Pau Gasol, déjà lui, les cheveux et la barbe hirsutes, sautille de coéquipier en coéquipier pour les enlacer, les embrasser et les féliciter. Le match n’est pas encore fini mais son Espagne compte déjà 26 points d’avance à 2 minutes de la fin de cette finale du Mondial de basket au Japon, face à la Grèce de Theodoros Papaloukas, Vassilis Spanoulis ou encore Dimitrios Diamantidis. S’il n’a pas disputé cette rencontre en raison d'une grosse blessure à la cheville survenue en demi-finale face à l’Argentine, le géant espagnol des Memphis Grizzlies va tout de même récupérer son trophée de champion du monde et de MVP de la compétition… en béquilles. Si beaucoup de fans de basket ont des souvenirs assez sommaires sur ce tournoi disputé il y a déjà dix ans, ce fut pourtant un virage très important dans le basketball international.
La naissance d’un ogre des compétitions FIBA
Cette année là, la Roja réalise le parcours parfait. Pourtant, à l’époque, les Espagnols ne portent pas encore le costume de favoris qu’ils ont maintenant systématiquement. Seuls Jose Calderon et Pau Gasol sont confirmés en NBA, à Toronto pour l’un et à Memphis pour l’autre. Mais après cette victoire et un tournoi formidable ponctué par 9 victoires pour aucune défaite, les Ibériques ouvrent la voie vers une domination terrible et un règne sans partage ou presque sur leur continent.
[caption id="attachment_334419" align="alignright" width="318"] Les frangins Gasol avec un Marc en mode samouraï.[/caption]Paradoxalement, le championnat du monde ne leur réussira plus (6e et 5e place en 2010 et 2014), mais l'Euro deviendra leur jardin et le podium leur salle à manger : médaille d’argent en 2007, de bronze en 2013, mais surtout l’or en 2009, 2011 et 2015 (en France...). Avec, à chaque fois ou presque, une équipe à la cohésion incroyable, qui résiste aux retraites de joueurs fantastiques comme Jiménez et Garbajosa en jouant sur l’expérience, la maestria d’un Navarro, le vice d’un… de TOUT LE MONDE et, bien sûr, une raquette de Power Rangers, incarnée par les frères Gasol.
Ce règne aurait pu être encore plus écrasant si l’Espagne n’avait pas été stoppée par deux fois en finale des Jeux Olympiques 2008 et 2012 par une fantastique Team USA. En étant tout de même la seule équipe à lui résister autant, notamment à Pékin contre la ‘Redeem Team’, dans un match considéré par certains comme le plus beau match de l’histoire du basket international. Mais justement, ces Américains en 2006… ¿ Dónde estaban ?
Une baffe pour les Américains… La dernière
Si les Grecs n’ont pas à rougir de leur tournoi malgré une grosse valise en finale (70-47 tout de même), c’est parce qu’ils ont réalisé l’une des plus belles performances du basket moderne en bottant les fesses de Team USA. Une équipe alors composée des stars de la Draft 2003, Carmelo Anthony, LeBron James, Chris Bosh et Dwyane Wade, fraîchement auréolé d’un titre NBA avec le Heat et d’un trophée de MVP des Finales. Et de quelle manière ! Les Américains, comme depuis le début de la compétition, pratiquent leur jeu habituel, faisant parler leur densité physique en défense, leur percussion en attaque, une présence aux rebonds des deux côtés du terrain et des contres-attaques éclairs. Autour des starlettes de la promo 2K3 et d'un Dwight Howard en pleine progression, des joueurs "de devoir" comme Kirk Hinrich, Brad Miller ou Shane Battier.
[caption id="attachment_334422" align="alignleft" width="318"] Team USA 2006 avec Melo, LeBron, D-Wade et Bosh.[/caption]Mais l’attitude n’y est pas, Mike Krzyzewski qui venait de lancer le plan à long terme d’un retour aux sommets avec Jerry Colangelo, prend une leçon de coaching de la part son homologue grec Panagiotis Giannakis. Le premier quart donne l’impression que les Américains vont surclasser les Grecs et rentrer se coucher, tant les coéquipiers de Diamantidis semblent étouffer. Howard fait un ménage pas possible dans la peinture, le pivot star des grecs Lazaros Papadopoulos est vite handicapé par les fautes, mais habilement la Grèce reste à flot. Le reste sera un véritable récital de basket.
L’impact physique (c’est peu de le dire) de Sofoklis Schortsianitis, sorte de King Kong des parquets, assoie la domination grecque. Puis tour à tour, les Papaloukas, Fotsis, Spanoulis et bien sûr Diamantidis, vont faire la chanson aux starlettes américaines. Derrière l’apport du banc grec est tranchant, fatal. L’écart va même monter jusqu’à +14 sur une flèche de Kostas Tsartsaris au troisième quart. Le score final sera donc de 101 à 95, et les Américains n’auront pas eu l’occasion de laver les échecs de 2002 et 2004. Une douche froide nécessaire pour redevenir plus tard les rois du basket mondial.
"Tout le monde (de l’équipe) quittait le terrain. Il y avait des confettis, des objets sur le parquet… Tout le monde célébrait et je suis resté, je suis resté sur le terrain. Je voulais juste voir et ressentir le truc" se souvient Carmelo Anthony, meilleur joueur de Team USA sur ce tournoi.
Il se murmure qu’à l’époque, Mike Krzyzewski ne connaissait même pas le nom des joueurs grecs et les nommait par le numéro de leurs maillots, symbole de la méconnaissance (du mépris ?) du corps américain pour le basket international.
"Lorsque l’on a commencé (le projet) en 2006, USA Basketball était fragmenté", raconte Chris Collins, ancien assistant de Krzyzewski à Duke et au sein de Team USA. "Ce n’était pas un programme. Nous avions le talent mais aucune continuité, tant au niveau des coaches que des joueurs sur le terrain, et nous avons souffert à cause de ça".
Une claque salvatrice. Car la suite tout le monde la connait : le projet s’est solidifié, et plus personne n’a réussi à remettre les USA à genoux depuis cette fameuse soirée au Japon. Les Américains, par le biais d’une « Redeem Team », et de joueurs ultra impliqués sous le maillot national, sont à nouveau sur le trône de la planète basket et il est bien difficile d’imaginer qui pourra les déloger, ne serait-ce que sur un match.
Des talents internationaux en NBA, tout benef pour les sélections
Outre les USA et l’Espagne, pour qui le Mondial 2006 est un vrai tournant dans leurs histoires respectives, les années qui ont suivi le tournoi ont démontré son influence sur le basket planétaire. L’Argentine, auteur d’un beau mondial perdu en demi face à l’Espagne après un match épique, a accentué sa belle colonie en NBA qui comptait déjà Manu Ginobili, Fabricio Oberto ou Carlos Delfino avec l’arrivée de l’ailier Walter Hermann dans la foulée. De même que l’Espagne, qui a compté de plus en plus de représentants dans la ligue américaine. Surtout, alors que le Mondial 2006 affichait un niveau assez hétérogène entre les équipes du dernier carré et le reste, on retrouve moins ce phénomène depuis 10 ans. Malgré des équipes phares dans chaque compétition, des nations comme le Brésil ou l’Australie ont bénéficié de l’exportation de leurs joueurs en NBA.
[caption id="attachment_334420" align="alignright" width="318"] Vassilis Spanoulis face à Fred Weis.[/caption]Parallèlement, la Grèce de 2006 a démontré qu’il n’était pas nécessaire de disposer de joueurs NBA pour être compétitifs, ce que l’on retrouve un peu avec la Serbie aujourd’hui. Et puis nos Français, eux, orphelins de Tony Parker mais portés par un Florent Piétrus stratosphérique, notamment au premier tour, ont touché leurs limites face à la Grèce (73-56) en quarts de finale, pour terminer sur une honorable 5e place. Quelques beaux matchs à suspense, notamment une victoire sur l’Allemagne de Nowitzki avec un Mike Gélabale clutch et un Jo Gomis qui avait sorti ses ‘balls’ à la Sam Cassell et planté un shoot incroyable en première intention avec double impulsion dans les airs (et dans le money time s’il vous plait), une défaite lamentable face au Liban et quelques espoirs avec de plus en plus de joueurs rejoignant la NBA. Malheureusement cette EDF un peu à la manière de Team USA, toutes proportions gardées, devra toucher le fin fond du fond face à la Slovénie à l’Euro 2007 et une non qualification aux Jeux de Pékin pour se remettre à construire quelque chose de cohérent. Mais ça, c'est une autre histoire...