. Une longue passe, risquée, hasardeuse, balancée par Paul George. En direction de Montrezl Harrell, pourtant gardé de près par Jamal Murray et Michael Porter Jr. Bien évidemment interceptée. Un temps mort quelques instants plus tard. Harrell et George échangent quelques mots. Le ton monte rapidement. Les insultes, elles aussi, ne tardent pas à prendre le pas sur l’échange d’arguments. L’intérieur des Los Angeles Clippers conclut la joute verbale par un « on ne peut rien te dire de toute façon, tu as toujours raison », entre deux mots plus épicés.
Une brouille comme il peut y en avoir des centaines sur les parquets NBA chaque saison. Logique. Surtout à ce niveau, avec autant de pression et d’adrénaline. Les nerfs peuvent vite craquer. Tout le monde est à cran. Et c’est évidemment multiplié par dix (cent ?) en playoffs. Mais remis dans le contexte, cette petite querelle entre les deux joueurs californiens, prend une toute autre signification. Elle illustre le groupe qui s’entendait peut-être le moins bien au sein de la bulle Disney. Les Clippers avaient la meilleure équipe. Mais aussi la pire alchimie.
Et ce souvenir qui remonte soudainement à la surface de nos pensées. Ce souvenir de janvier dernier, un soir complètement banal de saison régulière. Les Angelenos, qui alternaient le chaud et le froid, perdaient contre les Grizzlies avant que ce même Harrell, l’une des grandes gueules du locker, fasse clairement comprendre aux journalistes que le vestiaire connaissait quelques frictions. Parmi les points de tension, le traitement de faveur accordé à Kawhi Leonard et PG.
« Nous ne sommes pas une grande équipe. On vient à peine de se former. Il y a deux gars qui n’étaient pas là l’an dernier… Je pense qu’il faut qu’on prenne conscience de ça et que l’on se réveille. Notre équipe doit encore trouver une formule pour gagner », notait Trez’.
Les Clippers, bombardés favoris pour le titre après un recrutement XXL
Malgré cet appel du pied, qui venait directement de la source, les Clippers figuraient toujours parmi les grands favoris pour le titre. L’autre équipe de L.A. faisait même office d’épouvantail, d’armada invincible ou presque sur le papier, avant le coup d’envoi de la saison. Normal. Kawhi Leonard, champion et MVP des finales à la suite d’un run historique avec les Raptors, venait de débarquer en provenance de Toronto. Avec Paul George dans ses valises. Deux superstars, dont le meilleur joueur du monde, pour renforcer un roster déjà solide. Du talent à tous les postes doublés, voire triplés. La capacité de jouer petit, grand, vite ou placé. De défendre et d’attaquer. Une formation ultime.
Mais les deux ailiers sont aussi arrivés avec leurs blessures récurrentes. Des pépins physiques dont la gestion faisait grincer des dents au sein du collectif. Les joueurs de devoir voulaient bosser. Leurs séances d’entraînement parfois annulées pour… ménager les All-Stars. Rageant. Et ironique, quand, quelques mois plus tard, le manque de repères est venu briser les rêves de titre de la franchise.
Les Clips ont essayé d’expliquer leur terrible échec par leur manque de vécu commun. Mais alors à quoi bon miser sur six mois de « load management » ? Pourquoi ne pas avoir profité de la saison régulière pour forger des automatismes, comme les Lakers avec Anthony Davis ou le Heat avec Jimmy Butler ? Doc Rivers soulignait lui le manque de condition physique de son équipe. Mais alors à quoi servaient les mises au repos répétées si c’est pour finalement manquer de fraîcheur lors d’un Game 7 de playoffs – dans des circonstances épidémiques exceptionnelles, il est vrai. Doit-on rappeler que Nikola Jokic choppait le COVID-19 juste avant de reprendre le basket ?
Gagner de suite, ce n'est pas la norme
Le manque de vécu, ça reste une vérité. Un peu vite oubliée. Gagner quelques mois après la formation d’une « superteam », ce n’est pas la norme. Les Celtics de 2008, avec Paul Pierce, Kevin Garnett et Ray Allen représentent l’une des exceptions. Le Heat, par exemple, s’inclinait en finale en 2011 malgré les arrivées de LeBron James et de Chris Bosh aux côtés de Dwyane Wade. Mais là, les Clippers ne se sont pas inclinés contre les Lakers ou les Bucks, les deux autres mastodontes du championnat. Ils ont perdu contre les Nuggets. Attention, aucune offense envers cette superbe équipe de Denver. Mais aussi talentueux et combatifs soient-ils, Jokic et ses compères ne jouissent pas du statut de favoris et ce n’est pas par hasard. Ils ne boxent pas dans la même catégorie a priori. Même s’ils ont gagné à la loyale, au courage, au culot.
Difficile, tout de même, de ne pas y voir une énorme défaillance de la part de la formation hollywoodienne. Elle menait 3-1. Elle comptait plus de 10 points d’avance lors de chacune des trois rencontres gagnées consécutivement par les Nuggets : 16 dans le Game 5, 19 dans le Game 6 et 12 dans le Game 7. Pour s’écrouler à chaque fois. Assommée par la pression. Renvoyée à sa condition de franchise maudite. Les losers. Il fallait un patron pour sauver le navire du naufrage. Un capitaine à la barre.
Y'a-t-il un pilote à bord du vaisseau ?
Kawhi ? Nah. Kawhi n’est pas un patron. Ce que l’on entend par là, c’est qu’il n’est pas un patron du vestiaire. Sur le terrain, c’est le plus fort. Un guide. Une superstar sur laquelle ses coéquipiers peuvent se reposer lorsqu’il s’agit de se défaire d’une situation délicate. D’une possession compliquée. Mais ce n’est pas lui qui assume ce leadership une fois entre quatre murs. Déjà à Toronto, le rôle revenait à Kyle Lowry. Gregg Popovich ou Tim Duncan à San Antonio.
Kawhi Leonard-Paul George : le temps presse déjà après le fiasco
Paul George ? Rires. Encore moins. Endosser le costume du « franchise player », il peut le faire. Comme aux Pacers. L’un des dix ou douze basketteurs les plus doués de la planète. Mais pour que ça marche, il a besoin d’un David West ou d’un George Hill pour prendre les commandes du groupe dès que les joueurs quittent le parquet. Son attitude vis-à-vis d’Harrell après la passe ratée, et le dialogue de sourd qui s’en est suivi, témoignent de son incapacité à prendre les rênes. Autre ironie, les deux stars sont aussi passées à côté sur le terrain. Leur zone de prédilection et d’expression. 0 point à eux deux dans le quatrième quart temps du Game 7. Ça pique.
Aussi l'échec de Doc Rivers
Patrick Beverley, Lou Williams ou Montrezl Harrell sont des grandes gueules, mais ça ne fait pas d’eux des patrons. N’est pas Udonis Haslem qui veut. Avec son charisme, Doc Rivers pouvait éventuellement assumer ce rôle. N’est-il pas même réputé pour ça ? Un coach parfois limité tactiquement, mais à l’immense aura ? Cette étiquette est peut-être un peu vieille. Elle se décolle. Les qualités de « motivational speaker » du Doc sont surévaluées. Ou sinon, comment expliquer qu’il n’ait pas su trouver les mots pour réveiller une équipe qui fonçait droit dans le mur ? Comment expliquer que son message ne soit pas passé ?
Doc Rivers, un nouvel échec avec les Clippers… celui de trop ?
C’est quand même la troisième fois au cours de sa carrière que Rivers se fait remonter un 3-1 en playoffs. Ça fait tâche sur un CV. Ses lacunes tactiques, son manque d’ajustements notamment, son absence de vista, de paris, contraste tellement avec la magie de Mike Malone. Mais avant d’imaginer quelconque changement sur le banc, rappelons que Kawhi Leonard VOULAIT être coaché par Doc Rivers. Il ne bougera pas.
Les Clippers, une dynastie morte avant même d'avoir commencé ?
Ceux qui sont plus à mêmes de changer d’uniforme, ce sont les deux jokers offensifs. Williams et Harrell. Accusés de faire du « buddy ball » et de se passer la balle sans se concentrer sur leurs coéquipiers. Les Clippers possèdent les deux meilleurs sixièmes hommes de la ligue et leur banc a paradoxalement besoin d’être renforcé un tantinet. Parce que trop faible en défense. Des cibles pour les attaquants adverses qui s’en donnent à cœur joie.
Les dirigeants vont devoir se creuser le cerveau pendant la longue intersaison qui les attend. Comprendre comment cette équipe a pu échouer de la sorte. Comprendre pourquoi. Et trouver des solutions. Parce que mine de rien, le temps presse… déjà ! Kawhi Leonard et Paul George ont tous les deux une option qui leur permet de tester à nouveau le marché dès 2021. Originaires de Los Angeles, ils ne sont pas spécialement dans l’optique de partir. Mais une campagne catastrophique de plus et… ça fait réfléchir.
Mais au-delà du drama, des gros titres et des rumeurs, rappelons quand même que les Clippers peuvent tout à fait repartir avec exactement le même groupe et aller au bout en 2021. Parce qu’il y a tellement de talents. Ça ne s’apprend pas. L’alchimie, en revanche, ça se développe. Rendez-vous dans un an.