Pourquoi 30 ans après Hoop Dreams reste le meilleur documentaire sur le basket ?

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Pourquoi 30 ans après Hoop Dreams reste le meilleur documentaire sur le basket ?

Aussi surprenant cela puisse paraître, Hoop Dreams ne devait au départ durer que 30 minutes.

Quand, en 1987, le réalisateur Steve James et du producteur Frederick Marx se mettent en tête d’aller filmer les playgrounds de Chicago, ils ne souhaitent alors consacrer que trois petites semaines à leur sujet.

Sur place, ils tombent cependant très vite sur un « recruteur local », un certain Earl Smith, qui leur présente deux adolescents de 14 ans bourrés de talent, Arthur Agee et William Gates. Le courant passe, et, une chose amenant une autre, James et Marx commencent à fréquenter leurs familles en dehors des courts.

De là, le projet prend une toute autre envergure. Persuadés d’avoir déniché tous les ingrédients un storytelling d’exception, James et Marx s’adjoignent les services du producteur Peter Gilbert afin d’augmenter sensiblement leur budget et le temps de leur séjour.

Et c’est ainsi que le 14 octobre 1994, cinq ans de tournage et 250 heures de rush plus tard (!), Hoop Dreams sort dans les salles de cinéma, changeant à jamais la vie des intéressés, la place accordée aux documentaires sportifs, mais, aussi et surtout, bouleversant de fond en comble la perception que se fait le grand public du processus de recrutement des athlètes professionnels.

De la sueur et des larmes

Long de presque 3 heures, Hoop Dreams suit les parcours croisés d’Arthur et William, deux surdoués de la balle orange qui rêvent les yeux grands ouverts de NBA. Sauf que bon, entre enquiller les paniers après l’école et décrocher un contrat pro, il y a un fossé – fossé dont chacun va prendre conscience à ses dépens de leur première saison au lycée à leur début à l’université.

[Sur 10 000 lycéens, seuls 3 seront un jour drafté par une franchise...]

Recrutés par le prestigieux Saint Joseph’s High School (célèbre pour avoir été l’alma mater du Bad Boy Isiah Thomas), Arthur et William tombent sur sous la coupe du coach Gene Pingatore. Dès lors, le basketball cesse d’être un jeu.

Vieux briscard, mi-père de substitution mi-chef de plantation, pour lui seule la victoire compte. Du genre « possédé » pour reprendre les mots de William, il s’emploie du mieux qu’il peut à tirer parti de ses jeunes recrues, qu’import s’il lui faut les humilier ou les faire chanter.

Lorsqu’en junior William se blesse salement au genou, avant même qu’il ne soit rétabli à 100%, Pingatore le pousse à revenir au plus vite, contre l’avis des médecins. Plus craintif balle en main, William se blesse 48 heures plus tard et retourne derechef au bloc opératoire, la confiance dans les chaussettes.

Plus cruel encore, Arthur, qui chaque jour se lève à 5h30 du matin allé en cours, est tout bonnement exclu de Saint Joseph, sitôt que sa famille n’est plus en mesure de payer ses frais de scolarité.

Intraitable, Pingatore, qui déjà ne croit plus en lui autant qu’avant (la faute à une croissance qui se fait attendre), laisse faire. Direction le lycée public, et déjà ses rêves « d’acheter une maison pour sa mère, une Cadillac pour son père et de mettre ses frères et ses sœurs bien » s’éloignent.

S’il est un peu facile de faire de Pingatore le grand méchant du film (amoureux sincère du basketball, il ne fait que se jouer d’un système autant que ce système se joue de lui), il est de ceux qui participent à traiter la jeunesse des ghettos comme de la chair à canon.

Ou comme il le résume à la toute fin, après que William et lui se soient faits des adieux aussi ternes que convenus : « Quand un joueur passe la porte dans un sens, un autre joueur passe la porte dans l’autre sens. Ce n’est pas plus compliqué que ça. »

Quelque chose de pourri au pays de l’Oncle Sam

La dure réalité des parquets n’est toutefois pas la seule à laquelle Arthur et William sont confrontés. Loin de là.

Purs produits de leur environnement, ils font face à tout ce qui ne va pas dans un ghetto noir américain moyen, à commencer par une précarité qui ne leur laisse aucun répit.

Drogues, criminalité, chômage, infrastructures à la ramasse, coupures d’électricité... l’un des passages les plus crève-cœur de Hoop Dreams est certainement celui où Sheila, la mère d’Arthur, lance désespérée : « Vous demandez-vous parfois comment je fais pour vivre ? ».

Sans emploi, séparé d’un mari qui à trop fumer la pipe à crack la battait, elle ne dispose à cet instant T que de 268 dollars par mois pour nourrir ses enfants...

Guère mieux loti, William sent la pression se faire de moins en moins saine, entre un grand frère Curtis, ancien espoir déchu qui ne vit plus qu’à travers lui, et une paternité qui arrive sans prévenir.

Sorte de film dans le film, cette plongée dans le quotidien des deux ados est d’autant plus pénible à regarder qu’Arthur et William voient leurs illusions s’envoler les unes après les autres.

À la merci de cadres blancs replets qui les traitent tels des numéros de série (voir cette scène lunaire où, sur un plateau télévisons, des reporters qui ont quatre fois leur âge discutent cigares à la main de leur avenir), ils sabordent leur seule autre porte de sortie, l’école. Menacés à tout instant de suspension pour cause de résultats scolaires à la ramasse, incapables de comprendre les enjeux, à chaque fois que le sujet est abordé, ils se murent dans l'absence.

Fort heureusement, Hoop Dreams est entrecoupée çà et là de lueurs d’espoir, comme avec Sheila, la mère courage d’Arthur, qui, sans rien dire à personne, prend des cours du soir et décroche à la surprise générale un diplôme d’infirmière.

Petit bémol : là où la foule se presse chaque semaine pour applaudir son fils sur un terrain, lorsqu’elle reçoit son diplôme, la salle de réception est quasiment déserte, quand bien même c’est elle qui mérite le plus une standing ovation.

Hoop Dreams, plus que du basket

Filmé avec brio, les scènes de basketball illustrent à merveille cette ambivalence, avec d’une part, une caméra qui capture au plus près l’action sur le terrain, et de l’autre, une caméra qui se concentre sur les réactions des proches en tribune.

Aller-retour permanent entre le spectaculaire et l’intime, Hoop Dreams se sert du sport comme d’un cadre pour raconter une histoire beaucoup plus universelle : celle de deux adolescents au seuil de leur vie, qui, à la manière du jeune berger Santiago dans L’alchimiste de Paulo Coello, vont accomplir leur légende personnelle, réalisant chemin faisant que « c'qui compte c'est pas l'arrivée, c'est la quête ».

Plusieurs années après sa sortie, William déclarera d’ailleurs que « si Hoop Dream émeut tant, c’est que le script tient la route avec ou sans le basket. Se battre pour ses rêves, cela parle à tout le monde. ».

Et tant pis, si ni lui, ni Arthur n’ont un jour porté un uniforme NBA...

30 ans après, que sont-ils devenus ?

Pourtant construit selon la très hollywoodienne trame « de zéro-à-héros », Hoop Dreams ne se termine en effet absolument pas sur une note triomphante. Un simple texte blanc sur fond noir renseigne le spectateur qu’une blessure au pied a lourdement handicapé la carrière universitaire de William tandis qu’Arthur y croit encore.

La saison 1994/1995 (celle qui la sortie du documentaire) marquera le chant du cygne pour nos deux aspirants pro, chacun affichant des stats largement insuffisantes pour un futur drafté (8,3 points de moyenne à 37,8% de réussite pour Arthur, 2,6 points de moyenne pour William).

Bonnes nouvelles toutefois, ils quitteront ensuite l’université diplôme en poche, puis grâce au chèque de 200 000$ reçu pour leur participation à Hoop Dreams quitteront le ghetto – sorti en salle, le documentaire a rencontré un vrai succès public, chose inédite pour ce format à l’époque.

Aujourd’hui respectivement pasteur et conférencier, tous deux grands-pères, William et Arthur se retrouvent régulièrement devant les caméras pour évoquer tout sourire leur passé commun, eux qui ne craignaient rien tant de sombrer dans l’oubli trente ans auparavant.

[« Quand les gens me disent ‘Ne m’oublie pas quand tu joueras en NBA’, j’ai envie de leur répondre ‘Ne m’oubliez pas non plus si je ne joue pas en NBA’ » aimait à répéter William.]

Le destin n’a cependant pas été aussi clément pour leurs entourages : Curtis, le frère de William, est mort par balles en 2001 pour une histoire de triangle amoureux ; Bo, le père d’Arthur, a été tué en 2004 lors d’une rixe.

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