Des chiffres et deux lettres
[superquote pos="d"]« Michael Jordan a eu un impact incroyable sur son équipe et sur cette Ligue. » Pat Riley[/superquote]Ce 30 avril 1985, les rôles se sont inversés. Michael Jordan, le troisième choix de la Draft de l'an passé, a volé la vedette à Hakeem Olajuwon, capturé en première position par les Rockets. Grâce à l'une des plus incroyables saisons rookies de l'histoire, il a empêché « The Dream » de suivre le destin qui lui était promis. L'obligeant à se contenter d'une deuxième place au trophée du joueur ayant réalisé les premiers pas les plus prometteurs dans la Grande Ligue. Les fans de la franchise texane espéraient pourtant voir leur first pick succéder à Ralph Sampson, joueur des Rockets désigné ROY l'année précédente. En vain. En inscrivant le plus grand nombre de points de la Ligue sur la saison régulière (2313, également record de sa franchise), et en détenant le troisième meilleur pourcentage au scoring par match (28,2 points, à 51,5% au shoot, derrière Bernard King et Larry Bird), il s'est invité dans la cour des grands. Rajoutant 6,5 rebonds et 5,9 assists à son compteur. Les louanges s'accumulent. Et ce depuis un an.« Michael Jordan a eu un impact incroyable sur son équipe et sur cette Ligue. Je n'ai jamais vu un joueur arriver et aussitôt faire autant de choses spectaculaires », lance Pat Riley, le coach des Lakers.Retour au début de saison. Michael Jordan est fraîchement champion olympique avec Team USA, dont il fut co-capitaine lors des Jeux de Los Angeles. Le nouvel arrivé en NBA a fait parler du côté des North Carolina Tar Heels, où il a officié durant trois années. Trois belles saisons, lors desquelles il a tourné à 17,7 points par match, remporté le titre NCAA et été désigné Player of the Year avant de se présenter à la Draft. Pour son premier match au Chicago Stadium, Michael Jordan partage les rôles. C'était le 26 octobre 1984. Une victoire sur les Washington Bullets, ponctuée de 16 points, à 5/16 au shoot, 7 assists et 6 rebonds de MJ, de 28 points d'Orlando Woolridge, et de 25 points de Quintin Dailey. Mais le rookie ne tardera pas à prendre les choses en main. À l'issue de la saison de Chicago, un joueur mène la franchise de l'Illinois au scoring, au rebond, à la passe et au pourcentage aux lancers-francs. C'est lui, l'ancien numéro 3 de la Draft, qui a disputé l'intégralité des 82 matches de saison régulière des Bulls, s'est payé le luxe de finir deuxième meilleur contreur de son équipe et de terminer quatrième meilleur intercepteur de la Ligue, avec 2,39 steals par match. Résultat, Chicago passe de 27 victoires à 38. Un chiffre dont la franchise n'avait pas pu sa vanter depuis quatre ans. Mieux : elle participe pour la première fois depuis 1981 aux playoffs. Les Bulls touchent les cieux. Déjà.
La nouvelle star
Dès son arrivée dans la Grande Ligue, Michael Jordan est l'un des rares joueurs que le public adverse se plaît à accueillir. Fort de ses exploits avec Team USA, dont il a terminé meilleur scoreur avec 17 points par match, et d'une réputation qui le précède suite à ses premières performances en NBA, l'enfant prodige est adulé, ovationné dans les enceintes dans lesquelles les Bulls se déplacent. La hype est totale. Après un mois de saison régulière, Sports Illustrated titre : « A Star Is Born ». Visionnaire, Nike le fut également : la marque à la virgule fait signer MJ dès sa pré-saison. Le jeune joueur porte les premières « Air Jordan ». Un futur succès planétaire. Problème : celles-ci sont rouge et noir, et non blanc et rouge, comme la tunique de Chicago. Ce qui est prohibé par la Ligue, qui avertit le NBAer. À la fin de la saison, les observateurs sortent les calculettes. Les chiffres sont sans appel. Le rookie a fait fort. Très fort. Sa moyenne de points n'avait plus été réalisée par un néophyte depuis Kareem Abdul-Jabbar en 1970. Autre performance : il devient le second joueur à avoir inscrit plus de 20 points, récupéré plus de 5 rebonds et distribué plus de 5 assists par match en tant que rookie après Oscar Robertson. Mais le seul à avoir rajouté à son premier chef d’œuvre deux interceptions. La nouvelle star fait aussi partie de la All-NBA Second Team. Et certains journalistes mettent même Michael Jordan dans la discussion pour le titre de MVP. Il finira sixième au classement de la récompense tant convoitée. Mais il ne prétend pas lutter pour un tel trophée. Cette année, comme il se plaît à l'avouer à quiconque l'interroge depuis la fac, il rêve plus que tout du All-Star Game et souhaite y participer au moins une fois dans sa vie. Il sera All-Star quatorze fois, avec une première dès sa saison rooie, mais ne le sait pas encore.An All-Star is born
C'est à Indianapolis, devant 43 146 personnes, que le rêve de Michael Jordan est devenu réalité, avec une titularisation dans le 5 de la Conférence Est. À ses côtés, un autre joueur qui fut All-Star dès son année rookie, en 1982 : Isiah Thomas, qui ne se réjouit pas de la participation de MJ au match des étoiles. Le meneur des Pistons est en effet frustré de l'attention portée au rookie et aurait convaincu cetains joueurs de boycotter Jordan; notamment en ne lui donnant que très peu de ballons durant la rencontre. Michael Jordan n'oubliera jamais ce coup tordu d'Isiah Thomas et cet épisode resté dans les mémoires comme le match du « freeze-out ». Un Chicago-Detroit placé par le hasard du calendrier juste après le match des étoiles, et ponctué par 49 points de MJ, son record de la saison, lui permet de se venger. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=HeoMSFqWhOY[/youtube] Et Isiah Thomas, dans tout ça ? Seulement 19 points, et un prétexte : le meneur explique avoir été gêné par sa cuisse. En inscrivant douze des seize points de son équipe en prolongation, Michael Jordan lui a fait payer d'avoir mené la fronde contre lui.« Je n'oublierai pas ce qu'il m'est arrivé », lâchait-il à ses coéquipiers avant le match.Pour preuve, sept ans plus tard, il jouera également un rôle dans la non-sélection du meneur dans la Dream Team olympique. Au sein de la sélection de l'Ouest, George Gervin, mais également Magic Johnson, sont aussi accusés d'avoir snobé le rookie. Mais tout serait vite rentré dans l'ordre entre la star des Lakers et celle des Bulls. Au point que lorsque Magic apprend qu'il est atteint du VIH, Michael Jordan fait partie des premières personnes auxquelles il se confie. Quant à Gervin, il deviendra son coéquipier dès la saison suivante. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=6vDOVGe2V78[/youtube] [superquote pos="d"]"A partir de ce moment, je voulais prouver que je méritais d'être à ce niveau" Michael Jordan[/superquote]Mais Michael Jordan n'oubliera jamais ce « freeze-out ». Une étape qui lui a donné la détermination pour multiplier les efforts et forcer le respect des plus grandes stars de la Ligue. Car dès ce jour, MJ a tout fait pour provoquer un incroyable retour de boomerang à destination de ses assaillants. Avec succès.
« Rien ne semble plus motiver Jordan qu'un vraie insulte ou un ressenti d'insulte », écrit John Affleck, directeur du centre John Curley du journalisme sportif à l'université d’État de Pennsylvanie. « Jordan avait le don rarissime de transformer les coups en une source de motivation extraordinaire. D'une manière curieuse, il accueillait à bras ouverts l'adversité, parce qu'elle pouvait le booster pour devenir encore meilleur. Ce n'était pas vraiment de la sublimation, mais du sublime. Il a même remercié Isiah Thomas et Magic Johnson pour le « freeze-out » de son année rookie. »C'était le 11 septembre 2009. Michael Jordan était intronisé au Hall-of-Fame. Et en profitait pour remercier ses assaillants pour la motivation qu'ils ont éveillée en lui :
« Je vais remercier certaines personnes qui n'auraient peut-être jamais pensé que je le ferais. Isiah Thomas, Magic Johnson, George Gervin, pour ce qu'on appelle maintenant le 'freeze-out' de mon année rookie. Je ne l'aurais jamais deviné, mais vous m'avez poussé à me dire 'Évidement que je n'ai pas encore assez prouvé comparé à ces gars. Je dois leur prouver que je mérite d'être arrivé à ce niveau'. Vous ne m'avez pas boycotté, car j'étais content d'être ici, indépendamment de ce que vous en pensiez. Et à partir de ce moment, je voulais vous prouver, Magic, Larry, George, et tout le monde, que je méritais comme quiconque d'être à ce niveau. »Très peu de joueurs peuvent se vanter d'avoir été All-Star dès leur année rookie. Depuis 1985, ils ne sont que huit : Patrick Ewing, David Robinson, Dikembe Mutombo, Shaquille O'Neal, Grant Hill, Tim Duncan, Yao Ming et Blake Griffin. Aucun autre arrière n'a donc réussi l'exploit depuis Jordan.
« Ça veut tout dire que Michael Jordan soit le dernier arrière à l'avoir fait », déclarait à Yahoo Sports Damian Lillard il y a deux ans, lui qui est né cinq années après la participation de MJ au match des étoiles et rêvait de marcher sur ses traces.En 1985, ils étaient deux à être sélectionnés dès leur première année. Hakeem Olajuwon, lui aussi, était de la partie. Encore une fois, Michael Jordan montrait qu'il était de la trempe de l'ancien first pick de la Draft. MJ, lui, se payait également le luxe de participer au Slam Dunk Contest (victoire de Dominique Wilkins, annonciatrice du duel entre les deux hommes de 1988). Mais l'icone n'a pas connu que des réussites lors de sa première année dans la Grande Ligue. Loin de là.
D'échecs en succès
[superquote pos="d"]"J'ai raté encore et encore durant ma vie. Et c'est pour ça que j'ai réussi" Michael Jordan[/superquote]Nous sommes à la deuxième rencontre NBA disputée par Michael Jordan. Les Bulls affrontent les Bucks. Sont menés dans le money time. 18-106. Leur rookie prend ses responsabilités. Shoote. Air-ball. Deux nuits passent. La même affiche est au programme. MJ sort 37 points, à 13/14 au shoot, 5 assists et 6 interceptions. Il rentre 20 des 26 derniers paniers de son équipe. Puis lors du neuvième match des Bulls, il termine avec 45 points face aux Spurs, et récupère 10 rebonds. Des échecs, Michael Jordan en a connus lors de son année rookie. Individuels, mais surtout collectifs. À l'image de cette série de playoffs face aux Bucks. Michael Jordan termine avec 29,3 points de moyenne, la troisième meilleure moyenne des playoffs cette année, à 44% au shoot, 8 assists et 6 rebonds. Joue un rôle majeur dans la seule victoire des Bulls (109-107), à 35 points, 7 assists, 8 rebonds et 4 interceptions. Tout comme lors de son année sophomore, et ce match phénoménal à 63 points face aux Celtics de Larry Bird (le record de l'histoire en playoffs), Michael Jordan brille, mais ne peut empêcher son équipe d'être rapidement éliminée. Le rideau tombe. [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=5ekqkRsziFo[/youtube] Alors au moment de recevoir ce titre de rookie de l'année, Michael Jordan le sait : pour devenir l'un des plus grands, il devra faire de son équipe l'une des meilleures. Autrement dit, passer le premier tour, et enfiler des bagues sur ses doigts. Le travail est devant lui. Le plus dur reste à venir. Donc il fait preuve d'humilité.« Cette récompense est sympa, mais je pense que c'est très important pour chaque individualité de contribuer au travail de son équipe », fait-il part après avoir été nommé ROY, dans des propos rapportés par NBA.com.Une déclaration fidèle à l'état d'esprit, à la philosophie, et au caractère qui seront celui du personnage tout au long de sa carrière.. Ne jamais se reposer sur ses acquis. Travailler sans relâche. Ne pas croire que l'on puisse atteindre la phase ultime du basketteur. Remercier les anciennes gloires de la balle orange. Et évoluer, s'améliorer tout en améliorant un sport, à partir d'elles.
« Il n'existe pas de joueur de basket parfait, et je ne pense pas qu'il y ait un meilleur joueur de tous les temps non plus », écrivait-il dans son autobiographie, For the Love of the Game : My Story. « Chacun joue dans une époque différente. J'ai bâti mon talent sur l'épaule du talent de quelqu'un d'autre. Je pense que la grandeur est un processus qui évolue époque après époque. Sans Julius Erving, David Thompson, Walter Davis, Elgin Baylor, il n'y aurait jamais eu de Michael Jordan. Je me suis construit à partir d'eux. »
L'antichambre de toutes les perfections
L'humilité a accompagné Michael Jordan dès ses débuts. Avec un leitmotiv : mettre son individualité au service d'un collectif. Ainsi, alors que les projecteurs se tournaient vers lui lors de la pré-saison de son année rookie, il déclarait :« Ce ne sera pas un show de Michael Jordan. Je suis seulement un rookie et mon travail est de m'adapter au sein des Bulls. »Michael Jordan a fait de ses échecs une arme pour bâtir ses succès. Il raconte :
« J'ai raté plus de 9000 shoots dans ma carrière, j'ai perdu environ 300 matches. Vingt-six fois, on m'a fait confiance pour le shoot de la gagne et je l'ai manqué. J'ai raté encore et encore durant ma vie. Et c'est pour ça que j'ai réussi. »Se bâtir à partir de ses échecs, apporter sa pierre à un collectif, certes. Mais également naviguer à travers les critiques. Car dès son année rookie, la hype qu'a suscitée Michael Jordan a été accompagnée de l'émergence de détracteurs. Notamment des journalistes défendant le choix des Blazers d'avoir drafté Sam Bowie avant MJ. Une décision qui fait encore beaucoup parler. Des détracteurs qui évoquent Jordan comme un sous Clyde Drexler, indiquent que ce dernier, a contrario du premier, rendait meilleur ses coéquipiers. Michael Jordan écoute. Sans broncher. Le rookie justifie seulement la décision de Portland, expliquant que la franchise avait déjà beaucoup d'arrières dans son effectif. La nouvelle star de la Grande Ligue a également dû faire fi des critiques venues de son propre camp. Quintin Dailey, l'ancien arrière titulaire relégué sur le banc par Jordan, a mis en cause ce qu'il estimait être un traitement de faveur réservé au rookie, même quand ce dernier réalisait des mauvaises performances. Il décrivait MJ comme un « joueur qui aime briller plus que moi. » Au moment de monter sur l'estrade pour ce fameux discours de Rookie of the year, Michael Jordan avait donc connu bien des succès, mais également bien des échecs, vu chacun de ses faits et gestes être peu à peu scrutés, et ses ennemis devenir de plus en plus nombreux. Un bouleversement en si peu de temps. Les mots de John Fitzgerald Kennedy, Martin Luther King, Winston Churchill et Charles de Gaulle font partie des livres d'histoire. Michael Jordan n'avait pas besoin de parler ce 30 avril 1985. Sa première saison en NBA le faisait pour lui. Il a donc lâché une blague. Qui, en vérité, n'en était une qu'à moitié, ce fabuleux compétiteur souhaitant aussitôt repartir au travail pour faire de demain une journée meilleure qu'hier. Au moment de monter sur l'estrade, Michael Jordan la savait : « L'humilité est l'antichambre de toutes les perfections » (Marcel Aymé). [youtube hd="0"]https://www.youtube.com/watch?v=i9bzrWTff5U[/youtube]