Il y a une notion très subjective derrière la définition d’un MVP ou du moins de la première lettre de son mot clé, « valuable. » La valeur d’un joueur, son impact réel sur le terrain et sa capacité à faire gagner son équipe sont difficiles à quantifier malgré la pléthore de statistiques qui existent justement dans ce but précis : déterminer qui est le meilleur. C’est pourquoi, pour certains, ça ne fait aucun doute, Nikola Jokic doit remporter un troisième trophée de suite. L’ironie, c’est que d’autres affirment que le lauréat est Joel Embiid et ils sont eux aussi tout autant convaincus par leur prise de position. Sans compter ceux qui miseraient plutôt sur Giannis Antetokounmpo.
Bref, il y a autant de MVP que de définition. Sauf qu’il est un peu trop facile d’en rester là. Après tout, il faut bien un vainqueur. Jokic est le grand favori à une (petite) dizaine de matches de la fin de la saison. Un sondage récent réalisé par le journaliste Tim Bontemps auprès d’une partie des votants donnait le Serbe assez largement en tête. La course, si engagée entre de nombreux candidats pendant les trois premiers mois de la saison, semblait déjà pliée.
Et pourtant… récemment, un autre insider qui possède le droit de vote, Zach Lowe, confiait ne pas savoir à qui il offrirait sa voix. Il en profitait d’ailleurs pour passer un coup de gueule envers ceux – médias et dirigeants NBA – qui considèrent comme un blasphème tout choix qui serait différent du leur sur la question. Autrement dit Michael Malone, qui répète qu’il ne faut pas regarder le même basket pour penser que son poulain n’est pas le MVP, et Daryl Morey, Président des Philadelphia Sixers devenu insupportable sur Twitter en multipliant les « RT » et « likes » ridicules sur le sujet.
En effet, il convient d’apporter de la nuance et de se rendre compte qu’encore une fois, tout n’est pas simple. Il y a tout de même trois joueurs qui se détachent cette saison : Nikola Jokic, Joel Embiid et donc Giannis Antetokounmpo. Luka Doncic a perdu pied en même temps que les Dallas Mavericks. Jayson Tatum, bien qu’excellent, paraît un peu en-dessous malgré la belle saison des Boston Celtics. La lutte entre le trio de tête est peut-être plus serrée qu’elle n’y paraît.
Joel Embiid
Lors de notre dernier podcast consacré à Embiid, nous nous sommes demandés si le Camerounais pouvait encore être élu MVP cette saison. Une question qui se pose parce que le pivot All-Star des Sixers est en pleine bourre. Il reste sur des performances à 34, 39, 39, 42, 31, 35, 27 et 41 points sur ces huit dernières rencontres. Avec dans le lot un game winner difficile, élégant et retentissant contre les Portland Trail Blazers. Il atteint son pic de forme au meilleur moment de la saison puisque ses performances récentes vont forcément rester dans les esprits des membres du panel qui vont voter d’ici quelques semaines.
Podcast #82 : Et si c’était enfin l’année de Joel Embiid ?
Ça a clairement son importance. L’an passé, Jokic a notamment battu Embiid en finissant très fort – 29 points de moyenne après le All-Star Game contre 26 avant – avec même 38 pions de moyenne sur les quatre derniers matches disputés en avril. Pareil pour Giannis en 2019. Il avait fini les trois derniers mois à 30, 29 et 34 points par match alors qu’il était sur des pointes à 25, 28 et 25 sur les trois premiers. La récompense a beau concerner l’ensemble de la saison, les votants restent des humains et les matches les plus récents sont, par définition, plus frais dans leurs têtes.
Ce n’est pas comme si Embiid avait attendu le mois de mars pour briller. Il a été excellent et régulier depuis octobre. Avec par exemple seulement 5 matches sous les 25 points… ce qui reste une performance assez impressionnante. Le joueur de 28 ans n’a sans doute jamais atteint ce niveau de domination physique et technique. Il est à son apogée et il fait des dégâts contre chaque équipe, chaque défense, chaque stoppeur. Des prestations dignes d’un MVP.
Nikola Jokic
Les points ne font pas tout. Jokic marque 7 points de moins qu’Antetokounmpo et 9 de moins qu’Embiid mais ça ne le rend pas moins « valuable. » Au contraire, c’est sans doute bien meilleur signe pour les Denver Nuggets quand il s’applique surtout à impliquer tous ses camarades pour les mettre en rythme, rendant ainsi l’attaque de l’équipe encore plus imprévisible. Il est à 24 points et presque 11 passes lors des victoires des siens. 26 et… 7 dans les défaites. Ça risque d’être d’ailleurs le plan en playoffs : le laisser marquer et le couper des autres. Il sait le faire, bien sûr, mais la franchise du Colorado perd de sa splendeur quand il devient plus scoreur que playmaker.
Nikola Jokic, portrait nuancé d’un défenseur complexe
Mais c’est un autre sujet. Revenons au MVP. La majeure partie des métriques avancées témoignent en faveur du Serbe. C’est la plaque tournante des Nuggets. D’un côté, c’est aussi ce qui explique le fait que Denver tourne moins bien dès qu’il sort, ce qui fait gonfler toutes les stats ON/OFF du bonhomme depuis trois ans. C’est quasiment impossible de reproduire le même système de jeu dès que Jokic n’est pas là. Et sans un vrai guard très fort au scoring – Jamal Murray n’est pas encore revenu à son meilleur niveau et ça n’était déjà pas un All-Star avant – l’adaptation est difficile.
James Harden peut prendre le relais à Philly. Jrue Holiday, Khris Middleton ou même simplement la rigueur défensive de Milwaukee peut parfois suffire sans Giannis. Denver n’a pas forcément une équipe beaucoup moins forte mais elle est simplement moins armée pour survivre sans sa superstar. Du coup, est-ce que ça le rend plus ou… moins « valuable » ? Le terme dépend finalement du contexte dans lequel chacun se trouve. Les Mavericks sans Doncic joueraient pour Victor Wembanyama. Est-il le MVP ?
Giannis Antetokounmpo
Le « Greek Freak » est le troisième larron un peu trop souvent oublié dans cette course pour le trophée. Il est sans doute le meilleur joueur du monde. Une partie du public tend d’ailleurs à confondre basketteur le plus fort de la planète et meilleur joueur de la saison. Mais ça joue tout de même puisqu’au final, Antetokounmpo est probablement le type le plus dominant de la NBA. Il a atteint une telle régularité dans l’excellence que ses moyennes en deviennent presque banales. Ça ne devrait pas.
Son impact des deux côtés du terrain dépasse les statistiques. Le « eye test » est peut-être ls plus éloquent pour Giannis que pour n’importe quel autre des candidats. Sa puissance, son explosivité, sa vélocité, sa combativité… tout ça ressort à l’écran et ça dégage une impression de supériorité assez bluffante. Il suffit de regarder ses dernières prestations pour être tenté de lui donner le MVP : 36 points contre les Phoenix Suns, 41 contre les Sacramento Kings. Le tout en roulant sur tout le monde.
Qu’il soit élu ou non, Giannis Antetokounmpo confirme année après année qu’il est bien parti pour faire une carrière absolument incroyable. Déjà champion, deux fois MVP, DPOY… un « All-time Great », sans aucun doute.
Nikola Jokic, vraiment loin devant tout le monde ?
Alors comment départager ces trois montres ? Jokic est celui qui a joué le plus de matches (61) et ça aussi ça doit compter. Rester en bonne santé et jouer soir après soir en maintenant un haut niveau de performance fait partie de la définition d’un MVP, quelle que soit celle retenue finalement. Mais ce n’est pas non plus comme si Embiid et Antetokounmpo en avaient joué beaucoup moins. 54 chacun. Il y aura sans doute moins de 10 rencontres d’écart entre les candidats.
Les statistiques brutes sont impressionnantes pour chaque joueur. 33,4 points, 54% aux tirs, 35% à 3, 85% LF, 10 rebonds, 4,1 passes, 1,1 steal, 1,6 block en 35 minutes pour Embiid. 31,5 points, 54% aux tirs, 28% à 3, 65% LF, 11,9 rebonds, 5,5 passes, 0,7 steal, 0,8 block en 32,6 minutes pour Giannis. 24,7 points, 63% aux tirs, 40% à 3, 81% LF, 11,9 rebonds, 10 passes, 1,2 steal, 0,7 block en 33,8 minutes pour Jokic. Ce dernier peut devenir le troisième joueur de l’Histoire à finir une saison en triple-double après Oscar Robertson et Russell Westbrook. Un accomplissement incroyable pour un pivot.
Le bilan collectif joue traditionnellement un facteur important dans la course au trophée. Il joue tous pour une équipe classée dans le top-3 de leur Conférence. Les Milwaukee Bucks ont le meilleur bilan en NBA avec 50 victoires et 19 défaites. Les Philadelphia Sixers ont désormais un pourcentage légèrement supérieur aux Denver Nuggets : 45 victoires et 22 défaites (67%) contre 46-23 (66,7%). Il est important de noter qu’Antetokounmpo est le joueur avec le meilleur bilan quand il joue : 41-13 contre 43-18 pour Jokic et 36-18 pour Embiid.
Ça tend à montrer que Milwaukee rase tout sur son passage avec sa superstar. Et là encore, ça fait penser à des caractéristiques recherchées au moment de décerner le MVP. La série de 16 victoires consécutives des Bucks – et même 21 victoires sur les 23 derniers matches – restera l’un des moments marquants de la saison. Si le trophée doit résumer un exercice en question, alors cette série peut jouer en faveur de Giannis.
Jokic a quelques performances irréelles qui vont rester dans les mémoires. Tous les triple-doubles, bien sûr, mais notamment ses 40 points, 27 rebonds et 10 passes contre Charlotte. Ou les 22 points, 14 rebonds et 16 passes lors d’un succès contre Golden State. La stat la plus folle ? Il n’est descendu que deux fois sous la barre des 50% aux tirs. Une saison sous le symbole de l’efficacité maximale.
Embiid a une ribambelle de matches références. 11 sorties à 40 points ou plus dont 2 au-dessus des 50 ! Avec même 59 points contre Utah. Ou 47 contre les Nuggets d’un certain Jokic… les duels entre candidats au MVP sont scrutés de près. Celui-ci était clairement à l’avantage du Camerounais. Les Sixers ont d’ailleurs aussi gagné 2 des 3 matches contre les Bucks, avec un Giannis plus maladroit que d’habitude. Jokic n’a pas joué contre Milwaukee, « esquivant » l’affrontement direct avec Antetokounmpo.
L’idée n’est pas de descendre la candidature de Nikola Jokic. Il garde sans doute une longueur d’avance dans une course au MVP qui ne semble finalement pas jouée. L’écart n’est pas si grand entre les trois différents favoris. Le sprint final peut encore changer les cartes… et les votes.