L’appui et le beau temps
Et paradoxalement, c’est pour sa réinvention qu’il a laissé une trace indélébile dans l’histoire, pas pour ses années à planter ses 20 points dans des équipes médiocres avec généralement pour seul soutien un ailier shooteur surpayé (Glenn Robinson puis Rashard Lewis). On se rappellera forcément de l’ensemble de son œuvre (il va falloir plusieurs années à Stephen Curry pour battre son record de tirs à trois-points en carrière), mais il n’a jamais été aussi craint que quand il s’est enfin retrouvé dans des équipes compétitives après son transfert à Boston en 2007.« Tu vas gagner un titre à Boston », raconte-t-il au jeune lui-même dans sa lettre de retraite. « Tu vas en gagner un autre à Miami. Les personnalités de ces deux équipes seront très différentes, mais elles auront une chose en commun : la routine. Cette bonne vieille routine ennuyeuse. Je sais que tu veux que je te donne un grand secret pour réussir en NBA. Le secret, c’est qu’il n’y a pas de secret. C’est juste une bonne vieille routine. »Juste une bonne vieille routine. Drôle de façon de minimiser les milliers d’heures de travail acharné qui en ont fait l’un des meilleurs shooteurs de tous les temps, et l’un des plus clutches. Juste une bonne vieille routine qui lui a permis maintes et maintes fois de prendre le tir décisif avec un calme ahurissant, sans jamais bâcler ni ses appuis, ni son fouetté de poignet. Ses appuis. Voilà probablement ce qui en a fait un assassin légendaire, n’en déplaise à coach Karl. À Boston et à Miami, à chaque fin de match serrée, à chaque écran posé pour lui par un de ces intérieurs compétents sur qui il n’avait jamais eu la chance de pouvoir compter à Milwaukee ou à Seattle, la même crainte pour l’équipe adverse et des millions de fans : s’il parvient à placer ses appuis, c’est dedans. C’est ce sentiment, plus que les points qu’il a amassés pendant sa carrière ou la classe avec laquelle il a joué toutes ces années, qui en fait un Hall-of-Famer incontestable. Bien entouré, débarrassé du besoin d’être à la fois le moteur de l’équipe et celui qui fait venir les fans, Ray Allen s’est adapté. Une dernière mue qui clôt parfaitement son œuvre : le pistolero fatigué a trouvé le meilleur moyen de partir discrètement tout en s’assurant que tous ceux qui ne l’ont jamais réellement connu ne puissent jamais l’oublier. Ray Allen et la genèse de l’un des plus gros tirs de tous les temps