Nous sommes à 40 kilomètres de Chicago. Loin des buildings, et de l'incessante marée humaine de la troisième ville la plus grande des États-Unis. A East Chicago, ville de la banlieue de « Windy City » et de l’État d'Indiana, au 1731 Senator Drive. Ici, une maison est en vente au sein d'un vaste quartier résidentiel. Une maison bâtie sur un bout d'histoire de la balle orange. C'est en effet ici, comme Chuck Garfien de CSNChicago le raconte, que Michael Jordan a effectué ses débuts à domicile pour les Chicago Bulls. Dans un gymnase d'un modeste lycée. Bien loin, donc, de sa future antre du Chicago Stadium.
Retour 31 années en arrière. Les fans fuient l'enceinte de Chicago. Ils n'étaient que 6254 en moyenne à se rendre aux matches des Bulls lors de la saison 1983-1984. Laquelle a vu la franchise réaliser le troisième pire bilan de la Ligue. La Draft : tel est l'espoir des fans de l'Illinois pour la prochaine saison. La suite ? Hakeem Olajuwon est appelé en première position lors de la loterie. Puis Sam Bowie. Puis Michael Jordan. Direction Chicago, pour celui qui n'est pas encore « His Airness ». Car la légende ne fait que débuter.
Un outsider
Il n'était pas attendu. Ou presque. Lorsque Michael Jordan s'apprête à jouer pour la première fois à domicile avec les Bulls, il n'est pas en tête de l'affiche. Les stars du moment ? Celles de l'adversaire, les Milwaukee Bucks : Terry Cummings, Sidney Moncrief, Paul Pressey, Craig Hodges, et leur coach, Don Nelson. Tout ce petit monde a été sacré champion de la Division centrale la saison dernière. Alors quand l'Indiana Washington High School s'apprête à accueillir le match de pré-saison entre les Bulls et les Bucks, ces derniers forcent le respect. Bien plus que Chicago. Surtout qu'ils possèdent la star locale dans leurs rangs. Junior Bridgeman, natif d'East Chicago, a mené le lycée de sa ville natale vers un titre en 1971. Tout le monde l'attend, donc. Veut l'applaudir. Le voir parmi les meilleurs. Mais il ne viendra pas. Une semaine avant le match, le jeune prodige est tradé vers les Clippers. Au grand dam de tous.
« Beaucoup de gens pensaient que le match serait annulé » lance Michael Puente, journaliste chez WBEZ-Radio et sophomore au lycée de Washington l'année de l'événement. « Mais les gens se disaient 'nous avons toujours Michael Jordan, donc laissons le match'. Et honnêtement, Jordan aurait sûrement éclipsé Junior Bridgeman, même si nous étions fiers de lui. »
Car East Chicago le sait : Michael Jordan peut transformer le visage des Chicago Bulls. Les gens sont donc venus voir jouer le petit nouveau, qui a seulement 21 ans. Ils l'applaudissent. Mais pas autant que les joueurs des Bucks. Et pas autant que Terry Cummings :
« Ils applaudissaient Terry parce qu'il vient de Chicago » raconte Sidney Moncrief, arrière entre 1979 et 1989 chez les Bucks. « Ils applaudissaient Michael, mais pas autant que Terry. Ils ne savaient pas ce qui allait se passer dans le futur, et dans le futur de Michael Jordan. »
Mais ils n'allaient pas tarder à le deviner.
Une prédiction
Chicago a vite connu Michael Jordan. Bien avant ses débuts sur les parquets de la Grande Ligue. Outre ses performances universitaires, le joueur peut également se vanter d'avoir tout juste remporté les Jeux olympiques lorsqu'il rencontre ses futurs coéquipiers et dispute ses matches de pré-saison. Là où il frappe un premier gros coup.
« Nous étions très excités à l'idée de voir Michael Jordan jouer dans notre lycée. Il venait de faire les Jeux olympiques, tout le monde était dingue. C'est l'un des plus grands événements qui se sont déroulés dans cette ville » se souvient Michael Puente.
Même avant ce 9 octobre 1984 et cette confrontation avec les Milwaukee Bucks, les coéquipiers de Michael Jordan sont sous le choc.
« Son premier entraînement était exceptionnel. Il sautait plus haut que tout le monde, dunkait sur tout le monde, prenait de vitesse tout le monde, pas seulement physiquement mais mentalement » décrit Sidney Green, qui a évolué entre 1983 et 1986 chez les Bulls.
Même ses adversaires du soir avaient entendu parler de Jordan. Moncrief, Cummings et Pressey sont donc allés voir Sidney Green pour lui demander si la légende était vraie :
« Ils sont tous venus me voir et m'ont demandé ' Est-ce que ce gars est vraiment bon ? Est-ce qu'il est vraiment aussi bon que ce que l'on dit ? On l'a tous regardé et je leur ai dit ' Vous verrez '. Et il a réalisé une performance incroyable devant tous ces enfants. »
Inutile de dire que voir Michael Jordan briller à l'occasion d'un troisième match de pré-saison n'était pas inattendu. Mais qu'il domine à ce point, et face à une telle opposition, si.
« Son niveau de jeu était très élevé. J'étais en train de me dire ' Suis-je si nul ou est-il aussi fort ? ' » raconte Sidney Moncrief. Un futur double All-Star à qui Michael a causé bien du tort lors de ce match.
Résultat : 22 points pour MJ. Le plus gros total du match. Une victoire pour les Bulls (100-87). Et une première ovation. Bref, une prédiction.
Un bain de foule
Deux ans après, l'Indiana Washington High School n'existe plus. East Chicago ayant décidé de fusionner ses écoles. Et de raser l'ancien gymnase des lycéens dans lequel Michael Jordan a fait ses premiers pas à domicile en tant joueur des Bulls. Mettant fin aux débuts de His Airness, mais aussi à l'ancienne équipe universitaire des Senators, dont le nom est seulement resté sur l'ancienne rue du gymnase. Un troisième match de pré-saison dans le gymnase d'un lycée : voilà qui semble anachronique de nos jours, alors que les franchises NBA préfèrent se rendre sur le Vieux Continent ou en Chine pour se jauger. La destruction du gymnase agit alors comme un parfait symbole d'une ère terminée.
« Nous disputions des matches de pré-saison dans des gymnases de lycée, comme beaucoup d'autres équipes » confie Tim Hallam, directeur des relations avec les médias des Bulls. « C'était un moyen de rapprocher notre équipe de son environnement et de permettre à des gens qui n'auraient jamais vu les Bulls jouer d'assister à un match. »
C'est donc dans ce contexte que Michael Jordan a capté pour la première fois tous les regards des fans de sa franchise. Selon Michael Puente, le jeune public qui s'était rendu au gymnase à cette occasion, sous le choc, ne prenait même plus la peine de s'asseoir. Il contemplait juste le récital. Et pouvait se mettre à rêver d'un avenir radieux, où His Airness multiplierait les chefs d’œuvre pour guider les Bulls vers les sommets. Quand le buzzer final a retenti, cette jeunesse n'a pas pu se contenir.
« Nous n'avions pas la sécurité d'aujourd'hui, et jouer dans un lycée représentait un tas de problèmes » rappelle Tim Hallam. « Après le match, la sécurité n'était pas aussi présente qu'elle l'est aujourd'hui. Ce jour-là, il n'y en avait aucune. Il n'y avait personne pour les arrêter, ils étaient tellement excités qu'ils auraient fait n'importe quoi pour s'approcher de lui et le toucher. »
Eux qui ne savaient pas encore, mais espéraient que Michael Jordan deviendra le joueur qui rythmera leur vie et leurs plus grande joies de supporters étaient tout simplement séduits. Logiquement. Comme toute la planète NBA le sera très bientôt.