"Je joue depuis dix-huit ans et cela m'est arrivé plusieurs fois de connaître une fin pareille. Et cela fait toujours aussi mal", précise Ginobili dans L'Equipe du jour. "On n'est pas éliminés. On a perdu un match qui fait mal, mais c'est à nous de mieux jouer lundi pour ne pas se retrouver dans cette situation."Mais quand le coup d'éclat de Vinsanity rappelle surtout celui qu'il a raté face aux Sixers en 2001 (il le dit lui-même), le game-winner éphémère de Gino rappelle tous ceux qu'il a assénés à des adversaires abasourdis, au fil de sa carrière de champion, récompensée notamment de trois titres NBA et d'un trophée de meilleur 6ème homme en 2008. Pour ne parler que des plus récents, on repense à son 3-pts fatal aux Warriors, en ouverture des demi-finales des playoffs 2013. Ou à son game-winner face aux Grizzlies (un lay-up côté gauche, tiens, tiens…), en janvier dernier. Parce que si on remonte à son match 7 des Finales 2005 face aux Pistons, on n'a pas fini de réveiller des fantômes...
Une polyvalence intacte
Dans 95% des cas, l'action de Gino samedi face aux Mavs aurait suffit à l'emporter. Mais le scénario fou l'aura été jusqu'au bout - et il n'est pas sans rappeler, d'ailleurs, la fin de match entre Golden State et OKC, en novembre dernier, avec Westbrook et Iguodala dans le rôle des héros. L'heure n'est pas à l'inquiétude, cependant : à l'image de ses potes Tony Parker et Tim Duncan, Gino, 57ème choix de la draft 1999, en a vu (beaucoup) d'autres. Selon ESPN Stats & Information, sur les 15 dernières campagnes de playoffs, seuls cinq matches ont accouché de deux shoots décisifs dans les cinq dernières secondes. Devinez-quoi ? Les Spurs étaient concernés dans trois des cinq matches, et du mauvais côté de l'exploit deux fois sur trois ! Les 5 matches en question :- 13 mai 2004 (demi-finales, match 5) : Lakers - Spurs 74-73 (Duncan puis Derek Fisher)
- 24 mai 2006 (Finales de conf', match 1) : Suns - Mavericks 121-118 (Devin Harris, puis Boris Diaw et Tim Thomas)
- 22 mai 2009 (Finales de conf', match 2) : Cavaliers - Magic 96-95 (Turkoglu, puis LeBron James)
- 6 mai 2013 (demi-finales, match 1) : Spurs - Warriors 129-127 (2OT) (Kent Bazemore, puis Gino)
- Samedi (premier tour, match 3) : Mavericks - Spurs 109-108 (Gino, puis Vince Carter)
"Dwyane Wade est peut-être le maître actuel de cette technique (les pénétrations assassines, ndlr), mais à chaque fois que Wade va au cercle, il devrait payer des royalties à Manu", écrivait Dave Zirin, dans un Top 50 réalisé par SLAM en 2012, où Gino figurait en 31e position.
Le 6ème homme dont rêve chaque entraîneur
Difficile de classer Gino, de toute façon… Les artistes ne rentrent pas dans des cases. Il est à la fois l'un des joueurs les plus craints par les entraîneurs et l'un des plus sous-estimés de la ligue (syndrome Spurs). Et le seul à pouvoir assommer une chauve-souris en plein vol ou à passer même au travers de ses propres chaussures. Le "frère Tuck" des Spurs, comme le surnomme affectueusement Rick Telander, dans le traditionnel édito "Hype /The Opening Tip" du dernier SLAM, fait face avec panache aux blessures et au temps qui passe. Evidemment, Gino n'est plus le joueur qui avait produit un prodigieux 29-3-3 face à Duncan and co en demi-finale des JO d'Athènes. C'est certain (son contrat s'achève en 2015, précisons-le au passage), il danse l'un de ses derniers tangos, et se rapproche de son buzzer personnel, à l'occasion de sa 11ème campagne de playoffs. Mais plus sa danse tend à se raréfier, et plus elle est douce. Regarder danser Gino, c'est accepter l'idée d'un "Retour vers le futur" permanent. Tandis que la NBA assiste à l'émergence silencieuse de Kawhi Leonard, Gino passe petit à petit au second plan, sans doute. Mais il donne toujours la leçon - old school flashy - a des gamins, et sa science du jeu et sa vista "Larry-Birdienne" lui suffisent souvent à débloquer la situation en faveur des Texans. [superquote pos="d"]Le natif de Bahia Blanca est une valeur sûre de son équipe, une menace permanente… quand ce n’est pas pour lui-même.[/superquote]Comme son compatriote Luis Scola - mais dans un registre différent bien sûr, le natif de Bahia Blanca est une valeur sûre de son équipe, une menace permanente… quand ce n'est pas pour lui-même. Parce qu'en fait, personne ne stoppe Gino. Il le fait tout seul, de temps à autres. Comme lors des playoffs 2013 (11,5 pts à 39,9%, et un faible 30,2% à 3-pts). Surtout lors des Finales 2013 : plus que ses sursauts dans les matches 5 (24-10) et 7 (18-5) de la série, on retiendra son 7/28 derrière l'arc, ses 8 TO dans le fameux match 6 (22 en tout) et sa performance globale, pas du tout au diapason de son statut de futur Hall of Famer. Mais une fois encore, il a rebondi cette saison et il devrait apparaître en bonne place - comme Vince Carter - dans les votes pour le titre de meilleur 6ème homme 2014, promis à Taj Gibson. L'Argentin demeure de toute façon le 6th man homme rêvé par tous les entraîneurs. Cette saison, Pop l'a ménagé (22 minutes, 2ème plus faible temps de jeu en carrière), profitant de l'incroyable profondeur de banc de son équipe - rappelons que SA est la première équipe de l'histoire à terminer une saison sans un joueur à 30 minutes ou plus. Insaisissable jusqu'au bout, l'Argentin a trouvé le moyen de terminer la saison avec sa 3ème meilleure adresse en carrière (46,9%) et sa 2ème plus faible à 3-pts (34,5%). Mais un simple coup d'oeil à ses statistiques sur 36 minutes (19,5 pts, 4,7 rbds et 6,8 assists) suffit à mesurer l'impact toujours intact de Gino, qui, comme TD et Kawhi, a haussé le ton début 2014 après une entame diesel.18,7 pts de moyenne face aux Mavs
Son début de série face aux Mavs laisse quant à lui entrevoir un printemps rayonnant (cf. ses 18,7 pts, 4,3 rbds et 4 assists de moyenne, ainsi que son 8/16 à 3-pts). Il y a de la revanche dans l'air, après une cruelle défaite face au Heat lors des dernières Finales, et après sa terne prestation globale des derniers playoffs. Alors, dans la foulée de son 17-6-3 initial (90-85 pour SA), il s'est montré virevoltant dans le match 2, avec 27 points à 9/12 - 5/6 à 3-pts - en même pas 23 minutes (mais seulement 24 unités pour le reste du banc des Spurs). Seule ombre au tableau, ses 6 TO, qui s'accordent avec les 22 de son équipe, battue dans les grandes largeurs (92-113). On le répète, parce que ça doit encore contrarier le gaucher : samedi, le malheureux a assisté à l'heure de gloire Carter alors qu'il avait largement rempli son contrat. Voilà donc les Spurs menés avant le 4ème acte de ce soir, toujours à Dallas. Rick Carlisle le sait bien : gagner une bataille face à San Antonio ne garantit en aucun cas que vous ayez gagné la guerre, et franchement, même à 1-2 dans une année paire, on parierait plus sur une victoire finale des Spurs que sur un retentissant upset des Mavs à la sauce Grizzlies 2011. Ce soir, Pop procèdera sans doute à des ajustements importants. Choisira-t-il d'incorporer Gino dans son cinq de départ ? C'est probable. Une chose est sûre : on n'est pas au bout de nos surprises dans ce premier tour aux allures de Finale de conf' des années passées. On l'est encore moins avec l'imprévisible Gino."Personne ne peut savoir si le monde est fantastique ou réel, et non plus s’il existe une différence entre rêver et vivre", écrivait l'Argentin Jorge Luis Borges.Ces mots définissent la trajectoire poétique de l'étoile filante Ginobili. Brille, Gino, brille !