Nous sommes le 7 novembre 1991 et la saison n'a repris que depuis une semaine lorsque la triste nouvelle tombe. Les fans de basket du monde entier prennent une douche froide teintée d'angoisse. Et pour cause : Magic Johnson, l'une des plus grandes stars de l'histoire de la NBA, annonce qu'il est contraint de s'éloigner des parquets. Le meneur des Los Angeles Lakers est séropositif.
A l'époque, c'est encore le flou autour de la maladie. Qu'une icône comme Magic l'ait contractée et soit possiblement en danger de mort, provoque un incroyable électrochoc, d'autant que Freddie Mercury, le chanteur de Queen, décède à peine plus de deux semaines après la conférence de presse du crack de L.A.
Pour la première fois depuis 1979, date de sa Draft en première position, les Los Angeles Lakers devront faire sans lui. Tout comme les fans de basket du monde entier. Un sourire, un génie, un champion se retire et la planète NBA est inconsolable.
Quand la saison commence, les amateurs de balle orange n'oublient pas leur héros convalescent. Si bien qu'après cette fameuse conférence de presse, l'annonce de sa maladie et le début de la saison, ils votent en masse pour le voir disputer le 42e All-Star Game de l'histoire.
Résultat : au décompte des suffrages, seulement six joueurs le devancent. Leurs noms : Michael Jordan, Charles Barkley, Larry Bird, Karl Malone, Clyde Drexler et Chris Mullin. Six légendes qui ne capteront pas autant l'attention que Magic Johnson lors de l'événement. Ce 9 février 1992, à Orlando, pour son douzième All-Star Game, en souriant, en jouant et en gagnant, Magic a donné du plaisir aux fans, trois mois après les avoir fait pleurer.
Des critiques et des peurs
Problème : tout le monde n'a pas forcément bien pris sa venue au match de gala. D'un côté, il y a ceux pour qui les performances sportives de la saison en cours doivent primer sur l'envie de rendre hommage. Charles Barkley est de ceux-là.
« J'ai pensé à prendre mon téléphone, à appeler Magic et à lui dire qu'il ne devrait peut-être pas jouer au All-Star Game », racontait alors « Baby TGV ».
« C'est sa décision, mais le All-Star Game est une récompense pour les joueurs qui ont fait une excellente première partie de saison. Je me sens mal pour certains car ce devrait être leur récompense. Ça sera un cirque médiatique, et c'est regrettable. »
Charles Barkley n'en restait pas moins un grand ami de Magic. L'ailier-fort, qui effectuait alors sa dernière saison chez les Philadelphie Sixers, a ainsi abandonné son numéro pour le 32 afin de le soutenir. Barkley s'est également opposé à la deuxième catégorie des détracteurs de la sélection de Magic. Ceux qui mettaient en avant des raisons sanitaires pour critiquer sa présence,et l'hypothèse d'un retour du meneur sous les couleurs des Lakers.
Un groupe mené par l'ailier-fort du Utah Jazz, Karl Malone. Dans le vestiaire du Madison Square Garden, ce dernier lâchait aux journalistes :
« Regardez, j'ai des croûtes et des coupures partout. Je m'en fais chaque nuit, à chaque match. Ils ne peuvent pas dire qu'il n'y a pas de risques (d'échanges sanguins, NDLR), et vous ne pouvez pas me dire qu'il n'y a pas une seule personne dans la ligue qui n'y a pas pensé. Regardez comme les Knicks jouent. Demandez leur ce qu'ils en pensent. S'ils sont honnêtes, ils vous diront qu'ils sont inquiets. »
Un avis qui est loin d'être isolé, puisque Malone est rejoint par exemple par l'arrière des Cavs Mark Price et le coach des Rockets Don Chaney. Même deux anciens coéquipiers de Magic, A.C. Green et Byron Scott, se montrent réticents quant à son comeback. Gerald Wilkins, l'arrière de la franchise de Big Apple et frère de Dominique expliquait :
« Tout le monde en parle. Certaines personnes ont peur. Ce pourrait être dangereux pour nous tous, mais il s'agit de Magic Johnson, donc les gens prennent des pincettes. Ils ne disent pas vraiment ce qu'ils ressentent. »
Des inquiétudes d'anonymes parviennent ensuite aux instances de la ligue. De son côté, Magic est catégorique.
« Les docteurs m'ont dit qu'il n'y a aucune chance que je le transmette à quelqu'un. Donc il n'y a pas de risques », prévient-il.
Selon Roland Lazenby dans la biographie « The Life » dédiée à Michael Jordan, la maladie de la star aurait provoqué un vent de panique sur la ligue. Notamment chez les joueurs qui auraient, comme Magic, fait des folies de leur corps lors de leurs passages à Los Angeles. Il écrit :
« De nombreux joueurs de top niveau allèrent de leur propre chef se faire dépister car beaucoup d'entre eux avaient fait la fête au même endroit à Los Angeles, là où Johnson s'était permis des excès.
Jordan lui-même fit l'objet de rumeurs. L'une d'entre elles prétendait qu'il aurait parié de grosses sommes avec des coéquipiers qu'il coucherait avec des starlettes de Hollywood pendant les déplacements de l'équipe sur la côte Ouest.
La rumeur disait qu'il avait remporté au moins l'un de ces paris, même si la façon dont il l'avait prétendument remporté n'est pas claire. »
Charles Barkley, lui, a continué de côtoyer Magic avec la « Dream Team » des Jeux Olympiques de Barcelone l'été suivant.
« J'étais avec lui tout l'été et je n'ai jamais pensé à ça », raconte-t-il au sujet d'une possible contamination. « Jamais, jamais, jamais. »
Preuve encore que le joueur de Philly remettait en cause sa présence sur la seule base du mérite que devait induire, selon lui, une telle sélection. Finalement, le Commissioner David Stern approuve sa présence. Le spectacle de Magic peut (re)commencer.
Quand Magic (re)prend feu
Alors Magic est bien là, ce soir de février 1992. À vrai dire, il n'y a que lui, aux yeux de tous les spectateurs. Du début à la fin de l’événement, il est scruté. L'euphorie que provoque son retour est totale. Au point que lorsque le speaker prononce son nom pour finir la présentation des équipes, la foule lui offre une magnifique standing ovation. Les accolades et les poignées de main se succèdent.
Isiah Thomas, l'un des premiers joueurs à qui il a révélé sa séropositivité avec Larry Bird, Michael Jordan et son ancien coach Pat Riley, lui offre même une bise. Pour le plus grand plaisir des photographes. Magic commence la rencontre dans le cinq de départ, grâce à Tim Hardaway, heureux de céder sa place.
Son sport lui manque, alors il veut prouver qu'il n'a rien perdu de sa splendeur. Là, au milieu d'autres étoiles comme Patrick Ewing, Scottie Pippen, Charles Barkley, Michael Jordan, Dennis Rodman, Karl Malone, Hakeem Olajuwon, David Robinson et bien d'autres, il tente d'être à nouveau la plus brillante.
Magic se rend coupable d'un turnover sur son premier ballon. Rate son premier shoot après 65 secondes de jeu. Mais ne se décourage pas, récupère le rebond et provoque une faute. Laquelle lui permet d'inscrire deux lancers-francs. Des débuts laborieux, mais anecdotiques.
La suite est bien plus glamour. Il inscrit dix points lors du premier quart-temps et termine la rencontre avec 25 points, 5 rebonds, et 9 passes en 29 minutes de jeu. Surtout, il enflamme l'enceinte floridienne lors du dernier quart-temps. En obligeant Isiah Thomas à commettre un airball en toute fin de match. Puis en mettant à mal Michael Jordan, forcé à son tour de rater sa tentative, et en inscrivant trois paniers à trois points consécutifs, dont le dernier shoot du match face à Isiah Thomas à quatorze secondes de la fin pour ponctuer la victoire de l'Ouest (153-113).
« Il a pris a le dernier shoot et est sorti du terrain. Pourquoi est-il rentré ? Parce que c'est Magic. C'est aussi simple que ça », raconte Chris Mullin après la rencontre.
Le buzzer-final n'a pas retenti, mais tout le monde s'empresse de saluer l'homme de la soirée. Pour couronner la fête, le trophée de MVP de la rencontre lui est décerné.
« Ça c'est passé exactement de la manière dont je voulais », déclare-t-il, particulièrement touché. « Je vais chérir ce moment tout le reste de ma vie. Ces moments, cette journée, tout ce qu'il s'est passé, je les chérirai pour toujours. »
Avant d'ajouter : « C'était la thérapie dont j'avais besoin pour continuer à vivre le reste de ma vie. C'était un très très grand moment pour moi. »
Ce bel épisode n'a néanmoins pas empêché certains joueurs de critiquer son retour au All-Star Game ainsi que sa sélection pour les JO. Ici, il faut mentionner les propos de Clyde Drexler dans le livre de Jack McCallum « Dream Team ». "The Glide" aurait parlé sous le coup de la déception de ne pas avoir été élu MVP dudit All-Star Game.
"Il ne pouvait pas vraiment jouer à cette époque. Il ne pouvait même pas défendre face à son ombre. Mais vous devez comprendre ce qui se passait à l’époque. Tout le monde s’attendait à ce que Magic meure », aurait ainsi déclaré « The Glide »
À chaque fois qu’il traversait le terrain en courant, tout le monde avait de la peine pour lui. Il était sur la pente déclinante de sa carrière.
Si on avait su que Magic vivrait si longtemps, j’aurais eu le trophée de MVP de ce match, et Magic n’aurait probablement pas été pris dans l’équipe olympique. »
Heureusement, Magic Johnson a gagné son combat face à la maladie. Et vingt ans plus tard, sa participation au All-Star Game a eu un impact qui dépasse largement le cadre du basket.
Les leçons de Magic
« Je n'ai jamais pensé que j'allais mourir », confiait Magic Johnson, deux décennies plus tard, alors que le All-Star Game était de retour à Orlando. Pourtant, en 1991, la crainte de voir le fabuleux meneur nous quitter était bien présente dans la tête des fans et des observateurs. Il y a plus de vingt ans, les personnes séropositives étaient perçues très différement.
Dans l'imaginaire collectif, le Sida ne touchait que les homosexuels et les drogués, et était comme une sentence de mort. Puis est venu Magic, son histoire, son sourire et sa victoire sur la maladie.
« Ça a eu un grand impact sur le monde », constate aujourd'hui l'ancien NBAer, à la tête d'une fondation qui est en partie dédiée à la lutte contre la maladie.
Un impact dont il rêvait en 1992. Après sa participation au All-Star Game, il énumérait ainsi les leçons qu'il voulait que la planète retienne de son retour :
« Premièrement, que les gens atteints du virus peuvent continuer à faire leur vie, à courir, à sauter, et tout le reste. Deuxièmement, qu'il ne faut pas avoir peur d'en être contaminé parce vous jouez contre quelqu'un qui en est atteint, parce que vous lui faites un câlin ou un baiser. »
À l'heure de sa retraite, l'ancien Commissioner David Stern racontait que ce All-Star Game 92 resterait comme son favori.
« Nous avons changé la manière dont le public américain et le monde percevaient les gens atteints du VIH. Magic Johnson a changé la manière dont les gens perçoivent le Sida. »