La descente aux enfers de Richard Dumas
On comprend totalement la déception et la douleur qu’a dû ressentir Richard Dumas à ce moment de sa carrière. Mais, après tout, l’avenir n’avait jamais paru plus splendide. Après une telle première saison et avoir prouvé, en finales, qu’il pouvait être un joueur décisif, tout était en place pour qu’il puisse prendre son envol pour de bon. Tout, sauf ce satané poids qui continuait de le tirer vers le bas.
Durant l’été qui a suivi, il s’est retrouvé convié, tous frais payés, pour une séance de signature d'autographes à Hawaï. Comme il venait de se marier, il s’est dit que l’occasion était parfaite d’en profiter pour transformer ce voyage en lune de miel.
Une fois sur place, après une dispute avec sa bienaimée, Richard sort de l’hôtel pour se changer les idées et tout s’accélère alors. Quelques heures plus tard, il se retrouve à l’autre bout de l’île avec de la cocaïne pour nouvelle compagne.
A son retour, il doit à nouveau entrer en désintox et se retrouve suspendu pour toute la saison. Après deux saisons blanches en trois ans, impossible pour lui de retrouver ni son efficacité, ni la rigueur nécessaire pour briller au plus haut niveau.
"C'est parce que je ne bois pas que mon jeu se détériore comme ça."
Au début de la saison 1995-96, John Lucas, qui est alors head-coach des Sixers, lui redonne une chance, mais veut absolument qu’il arrête l’alcool. Quand il comprend que Dumas règle ses horaires de boisson en fonction des horaires des tests d’alcoolémie, il change le planning pour l’obliger à arrêter complètement. Pendant ce temps, ses performances ne cessent de chuter.
« Le coach me disait ‘‘Tu vois que tu ne peux pas jouer en buvant de l'alcool’’ et moi je lui disais ‘‘Mais non, justement, c'est parce que je ne bois pas que mon jeu se détériore comme ça. Je n'ai même plus envie de jouer’’. C'était l'une de mes pires années de basket de toute ma vie.
Je ne voulais plus avoir affaire à la NBA, je me suis dit que je pouvais tout aussi bien gagner ma vie en allant jouer à l'étranger. »
Et c’est là que Richard reprend son exil. Grèce, Pologne, Bosnie, les ligues mineurs et même Montpelier, il écume les championnats européens comme un journeyman. Sur le Vieux Continent, il arrête la drogue, mais pas l’alcool.
« Ils s'en foutent de l'alcool, là-bas. Certains proprios m'emmenaient même au bar avant les matches pour que je sois prêt à jouer. »
Une telle hygiène de vie n’est pas compatible avec le haut niveau et, en 2003, dix ans pile après avoir affronté Jordan les yeux dans les yeux sur la plus grande scène du monde, c’est la blessure : une rupture du tendon rotulien qui signe la fin de sa carrière pro dans un anonymat quasi-total. C’est la fin d’un voyage, mais pas de l’aventure.
Toucher le fond...
De retour au pays, il vit de petits boulots et travaille notamment un temps dans l’usine Whirlpool de Tulsa, là où il a grandi.
« Je n'ai jamais eu de problème à trouver du travail », explique-t-il.
« Mon souci, ça a toujours été de le garder, parce qu'avec mon état mental, je finis toujours par insulter quelqu'un ou par craquer. J'ai fait tout un tas de petits jobs. »
Si, dans la vie de tous les jours, il est moins enclin à subir la pression médiatique et à être entouré par des foules comme lorsqu’il jouait, cela ne veut pas dire pour autant que ses problèmes personnels sont résolus ou qu’ils ne lui posent plus de problèmes. Il tente néanmoins d’aller de l’avant et, en 2011, il espère même s’investir auprès de la communauté, dans l’Oklahoma.
« Je voulais monter un programme de basket, mais j'avais besoin d'argent pour lancer tout ça et pour avoir un endroit où vivre. La nana qui m'aidait à monter le programme avait une entreprise de pressing. Du coup, j'y travaillais par intermittence, en plus de mes activités d'entraîneur, pour mettre un peu de beurre dans les épinards. »
Ça suffit pour dépanner, mais pas pour vivre confortablement. Et un jour, il craque. Il vole des babioles (quelques DVD's, deux paires de basket, quelques bouteilles d'alcool) dans un grand magasin qui se situait sur une base militaire à côté de chez lui. Et bien sûr, il se fait chopper.
« Ils n'ont pas porté plainte et ils ont accepté de me laisser repartir si je ne revenais plus sur la base. »
Richard Dumas s’en sort bien et oublie cette histoire. Pendant deux ans, tout se passe bien. Son programme de basket s’organise, il passe même à la télé locale pour en faire la promotion et un mécène est sur le point d’offrir 10 000 dollars pour financer tout le projet, quand la police déboule un jour à son bureau pour lui passer les menottes. L'Etat venait de décider de reprendre les charges qui avaient été abandonnées par la base militaire…
« Quand j'ai revu les enfants et les parents, je ne me suis pas caché, je leur ai dit direct ‘‘Oui, c'est vrai, j'ai fait tout ça, mais c'était avant que vous ne me connaissiez'’’. Mais ça a été la mort du programme. »
... pour espérer remonter enfin à la surface
Tout s’écroule et Richard se retrouve avec une peine de trois ans de prison avec sursis. Paradoxalement, c’est au moment où il touchait à nouveau le fond qu’il a pu trouver les ressources pour rebondir et repartir sans reprendre les mêmes (mauvaises) habitudes.
« Durant ces trois années, c'est vraiment là que j'ai commencé à en apprendre plus sur la santé mentale et qu'on a commencé à me donner des médicaments pour m'aider. J'ai fait de la thérapie de groupe aussi, ça m'a bien aidé. »2419
Enfin, il peut mettre des mots sur ce qui le rongeait depuis toujours et comprendre un peu mieux l’instabilité émotionnelle dont il souffrait.
« Je souffre de dépression bipolaire maniaque et d'un comportement anti-social », explique-t-il.
« C’est ce qui fait que je peux devenir super énervé ou très déprimé en un instant et me mettre à pleurer, sans pouvoir me contrôler. »
Aujourd’hui, la société a beaucoup évolué sur toutes ces questions et des athlètes tels que Metta World Peace, DeMar DeRozan ou Kevin Love ont beaucoup contribué à faire évoluer les mentalités et les consciences. Mais en 1993, on en était encore bien loin...
« Si on avait su autant de choses à mon époque, peut-être que je n'aurais pas eu besoin de boire un pack de bière avant chaque match et que j'aurais pu rester en NBA et gagner des millions de dollars », lâche Richard , avec plus de regret dans la voix que de réelle amertume.
D’ailleurs, ce qui frappe le plus chez Richard Dumas, c’est la manière presque détachée qu’il a de parler de sa vie. On a beau se souvenir de ses actions d’éclat et se torturer l’esprit à essayer d’imaginer quelle aurait pu être sa carrière si…, lui paraît en paix avec toute cela, prêt à se relever et à poursuivre sa route, comme il l’a toujours fait.
Parmi ses projets, l’écriture d’un livre autobiographique pour partager son vécu, son parcours et témoigner de son tempérament de survivant. Il lui reste encore un chapitre de sa vie à écrire, le plus beaux, forcément, puisque c’est celui de tous les possibles. On a hâte de le découvrir avec lui et on espère qu’il sera enfin empreint d'un peu de sérénité.