Il y a 25 ans, Vince Carter faisait du Slam Dunk Contest le meilleur concours (avec le Mano à Mano de 2016) de l’histoire du All-Star Game NBA. Avec aux pieds une paire de AND 1 Tai Chi rouge et blanche devenue mythique. L’occasion de revenir sur l’incroyable saga de la marque AND 1, qui a bouleversé les codes et sans laquelle le basketball ne serait pas tout à fait le même aujourd’hui.
Il est de ces marques qui sont plus que des success stories. Un temps concurrent de Nike et Adidas pour le titre de numéro 1 de la balle orange, il serait néanmoins réducteur de résumer AND 1 aux millions de paires de chaussures et d’accessoires écoulés à son prime.
Plus qu’une marque, AND 1 a en effet popularisé un lifestyle.
Aujourd’hui rentré dans les mœurs, au début des années 90, le basketball des playgrounds était passablement snobé par les grandes instances. Joué à toute heure de la journée en plein milieu de la ville, ce basketball rugueux et flashy détonait du style traditionnel. Plus sport individuel que collectif, il reléguait au second plan le strict respect des règles (passages en force, marchés, mains qui traînent...) pour mettre l’accent sur le spectaculaire des dribbles, des dunks et des passes, le tout dans une ambiance où le trashtalk était roi.
Débordant du cadre strict des terrains, ce basket de rue charriait avec lui un état d’esprit qui se mariait à merveille avec celui du mouvement rap naissant et ses ramifications (la culture du défi, la culture sneakers, les fringues boxy et colorées, le sens de la débrouillardise...).
Potentielle poule aux œufs d’or, à quelques exceptions près (le film Les Blancs ne savent pas sauter en 1992, la paire Adidas Streetball de 1993...), le basketball des playgrounds est étonnamment passé sous les radars du marché jusqu’à l’avènement de LA marque qui a su capter cet air du temps, AND 1.
De là, le cours du basketball a changé.
« It was all a dream »
L’histoire débute de manière presque anodine en 1993, à des années lumières de l’image sur laquelle AND 1 s’apprête à surfer. Trois étudiants de la Wharton School de l'université de Pennsylvanie, l'une des écoles de commerce les plus prestigieuses au monde (rattachée à l’Ivy League, ces huit universités privées d’élite de la côte est, elle a vu passer dans ses rangs Donald Trump et Elon Musk), Jay Coen Gilbert, Seth Berger et Tom Austin, s’associent dans le cadre d’un projet scolaire.
Passionnés de basketball, ils s’imaginent une marque de t-shirts qui reprendraient les répliques que se balancent les joueurs pour se chambrer – « Save yourself from embarrassment, pass the ball », « They call me the mayor, cause I do all of my work from downtown », « My game is like rice, one minute and you're done », « What’s wrong? Momma forget to pack your game? », etc.
Et pour appuyer l’agressivité du concept, ils choisissent comme nom « and 1 », une expression qui désigne un panier assorti d’une faute, ce qui vaut à l’attaquant de se voir attribuer un lancer-franc et ainsi l’occasion d’inscrire un point supplémentaire.
Une fois leur diplôme en poche, dès l’été suivant, nos trois « white boys » mettent leur plan à exécution. Ils trouvent un fournisseur, remplissent le coffre de leur voiture de t-shirts, et s’en vont démarcher directement les joueurs sur les playgrounds de Philadelphie et ses alentours.
Si dans les premiers temps, ils investissent à perte, très vite la sauce prend, à tel point qu’après moins d’un an d’existence, ils décrochent un deal avec le mastodonte Foot Locker.
Distribué dans 1 500 magasins dans tous les États-Unis, AND 1 gagne d’autant plus en visibilité que, dans la foulée, la marque se dote d’un logo iconique : The Player. Sorte d’hyperathlète sans visage, il symbolise toute la témérité et toute la confiance en soi que requiert la pratique du basket de rue.
Ces premiers pas dans la cour des grands sont ensuite suivis d’un bond en avant, quand, en 1997, AND 1 lance ses premières sneakers.
Le pari est alors risqué, d’autant plus que la marque fait le choix de miser, façon Nike avec Michael Jordan en 1984, sur un rookie tout juste âgé de 19 ans, Stephon Marbury. Star des playgrounds de la Grosse Pomme (le Rucker Park, The Cage…), comme Allen Iverson ou Isaiah Rider, il appartient à cette nouvelle génération de joueurs directement connectée au public des ghettos noirs qui s’apprêtent à bouleverser les codes du basket de papa.
L’acte fondateur
Il faut toutefois attendre 1999 pour qu’AND 1 devienne à proprement parler AND 1.
Fin 1998, une cassette vidéo atterrit dans les locaux. Si son auteur n’est aujourd’hui toujours pas clairement identifié (le site officiel évoque « un coach de lycée », d’autres sources référencent un DJ new-yorkais du nom de Set Free), ce dernier a eu l’idée (géniale) de se pointer caméscope à la main sur les playgrounds pour filmer, non pas des matchs, mais les moves les plus spectaculaires des joueurs, puis, de les compiler avec du rap en musique de fond (Common, Mos Def...).
Star de cette vidéo amateur, un certain Rafer Alston crève l’écran. Surnommé Skip To My Lou sur les terrains, balle en main, il semble capable de tous les prodiges, à tel point que la cassette sera rapidement surnommée la « Skip tape ».
Flairant le bon coup, AND 1 enrôle Alston comme ambassadeur, produit 50 000 copies de ladite cassette (non sans la remonter un peu et ajouter au passage du merchandising), la rebaptise la AND 1 Mixtape, et la distribue gratuitement partout où les amateurs de basketball gravitent (dans les camps d’entraînement, dans les maisons de disques, dans les centres de soins...).
L’engouement créé dépasse toutes les espérances. L'été suivant, plutôt que d’opter pour une campagne marketing traditionnelle, AND 1 donne ainsi suite à la Skip tape... qu’elle offre sous forme de DVD à l’achat d’une de ses paires de sneakers.
Conséquence, en quelques semaines à peine, près de 200 000 exemplaires trouvent preneurs !
Les astres s’alignent
Reste qu’aucune stratégie marketing du monde ne vaut pour une marque de voir le joueur le plus hype du moment chaussé de son modèle phare claquer le dunk le plus dingue de l’année sous l’œil des caméras du monde entier.
C’est ce qui va se produire le 12 février 2000 à San Francisco lors du Slam Dunk Contest du All-Star game.
Libre de tout contrat avec un équipementier à l’instant T, Vince Carter choisit de porter des AND 1 Tai Chi, ces sneakers bicolores inspirées de l’art martial chinois du même nom.
S’ensuit l’une des éditions du concours les plus relevées de l’histoire de la NBA au cours de laquelle celui que l’on surnomme Air Canada rentre dans la légende en s’imposant devant Tracy McGrady et Steve Francis.
À l’époque cadre chez AND 1, Ryan Drew se souvient : « C’était la meilleure série de dunks que j’avais jamais vue de ma vie. C’était des dunks que personne n’avait jamais vus auparavant. Et c’était comme si ces dunks avait été pensés pour la Tai Chi. Vince passait la balle entre ses jambes, il levait une jambe et passait la balle en dessous de l’autre... sur chaque photo, on voyait une chaussure à moitié rouge et l’autre à moitié blanche. C’était incroyable. Et après ça, pendant trois ou quatre mois, dès que l’on parlait NBA, c’étaient ces photos qui étaient utilisées. »
De phénomène de niche à phénomène culturel
Bien décidé à capitaliser sur ce succès, AND 1 creuse le filon en enchaînant les mixtapes et en multipliant les signatures (Kevin Garnett, Latrell Sprewell, Jamal Crawford, Ben Wallace...), mais aussi et surtout, en créant en 2002 le Mixtape Tour.
Tournée se déplaçant chaque été de villes en villes, elle fait s’affronter un groupe de streetballers sélectionné par ses soins à des joueurs locaux (les seconds ayant l’opportunité de se joindre aux premiers s’ils font leurs preuves).
Diffusée sur la chaîne ESPN, puis compilée en DVD sous forme de highlights rythmés par du bon gros rap new-yorkais (Mobb Deep, CNN, Talib Kwali, MOP...), l’émission cartonne et s’exporte à l’international.
Anonymes propulsés au rang de petites vedettes, des mecs répondant aux doux noms de Hot Sauce, The Professor, The Pharmacist, Escalade (frère défunt de Mark Jackson) ou Bad Santa voient leur moves imités partout dans le monde, des cours d’école... à la NBA.
Bien plus qu’un succès d’audience, le Mixtape Tour consacre au plus haut niveau ce basket « nouvelle école » où l’orthodoxie et les pourcentages de réussite comptent moins que les « Ohhh ! » et les « Whaooo ! » du public (pensez à tous les joueurs suscités, plus les Jason Williams, Paul Pierce, Larry Hughes & Co.)
Désormais commercialisé dans 130 pays, AND 1 atteint son pic de popularité.
Cerises sur le gâteau, tandis qu’en 2004 Chauncey Billups est sacré MVP des finales AND 1 Rises aux pieds lorsque les Detroit Pistons arrachent le titre aux Los Angeles Lakers, deux ans plus tard, le AND 1 universe est transposé en jeu vidéo sur PlayStation 2 et Xbox avec AND1 Streetball.
Mais que s’est-il passé ?
Pour qui a connu AND 1 dans les années 10, c’est peu dire que ce glorieux passé a de quoi surprendre. Marque de supermarché et de bac à solde, ses sneakers sont alors au basketball ce que les Skechers sont à la mode.
Pour qui a connu AND 1 dans les années 00, la dégringolade est d’autant plus impressionnante qu’elle s’est produite en deux temps trois mouvements.
La faute essentiellement à son propre succès.
Tout d’abord concurrencé sur son terrain par de plus gros poissons (cf. la publicité Nike Freestyle qui ressemblait à un copier-coller de ses mixtapes), AND 1 s’est surtout un peu trop reposer sur ses lauriers pour espérer durer. Synonyme d’énergie brute et explosive à ses débuts, la marque s’est tout simplement embourgeoisée.
Pensant à tort que la mode du streetball ne s’éteindrait jamais, ses produits sont restés désespérément les mêmes (des baskets blanches bicolores) alors même que sous l’influence d’une nouvelle génération de joueurs et d’une volonté de la NBA de polir son image (règles rendant le jeu moins physique, dress code de 2005...), le basketball changeait.
Ajoutez à cela des embrouilles contractuelles avec ses joueurs maison, un rachat en 2005 par le conglomérat American Sporting Goods, le licenciement de 20% du personnel, l’avènement de Youtube et du format MP3 qui ont rendu obsolète l’achat de DVD... et voilà comment AND 1 s’est ringardisé avant l’heure.
Un héritage avant tout
Longtemps sous respiration artificielle, AND 1 semble cependant reprendre du poil de la bête depuis son trentième anniversaire l’année dernière. Devenue propriété du groupe Galaxy Universal en 2021, la marque s’est lancée dans une opération revival qui lui vaut de refaire à l’occasion l’actualité (sponsoring de jeunes pousses, organisation de tournoi de rue, rereleases, collab’ avec Mitchell & Ness...).
Brand director chez Galaxy Universal, Dexter Gordon y croit en tout cas dur comme fer : « AND 1 mérite le Hall of Fame. La marque a changé la culture de A à Z. La manière de s’habiller, la manière de jouer, les mixtapes, les t-shirts trashtalk... AND 1 et ses joueurs ont tout révolutionné. Ils méritent le Hall of Fame. Point à la ligne. »
Je conseille le docu Netflix sur le sujet qui reprend également toute l'histoire de AND1 et sa dégringolade... il faut aussi mentionner le fait que Stephon Marbury qui se fait une énorme entorse avec leurs chaussures aux pieds et qui a contribué à aller sur le streetball et non essayer de s'imposer dans la Grande Ligue