La NBA regorge d’histoires surprenantes, en particulier le soir de la draft, celui de tous les possibles. Celle de Victor Wembanyama n’en fait pas partie. Sa sélection en première position par les Spurs relève davantage du destin, ou alors d’une chose qui y ressemble excessivement.
Le prodige français a lui-même admis, la veille, qu’il se voyait traverser l’Atlantique depuis ses 12 ans. Sept ans plus tard, les lourdes portes de la plus grande ligue du monde lui ont offert autant de résistance qu’une ombre. La cérémonie organisée au Barclays Center avait seulement pour but de rendre l’officieux officiel — en passant, tant qu’à faire, un beau moment et en grattant une casquette estampillée du logo de San Antonio.
Il n’y a rien de théâtral dans le fait de traverser un tel obstacle si facilement, comme s’il n’existait pas. On peut tout de même y voir une sorte de poésie : Victor Wembanyama a eu lieu. Ça s’est fait automatiquement, comme la pesanteur. Il lui suffisait d’être là. Il lui suffisait d’être.
Victor Wembanyama, attendu depuis toujours
Le natif du Chesnay aurait eu tort de croire que l’univers émettrait la moindre objection à l’accomplissement de sa destinée. Tout était en place, dès le départ, pour qu’il grimpe sur cette estrade et serre la main d’Adam Silver.
Sa mère est une ancienne joueuse de Nationale 1, elle-même née de deux parents basketteurs, et coach. Elle a accompagné les premiers pas de « Wemby » dans le monde de la balle orange, à sept ans, à l’école de basket du Chesnay-Versailles. Son père, athlète spécialiste du triple saut et du saut en longueur, a lui aussi passé un certain temps dans cette sphère. Irrémédiablement, toute la famille a foulé les parquets, y compris sa sœur Ève et son frère Oscar.
Victor Wembanyama : la préparation du phénomène français
Les ambitions du jeune de 12 ans n’avaient rien d’extravagant. Il avait le cadre, le physique, le mental et tous les attributs qui permettent généralement à un petit sportif comme Victor — bien qu’il ne l’ait jamais vraiment été, petit — de devenir un grand athlète du genre de Wembanyama. Trois ans après son arrivée à Nanterre, son club formateur, il s’agissait déjà d’un phénomène à bien des égards.
« Il avait 13 ans, environ 2 mètres, lorsqu’il a rejoint notre équipe U15 », racontait Bryan George, son entraîneur de l’époque à Nanterre, dans son interview avec Pascal Giberné pour SLAM Magazine en octobre. « Lors de son premier match avec les U15, je l’ai fait entrer en jeu et, dès sa première action, il a couru d’un corner à l’autre, il a reçu le ballon en mouvement, s’est arrêté en un clin d’œil devant la ligne à trois points et a tiré. La fluidité, la confiance, l’audace. Pour un joueur de sa taille, si grand, jouant comme un 2, je me disais : « Est-ce qu’il est fou ? Qu’est-ce qu’il fait ? Et puis la balle est entrée. Un swish. Tout le monde dans le gymnase souriait, on pouvait voir que les gens se disaient : « Qui est ce type ? Ce monstre ? » Mais dans le bon sens, c’était légendaire. »
Être lui-même, Victor Wembanyama
C’est de cette manière que l’Yvelinois a avancé, sous la lumière des projecteurs et dans un environnement propice à son développement. Fidèle à Nanterre, il y a disputé son premier match professionnel, à 15 ans, sous les ordres de Pascal Donnadieu. Il y a été élu meilleur espoir du Championnat de France, en 2020-2021, alors qu’il évoluait en parallèle au Centre Fédéral.
Puis il s’est envolé pour l’Asvel, où il a à nouveau été récompensé pour sa précocité, et enfin aux Metropolitans 92 où il a dominé la Betclic Élite de la tête et des épaules (MVP, meilleur défenseur, finalistes…). À chaque foulée, le géant a rencontré du beau monde : Tony Parker, Vincent Collet, des personnages comme Holger Geschwindner, mentor de Dirk Nowitzki. Mais aucun de ces notables n’a véritablement changé le jeune homme.
Victor Wembanyama tient à être lui-même. Un principe dont il ne s’est jamais détourné. « J’ai toujours essayé d’être original dans tout ce que je fais », expliquait-il au New York Times au début de la saison. « C’est vraiment quelque chose qui est ancré dans mon âme : sois original, sois unique en ton genre. Je ne peux pas l’expliquer. Je pense que je suis né comme ça. »
En dehors du terrain, la profondeur et la maturité du Français de 19 ans crèvent l’écran. Son anglais impeccable, son amour de l’art et sa manière d’aborder la vie en général ont séduit les médias du monde entier. Directif, assuré, il semble avoir l’âme d’un leader.
Il n’est pas moins lui-même sur le parquet, où il refuse qu’on le mette dans une boîte ou qu’on lui colle une étiquette. L’intérieur — si c’est bien le terme adapté — brouille la notion de postes et remet en question nos préjugés basketballistiques.
« J’ai demandé à Victor quel genre de joueur il voulait être », se souvenait Bouna Ndiaye, son agent, dans les colonnes de SLAM. « Il m’a répondu : “Je veux être moi, Victor Wembanyama”. J’ai adoré… Cela signifie qu’il sait qui il est. »
Plus qu’un talent générationnel
Plus que le joueur qu’il est aujourd’hui, c’est celui qu’il sera demain qui intéresse la NBA. Tout a été dit à propos de Victor Wembanyama. La combinaison de son physique hors normes (2,21 m, 2,45 m d’envergure), de sa mobilité frôlant l’indécence et de sa large palette technique n’a jamais été vue dans la ligue nord-américaine, mais elle ne surprend plus vraiment.
Il est impossible de prédire l’avenir d’un tel alien — les mots de LeBron James, le dernier prospect à avoir suscité tant d’engouement, sonnant juste. Le potentiel du Français semble s’étendre au-delà des horizons que nous connaissons. Nous ne pouvons que nous asseoir en attendant patiemment qu’il nous révèle un chemin encore inexploré.
Victor Wembanyama doit-il se muscler pour briller en NBA ?
Bien qu’il soit impossible de l’affirmer avec certitude, Wembanyama apparaît comme un possible game changer. Il pourrait y avoir un avant et un après dans le monde du basket. Plus qu’un talent générationnel, il est sur le papier le genre d’anomalies que l’on observe une fois tous les 20 ans. Peut-être même une seule fois au cours d’une vie.
Bien sûr, le nouveau first pick n’est pas parfait — aucun athlète ne l’a jamais été, et si ça avait été le cas, il aurait sans doute été moins intéressant. Son arsenal offensif peut encore s’élargir, son tir est perfectible, ses décisions améliorables… Une prise de masse progressive et une période d’adaptation à la NBA pourraient également être des conditions pour le voir dominer aux États-Unis. Mais le talent est bien là.
Il devrait avoir un impact immédiat immense sur le jeu de San Antonio, des deux côtés du terrain. Ne pas le voir dominer, au moins défensivement, serait une surprise pour les observateurs et pour lui, qui s’imagine déjà Rookie of the Year.
Victor Wembanyama aux Spurs, un clin d’œil du destin
26 ans après avoir sélectionné Tim Duncan au terme d’une saison inhabituellement catastrophique, les Spurs ont récupéré le premier choix de la draft pour la troisième fois de leur histoire. Le Français succède à deux Hall of Famers, Duncan et David Robinson, qui ont marqué la ligue d’une empreinte indélébile.
Il marche dans les pas de Tony Parker, un modèle de réussite pour les tricolores en NBA, qui a rejoint la franchise texane 22 ans plus tôt. Là-bas, il sera placé sous la supervision de Gregg Popovich, légende absolue, pour ce qui s’annonce comme ses dernières années dans la ligue. Si la vie de « Wemby » était une fiction, l’accumulation de tous ces éléments paraîtrait tirée par les cheveux.
Pourtant, c’est acté. Victor Wembanyama est officiellement le visage de la reconstruction de San Antonio. Il y rejoint Devin Vassell, Keldon Johnson, Jeremy Sochan, entre autres jeunes prometteurs qui graviteront autour de lui en 2023-2024. Un projet déjà intrigant, désormais fascinant.
Les mots manquent pour décrire la draft de Victor Wembanyama. D’abord, car celle-ci s’imposait comme une évidence, le tableau final dégageant une sensation d’harmonie et d’accomplissement satisfaisante. Mais surtout parce qu’il ne s’agit, en fait, que du début du long périple qui sépare encore le Français de 19 ans des immenses objectifs que lui-même et les observateurs ont déjà fixés.
Victor Wembanyama explique pourquoi il ne fera jamais « de la merde » en dehors du terrain