"Le sport est un vecteur économique très important et c'est également un élément de lien social et d'unité."BasketSession : Justement, pourquoi le sport ? Rémy Rioux : Habituellement, nous sommes partenaires d'entités comme la Banque Mondiale, de la Banque Africaine de Développement, toutes ces grandes maisons qui financent le développement du Sud. Aucun d'entre nous, jusqu'ici, n'avait fait dans le basket ou le sport et pourtant, à titre personnel, je suis absolument convaincu que le sport est un facteur de développement économique et social, dans nos pays, ça on le sait très bien, mais également dans les pays en développement. C'est un vecteur économique très important. On estime généralement qu'il représente 2% du produit intérieur brut dans nos économies à nous, c'est vraiment quelque chose d'important en termes de création de richesses et d'emploi. Et puis, évidemment, c'est un élément de lien social, d'unité, un vecteur pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Et c'est à la fois pour ce potentiel économique et ce potentiel social de cohésion que le sport est particulièrement important en Afrique où 70% de la population a moins de trente ans. Il y a donc plein de gens qui sont en âge de faire du sport, qui cherchent un emploi et il y a de la croissance en Afrique, donc des gens qui sont capables de s'acheter des baskets. Décathlon est par exemple en train de se déployer de façon très active parce que le marché commence à arriver et avec lui la croissance, les bénéfices en termes de développement pour la santé, pour l'éducation, bref tout ce que le sport peut libérer. Ce qu'on n'a encore jamais fait, c'est de connecter l’univers sportif – les fédérations, les clubs, tous les acteurs du sport – avec les professionnels du financement du développement, comme l'AFD. Il se passe des choses dans le monde du sport en Afrique, mais qui manquent souvent d'impact puissant sur les populations. Certains joueurs ont des ONG, il commence à y avoir un peu de business, mais tout cela n'est pas encore à l'échelle. Nous, on est l'instrument financier qui connaît le terrain, qui peut prendre du risque en amont et qui est capable de prendre des initiatives et de les mettre en place à grande échelle. [caption id="attachment_441273" align="alignnone" width="1400"] Rémy Rioux et Amadou Gallo Fall, sous le regard de Dikembe Mutombo[/caption] BasketSession : Quand avez-vous décidé d'investir le sport ? Rémy Rioux : Je parle de tout ça avec la NBA depuis plus de deux ans. Pour lancer tout ça, nous avons fait un déjeuner à l'Elysée au moment de la visite de George Weah, l'ancien footballeur qui est devenu président du Libéria. Il a fait sa première visite officielle hors d'Afrique à Paris et le Président Macron l'a invité à un déjeuner sur le thème Sport et Développement. Il y avait les gens de la NBA, le président de la FIFA, le président de la Confédération Africaine de Football, de nombreux acteurs du sport et bien sûr Tony Estanguet qui est le patron du Comité d'Organisation des Jeux Olympiques de 2024. Le déjeuner s'est conclu en se tournant vers votre serviteur et j'ai proposé de créer une plateforme pour essayer de rapprocher les acteurs du sport et ceux du financement du développement pour essayer de voir si on arrivait à créer des connexions qui ne s'étaient jamais faites, pour mieux financer et accélérer le développement d'un sport de qualité en Afrique et s’en servir pour faire plus de développement. L'idée étant qu'en 2024, quand on fera les Jeux à Paris, nous, l'AFD, on amène un portefeuille de projets avec du basket, du foot, et différents sports dans différents pays dont on arrivera à montrer qu'ils ont eu un bénéfice pour l'éducation des populations, pour la santé, un rôle pour réduire les violences dans les villes, etc. Parfois, le seul élément d'unité nationale qui reste, c'est l'équipe nationale dans laquelle tout le monde s'identifie, donc le sport peut avoir un rôle dans les sorties de crise. En 2024, on arrivera à montrer que les Jeux Olympiques à Paris, ce n'est pas juste des gens qui courent vite et qui lancent des ballons avec de l'adresse. C'est plus que ça, le sport ! Ça a une profondeur sociale et des bénéfices durables pour les populations. C'est ça, la vision, mais bien sûr, comme tout cela est nouveau, il faut commencer par un partenariat et c'est là que je suis allé chercher la NBA. BasketSession : Mais pourquoi commencer par le basket et la NBA ? Rémy Rioux : Tout simplement parce que c'est le deuxième sport en Afrique, derrière le foot, c'est un sport extrêmement populaire auprès de la jeunesse. C'est aussi un sport urbain et vous savez qu'en Afrique il y a une croissance démographique très forte. Les villes sont en train d'exploser donc il y a des vrais sujets d'aménagement de l'espace urbain. Et puis, c'est un sport plus facile parfois que le football pour les jeunes filles, donc il y a une dimension d'égalité hommes/femmes qui est assez présente dans le basket. Donc on s'est dit que l'acteur qui a l'audience la plus forte et qui pourrait nous aider à pousser le signal qui montre qu'on s'intéresse au sport en Afrique, ça pourrait être la NBA, en particulier parce que cette ligue est déjà présente par le biais de NBA Cares et des actions qu’elle mène sur le terrain. J'ai rencontré Amadou Gallo Fall, qui est le président de NBA Africa et d'une ONG au Sénégal qui s'appelle SEED, et qui a cette vision et cette préoccupation autour d’un basket durable, un basket qui bénéficie aux populations. Ils font déjà beaucoup de choses, notamment de la formation avec la NBA Academy à Thiès, au Sénégal. Tout l'enjeu, c'est de savoir comment les accompagner pour aller plus loin, plus profond et avoir encore plus de résultats.
"On s'est dit « Commençons avec la NBA », avec ensuite l'intention d'aller voir la FIFA ou d'autres ligues et fédérations."Et puis, il y a une histoire forte avec la France et l'Afrique, qui représentent les contingents étrangers les plus importants en NBA. Sans compter les légendes comme Mutombo, Olajuwon et les autres joueurs africains qui ont laissé une trace forte dans la ligue. Si on y arrive bien, il y a des histoires à raconter. Entre Nicolas Batum, dont le papa était Camerounais ; Boris Diaw dont le père est Sénégalais ; Evan Fournier dont la maman est Algérienne ; Ian Mahinmi dont les parents sont Béninois, on devrait arriver à mobiliser, je l'espère, ces grands joueurs pour qu'ils s'engagent dans le développement de l'Afrique et dans le lien entre la France et l'Afrique. On s'est dit « Commençons avec la NBA », avec ensuite bien sûr l'intention d'aller voir la FIFA ou d'autres ligues et fédérations. [caption id="attachment_441271" align="alignnone" width="1400"] Emmanuel Macron lors de l'annonce du partenariat entre la NBA et l'AFD[/caption] BasketSession : En quoi consiste précisément ce partenariat ? Rémy Rioux : Nous avons signé une convention de partenariat dans laquelle nous avons mis douze millions de dollars d'investissement. De son côté, la NBA qui est quand même une institution lucrative a accepté de mobiliser six millions de dollars de dons pour financer des programmes et donc nous, l'AFD, on va matcher ça et mettre six millions aussi. On aura donc une première capacité financière de douze millions de dollars ce qui n'est pas négligeable et l'idée, c'est de faire trois choses : financer des infrastructures (créer des terrains de basket là où c'est utile), financer du soft, autrement dit mettre en place des programmes éducatifs avec des ONG locales en profitant de la présence des terrains ou en travaillant sur le contenu éducatif des NBA Jr Leagues qui sont en train de se mettre en place. La question, c'est de savoir comment faire en sorte que ces espaces dans lesquels on réunit des jeunes ne servent pas qu'à faire du basket, mais qu'on puisse aussi leur parler éducation, nutrition, prévention du SIDA. Et puis, le troisième axe, c'est les anciens joueurs. Souvent, ils veulent s'engager pour leur pays ou même leur rendre une partie de leur richesse. Vous savez par exemple que Dikembe Mutombo a créé une clinique à Kinshasa dans laquelle il a mis quarante millions de dollars de sa fortune personnelle. Nous, on passe notre vie à financer des programmes d'éducation, de développement urbain ou à investir dans des entreprises en Afrique. Il y a évidemment une synergie et des possibilités de mettre du basket dans nos programmes de développement. Ces douze millions de dollars vont nous aider dans ce sens.
"C'est aussi une façon de changer un petit peu la vision qu'on a en France de l'Afrique."BasketSession : Quels pays seront les premiers bénéficiaires de ce partenariat ? Rémy Rioux :On a identifié une douzaine de pays avec lesquels travailler. On va commencer en priorité avec le Maroc, l'Afrique du Sud, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Nigéria et le Liberia. Maintenant que tout est signé, nous sommes dans la phase d'identification des projets et de mise en œuvre. Par exemple, on travaille en ce moment beaucoup au Maroc sur une ville nouvelle que veut créer le Roi du Maroc, il s'agit de la ville de Zenata. On va prêter au gouvernement du Maroc 150 millions d'euros pour contribuer aux aménagements de cette ville et, typiquement, nous sommes en train d'utiliser une partie de nos douze millions de dollars pour ajouter du basket dans ce programme urbain. Ce qui veut dire également y amener des éducateurs et ensuite une Junior League NBA, pour faire passer un message fort et s'adresser aux populations. Nous allons aussi faire des choses à Lagos, où nous étions avec le président Macron le 4 juillet dernier. C'est une métropole en pleine explosion. On réfléchit aussi à mettre en place des choses à Johannesburg, dont on finance une partie de la refonte du centre-ville. Je suis sûr qu'on va trouver plein de programmes dans lesquels on arrivera à mettre du basket et donc de la NBA et à raconter des histoires, créer du lien positif avec l'Afrique. C'est aussi une façon de changer un petit peu la vision qu'on a en France de l'Afrique. Car ce grand continent, ce n'est pas que des gens malades et des guerres, loin de là, évidemment. C'est d'abord une incroyable force démographique et économique. L'Afrique, c'est la population et la richesse de l'Inde à nos portes donc, évidemment, c'est aussi des défis, puisque tout va plus fort, plus vite, plus grand que tout ce qu'on a jamais connu dans l'histoire économique et sociale du monde. Il faut faire feu de tout bois pour que cette émergence aille dans le bon sens. BasketSession : Quel est le plus gros défi à relever dans tout ce projet ? Rémy Rioux : Avec la NBA, il a d’abord fallu qu'on s'apprivoise. Nous, nous sommes une institution publique française, une institution financière, et la NBA c'est une institution américaine commerciale à but lucratif, qui commence à apprendre à travailler en Afrique. C'est pour ça que ça a pris de longs mois pour qu'on arrive à trouver un terrain d'entente sur lequel on peut coopérer et qui soit solide. Je crois qu'on l'a trouvé et, si on arrive à travailler ensemble entre l'AFD et la NBA, c'est une façon de dire qu'on peut travailler avec tout le monde. Même des choses les plus improbables, comme le fait que je réponde à une interview de BasketSession, ça peut arriver à quelqu'un comme moi (rires). [caption id="attachment_405670" align="alignnone" width="1400"] Joel Embiid a le talent et le charisme pour devenir l'une des plus grandes stars africaines de l'histoire du basket[/caption] BasketSession : Vous parliez tout à l'heure de l'impact des grandes figures du basket africain. Quel rôle pourrait avoir quelqu'un comme Joel Embiid aujourd'hui ? Rémy Rioux : Je l'avais croisé à l'occasion du All-Star Game à New Orleans, en 2017. A chaque fois, lors du All-Star Game, la NBA organise un déjeuner Afrique avec tous les joueurs présents et il y a généralement un petit colloque dans lequel on parle de l'Afrique et des actions qui y sont menées. Et puis il y a chaque année le NBA Africa Game à Johannesburg. J'avais pu rencontrer Embiid à ces occasions. Dans ce qu’on est en train de construire, chacun peut venir avec son histoire et ses projets personnels, en fonction de ce qu'il a envie de rendre ou d'apporter au développement de l'Afrique. On verra ce que fera Embiid. On peut faire des choses sans les joueurs, mais c'est effectivement la cerise sur le gâteau d'arriver à mettre en scène leur engagement, qu'ils font d'ailleurs parfois à titre privé. C'est aussi faire du développement de communiquer là-dessus. Ça commence par changer les perceptions et ça libère ensuite les énergies. BasketSession : Avec les grands changements que l'on connaît dans les façons de communiquer, quels seraient les mediums les plus appropriés pour relater les histoires dont vous parlez ? Rémy Rioux : Ma conviction, c'est qu'il y a beaucoup d'innovations en Afrique et qu'il y a beaucoup d'industries qui vont réinventer leur modèle économique au Sud, parce que la croissance est là-bas et que, souvent, les innovations y vont beaucoup plus vite. C'est l'exemple de la téléphonie mobile ou du paiement par mobile. Aujourd'hui, il y a plus de comptes bancaires par des mobiles en Afrique que dans l'ensemble du monde. L'Afrique est de très loin en avance sur cette thématique. Orange Banking a d'abord été expérimenté en Afrique avant d'être déployé en France. Les choses se passent aussi dans ce sens-là, ce n'est pas que de la France vers l'Afrique. On a aussi beaucoup à apprendre d'eux et ma conviction c'est qu'il n'est pas exclu que, dans des pays du Sud où il n'y a pas forcément une information de qualité, la capacité à payer pour de l'information soit peut-être plus élevée que chez nous. Un certain nombre de vos confrères sont en train de mettre en place des rédactions et une couverture spécifique de l'Afrique : Le Monde Afrique, Le Point Afrique, Paris Match Afrique... C'est sur de la presse print, un peu classique, mais il est évident que le numérique et les réseaux sociaux se diffusent en Afrique à une vitesse phénoménale. D'ailleurs, l'événement de cet été avec le Président Macron est devenu un peu viral. Il y a eu beaucoup de retombées, en particulier en Afrique, mais pas seulement. Et quand vous mettez le Président de la République qui communique, la NBA et, à moindre mesure, l'Agence Française de Développement, ça envoie quand même. La preuve, vous m'appelez (rires). Et on peut faire beaucoup plus, ce n'est qu'un début. Par ailleurs, nous sommes dans un contexte où la politique de développement et les moyens de la France pour accompagner le développement des pays d'Afrique vont augmenter fortement dans les prochaines années. On va surprendre, on va pousser, on va innover dans ce domaine.