Quatre mois : c’est tout ce qu’il a fallu à Victor Wembanyama pour s’imposer comme l’un des défenseurs les plus redoutés de la NBA. Sa silhouette de Slender Man, avec ses 2,24 m et ses longs segments, constitue un atout indéniable pour protéger son panier. Mais son envergure ne suffit pas à expliquer ses prouesses défensives.
« Il ne suffit pas d’être grand et d’avoir de longs bras, il faut aussi avoir le sens du timing pour savoir quand contrer et quand tenter une interception. Il a déjà ces instincts », soulignait Zach Collins, sa doublure aux Spurs, le 27 février. « C’est incroyable, ce n’est qu’un rookie et il a déjà d’excellents réflexes. »
« Il devrait être nommé Défenseur de l’année. Ils ne lui donneront probablement pas, mais il devrait l’être. Il fait des choses que je n’ai jamais vues auparavant », continuait son coéquipier. Sa première saison dans la ligue ne lui vaudra peut-être pas cet honneur, mais il ne fait aucun doute que les trophées suivront à l’avenir s’il reste sur la même trajectoire. Wembanyama est, avant tout, un talent défensif générationnel.
Contrer pour « sauver des situations »
La réputation du rookie repose d’abord sur une chose : ses contres. À 20 ans, il domine déjà la NBA dans ce domaine avec ses 3,4 contres par match. Selon Cleaning The Glass, il a bloqué 5,9 % des tirs adverses cette saison, statistique dans laquelle il mène également la ligue.
Ce n’est pas une si grande surprise. Victor Wembanyama a la tête de l’emploi, ou plutôt la morphologie en l’occurrence. « Ce n’est pas qu’une question de hauteur. Cela repose beaucoup sur le timing, mais aussi sur la lecture du jeu », nuance-t-il cependant.
Ses prédispositions ne font pas tout et cette capacité est le produit du travail d’une vie. « Je me rappelle avoir vraiment passé un cap à quinze ans, en équipe de France, avant le Championnat d’Europe U16. C’est là que j’ai réalisé l’importance de pouvoir contrer », explique le Français, qui avait fini meilleur contreur de la compétition à l’époque (5,3 par match). « Pas seulement son propre joueur, mais aussi pouvoir aider ses coéquipiers. Avoir le pouvoir de sauver certaines situations. »
Victor Wembanyama, guidé par les légendes des Spurs
Personne, pas même son coach Gregg Popovich, ne s’attendait toutefois à le voir si haut si rapidement. En plus de détenir la meilleure moyenne de la ligue, « l’alien » a établi le record de la saison sur une rencontre (10 tirs bloqués, le 12 février contre les Raptors)… et il continue de s’améliorer. Il tourne à 5,1 contres par match lors de ses 10 dernières sorties, un chiffre si impressionnant qu’il peut être comparé à celui d’équipes entières : 14 franchises ont une moyenne inférieure à la sienne sur cette période.
L’action défensive ultime
L’efficacité de Wembanyama ne réside pas seulement dans la quantité, mais aussi dans la qualité de ses contres. Parmi les rares statistiques défensives qui figurent sur la feuille de match, témoignage de la domination d’un intérieur, les contres impressionnent. Mais ils sont souvent surestimés.
« C’est aussi une prise de risque », souligne le joueur des Spurs. « Aller bloquer quelqu’un signifie que l’on abandonne parfois son propre gars. » Surtout, rejeter un ballon peut souvent l’envoyer hors du terrain ou, pire, entre les mains de l’ennemi pour un tir facile. Dans certains cas, il est préférable de contester fermement la tentative adverse. Il n’y a pas de meilleure défense que celle qui prive l’attaque de sa possession, et donc de sa chance d’inscrire des points, pour la donner à sa propre équipe.
« Vous n’avez vraiment pas envie d’aller au panier quand il est là. C’est un contreur d’élite. »
Victor Wembanyama a conscience de tout cela. Alors, il défend judicieusement et s’efforce de conserver la balle après l’avoir bloquée. Il s’entraîne même pour : « Je n’y pense pas tout le temps, mais dès que possible, j’essaye de garder la possession. Il y a de l’instinct, mais c’est aussi quelque chose que je travaille. » Face aux Rockets, mardi, il a enregistré 7 contres et a réussi à prendre la possession à six reprises.
Cette action défensive rare, le rookie des Spurs la maîtrise déjà mieux que quiconque en NBA. Il récupère 61,4 % de ses contres selon Basketball Index, plus de la moitié, soit 2 par match en moyenne. Cette proportion atteint 67,4 %, d’après PBP Stats, si l’on compte également ceux que ses coéquipiers récupèrent. Une autre catégorie statistique dans laquelle il n’a pas son égal — il est suivi de près par Chet Holmgren, lui aussi un futur Défenseur de l’année en puissance.
« C’est quelque chose d’assez nouveau encore. Cela date d’un an, peut être même peut-être moins », explique Wembanyama. « C’est vraiment dur à faire, mais c’est vraiment utile. » Plus qu’utile, il s’agit d’une action défensive totale : elle repousse le tir, intimide l’adversaire, stoppe la possession offensive et lance sa propre équipe en attaque. C’est une capacité précieuse qui fait de lui le meilleur contreur de la ligue, et non seulement plus prolifique.
Arme de dissuasion massive
Après cinquante matches en NBA, les attaquants ont compris. Ils hésitent à tenter leur chance devant Victor Wembanyama. « Vous n’avez vraiment pas envie d’aller au panier quand il est là. C’est un contreur d’élite », a témoigné TJ McConnell, dimanche dernier, lors de la défaite des Pacers face aux Spurs. « La plupart du temps, je disais à nos intérieurs de rester à l’écart pour qu’il ne soit pas trop proche du panier, pour que nous puissions l’attirer hors de la raquette. »
Résultat ? Depuis le début de la saison, les adversaires tentent 3,3 % de tirs de moins sous le cercle lorsqu’il est sur le terrain, selon Cleaning The Glass, ce qui le classe dans le top 10 % des big men en la matière.
Il n’est pas inhabituel de voir un joueur faire demi-tour lorsqu’il se retrouve face au pivot de 2,24 m. Même si le tir n'est pas rejeté, la trajectoire en sera généralement altérée par sa présence. Et essayer d’obtenir des lancers est souvent inutile : bien que le rookie commette encore quelques erreurs en défense, il ne fait que 2,2 fautes par match. Il n’est sifflé que sur 2,9 % des actions en défense, ce qui le place dans le top 16 % des intérieurs.
The Victor Effect pic.twitter.com/spc50Kn2oD
— Brett Usher (@UsherNBA) February 3, 2024
« La chose la plus importante que j’ai dite à mes gars, c’est d’avoir un plan si vous allez dans la peinture. Parce qu’il va être là », a expliqué Chauncey Billups, l’entraîneur des Blazers, qui a limité la casse avec 2 contres le 26 janvier. « Parfois, vous ne savez même pas qu’il est là. Il peut être derrière vous, ou il peut avoir l’air de garder la ligne à trois points. Et avant que vous ne vous en rendiez compte, il est là et il bloque le tir […] Et si un coach me disait cela, cela voudrait dire “fais juste la passe”. »
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Transformer la défense de son équipe
Aux Spurs, Victor Wembanyama occupe un rôle de « helper ». Il se détache souvent de son attaquant direct et se tient toujours prêt à intervenir en second rideau. Si un coéquipier est débordé, il prend le relais et défend le tir.
Son envergure et sa mobilité sont des atouts majeurs dans ce rôle, qui met à profit toutes ses qualités, physiques comme mentales. Malgré les tentatives des coaches opposés pour l’éloigner de la raquette, il a contesté 41,48 % des tirs pris par les équipes adverses sous le panier cette saison — ce qui a abouti par un contre dans 60,1 % des cas. Ces performances le placent une fois de plus parmi l’élite de la NBA.
Cette position lui permet surtout de couvrir ses coéquipiers. « Nous essayons de faire de notre mieux, et si nous sommes battus, nous avons Victor », a résumé Keldon Johnson dimanche dernier. Wembanyama a bel et bien « le pouvoir de sauver certaines situations », comme il le dit lui-même.
« Nous essayons de faire de notre mieux, et si nous sommes battus, nous avons Victor. »
Ce filet de sécurité offre également aux autres joueurs sur le terrain la possibilité de défendre de manière plus agressive. « Je peux prendre plus de risques, rester sur les lignes de passe et essayer d’anticiper davantage, car je sais qu’il y a quelqu’un derrière », avait déjà noté Devin Vassell après le deuxième match de pré-saison de San Antonio contre le Heat.
Ainsi, la défense des Spurs — la 9e moins efficace de la ligue avec 117,2 points encaissés pour 100 possessions — se métamorphose lorsque « Wemby » entre en jeu. Elle encaisse 10,5 points de moins pour 100 possessions quand il est sur le terrain, un écart colossal. C’est le fossé entre une défense médiocre et une défense moyenne, ou entre une défense moyenne et l’une des meilleures de la NBA.
Victor Wembanyama ne sera peut-être pas nommé Défenseur de l’année cette saison, mais il recevra des assurément des votes mérités. Il pourrait même intégrer une All-Defensive Team, un exploit inédit pour un rookie depuis Tim Duncan en 1998. À 20 ans, le plus intrigant reste son potentiel : il apparaît comme un joueur capable, dans l’absolu, de devenir le meilleur défenseur d’une génération, voire de l’Histoire.