18 juin 2013, il y a 11 ans. Nous sommes aux alentours des 6h du matin en France. Pour les noctambules, insomniaques éphémères ou vrais fans NBA, les nerfs sont à vif. Le suspense insoutenable. Dans quelques minutes, les Spurs vont soulever le trophée. À l'American Airlines Arena, on commence à tout mettre en place pour voir l'ennemi sabrer le champagne sur son propre sol.
Deux ans après avoir subi le même sort lors d'un Game 6, contre Dallas. Plus personne n'y croit dans des travées qui commencent à se vider. Les visages sont livides. Et puis Ray Allen.
Il reste 28 secondes à jouer. San Antonio mène de quatre points (93-89), avec deux lancers à venir. L'affaire doit être pliée. Ginobili rate le premier lancer mais inscrit le second. +5. En deux temps, LeBron redonne de l'espoir sur un tir primé. +2. Comme Gino, Kawhi est fébrile sur la ligne. 1/2. +3 San Antonio. En 19 secondes, Miami doit trouver LE bon tir pour envoyer tout le monde en prolongation.
Profitant d'un écran de Chris Bosh, LeBron prend un tir loin d'être degueu dans l'aile. Ça rebondit. Mais Bosh file au rebond et attrape la gonfle. À côté de lui, Ray Allen, arrivé à l'été 2012, prépare rapidement ses mains. Très furtivement. En à peine une demie-seconde, il recule ses pieds, juste ce qu'il faut pour être bien derrière la ligne. Tony Parker lève les bras, d'une manière désespérée.
Sssssssswwiiiiiiiiiiiiiiiitcccchhhhhhhhhhhhhhh. Revenu de nulle part, le Heat a trouvé son sauveur. Celui qu'ils avaient engagé pour ça il y a un peu moins d'un an. Piqué à l'ennemi bostonien. Trois jours plus tard, Miami prenait place sur l'estrade et faisait le doublé.
Les Spurs n'ont pas réussi à tuer la bête qui était à terre. Et elle s'est ensuite échappée. Mais c'est surtout toute cette préparation au sacre des Texans que Ray Allen avait du mal à avaler. Un peu comme en 2001 où les Sixers fêtaient déjà leur place en Finales alors qu'il restait du temps sur l'horloge.
"Ils me hantaient", se rappelle-t-il. "J'étais en colère. Parce qu'en 2001, je ne me suis pas senti respecté. Parce que le match n'était pas terminé. Nous sommes sur le terrain et tout peut arriver. Et c'est arrivé de nouveau, ce manque de respect flagrant.
Les cordes ne signifiaient pas que le match était terminé. Elles signifiaient que la saison était terminée. Elles symbolisaient le sacre d'une équipe".
Ray Allen’s 3 pointer in game 6 of the Finals https://t.co/uWtE0dUlGj pic.twitter.com/4dmc7IK1Gt
— Javier A Toledo 4.0 (@Toledojavi16_) June 15, 2023
Ray Allen n'a pas oublié George Karl et... Tim Thomas
12 ans après, Ray Allen a donc eu l'occasion de se venger. Sur la plus belle des scènes. La point presque final d'une carrière basée sur cette arme du tir longue distance. Un geste soyeux, propre, fluide. L'un des plus beaux de tous les temps. Une mécanique naturelle, mais ô combien travaillée. Dans n'importe quelle circonstance, n'importe quelle position.
Durant les 18 années où il a côtoyé l'univers professionnel, "Jesus" s'est comporté comme tel. Il n'a, par exemple, jamais ingéré de junk food. Pas une fois.
À ses débuts dans la ligue, ce n'était pourtant pas la joie avec George Karl. Drafté par Minnesota puis envoyé à Milwaukee contre Stephon Marbury, le jeune Ray n'est pas sur la même longueur d'ondes que son coach. Ce dernier lui reproche son côté soft et le compare même à une "barbie" dans Sports Illustrated. Mais son passage avec Karl lui a été bénéfique pour ce Game 6 de 2013, grâce à l'aide involontaire d'un coéquipier de l'époque.
"Coach Karl et moi avions des conflits. Enfin, lui en avait avec moi. Moi, je ne lui ai jamais rien dit. La chose que j'ai apprise avec lui, c'était... vous savez quand un coach répète la même chose encore et encore et les gens pensent que vous êtes fatigué d'entendre ça ? Il avait l'habitude de toujours crier sur Tim Thomas.
Quand il attrapait une passe, la première chose qu'il faisait c'était de prendre un pas de recul pour ensuite avancer. Et les arbitres avaient l'habitude de siffler sortie dans le corner. George criait tout le temps sur lui.
Il lui criait dessus mais en même temps, il criait sur nous tous. Il a mis en tête à chacun d'entre nous de ne pas reculer, mais d'avancer et de se déplacer pour créer notre tir."
Le golf comme prise de conscience
La genèse d'un travail de fond qui restera ancrée dans ses habitudes. Mais le basket n'est pas ce qui a fait prendre conscience à Ray Allen que la répétition était la seule solution pour trouver la mémoire musculaire parfaite.
"Je jouais au golf un jour et j'essayais toute sorte de choses. Mais je ne savais pas où irait la balle. Parce que je ne l'avais pas vraiment travaillé. Alors j'ai commencé à penser. J'allais sur le parcours et je faisais des répétitions sur mon drive. Pour essayer de le faire de la bonne manière. Je pensais que j'étais prêt à jouer.
Une première fois, je me suis mis à 100 yard (91m) et je ne savais pas où la balle était partie. Je me suis dit 'je dois vraiment travailler ça. Je dois prendre le temps afin de savoir où ira ma balle à chaque fois que je ferais un swing'. J'ai commencé à penser à ça et je me suis dit que c'était la même chose avec le basket.
J'ai 24-25 ans et je me rends compte qu'il y a des moves que je ne pratique pas ou peu. Je m'y suis mis sans vraiment savoir exactement le résultat que ça donnerait."
Ray Allen commence alors à s'expérimenter à tous les styles de tirs. En étant allongé, poussé, assis, derrière le cercle. Et même frappé.
"Je l'ai fait à Milwaukee parce que Don Newman (assistant) avait l'habitude de prendre mes rebonds. Il me frappait à la hanche ou me donnait des coups de coude. Au début, ça m'ennuyait que ce mec me gêne pendant que je tire. Puis j'ai commencé à apprécier."
"Ray Allen, oh Shit"
De fil en aiguille, l'ancien d'UCONN s'est habitué à ces séances atypiques. Jusqu'à atteindre la quasi perfection dans son poignet, et dans ses déplacements sans ballon. Lorsqu'il débarque à Miami, sa réputation le précède. Lui qui vient de dépasser Reggie Miller dans le classement des shooteurs à trois points All-Time. Erik Spoelstra admet même qu'il avait un petit surnom concernant son 6e homme de luxe.
"Quand il était à Boston, on l'appelait "Ray Allen, oh shit". C'était sur les rebonds offensifs et on se demandait où il était passé. Il était le premier auquel je pensais quand Boston prenait un rebond offensif. Maintenant, c'est largement utilisé et enseigné.
Golden State l'a amené à un tout autre niveau. Mais Ray était le premier où vous ne pouviez pas vous détendre dans ces circonstances. Il a travaillé ça tellement de fois."
Si LeBron James et Dwyane Wade ont cette bague en plus, ils le doivent en grande partie à cet infatigable acharné qui a passé 18 ans de sa vie à ne laisser presque aucun détail au hasard.
"Le basket est un sport d'imperfections. Vous essayez de répéter ça autant que possible parce que vous ne savez jamais ce qui va arriver. Le truc, c'est peu importe qui tu es, le terrain ne change pas. Ça a l'air si aléatoire mais c'est répété. Dans les grandes équipes où j'ai évoluées, on a essayé de répéter le hasard.
Pour que tout le monde soit là où il est censé être. Pour moi, vous savez à combien de pas vous êtes du corner, sans mettre le pied dehors (...) J'ai essayé de bosser à chaque endroit du parquet. Parce que le match peut vous échapper si vous ne travaillez pas certaines choses."
Les Spurs peuvent bien le confirmer...