Les débuts de Luka Doncic et Kyrie Irving sont aussi bizarres que leur association le prédisait. Au-delà du bilan de 2-5 subsistent de nombreux doutes. Et tant d’interrogations mènent logiquement au pessimisme. Mais en essayant de voir les choses du bon côté, il y a de véritables raisons de croire que le projet des Dallas Mavericks a du sens.
La perception que l’on a de ce groupe fluctue en fonction que l’on soit optimiste ou non, mais aussi en fonction des sorties. Après sept matches, les deux stars cumulent déjà cinq défaites, dont une particulièrement violente face aux Lakers. C’est le verre à moitié vide. Sur le même laps de temps, Doncic et Irving ont également arraché deux victoires, dont une particulièrement éclatante face aux Sixers. C’est le verre à moitié plein. Puis il y a cette courte défaite contre les Suns (126-130), ce dimanche, qui semble faire la part des choses.
Aux Mavericks, vivre ou mourir par l’attaque
Pour comprendre l’équipe, il faut d’abord en saisir la philosophie. Celle-ci est plutôt simple, simplissime même : les Mavericks sont "là pour outscorer les autres", comme l’a résumé Jason Kidd dès le départ. Il n’y a pas d’alternative, pas d’autre solution.
"Les gens viennent pour voir les points, pas des 80-80. Nous sommes ici pour scorer. C’est la nouvelle NBA", a synthétisé le coach, après une défaite face aux Wolves (121-124).
On peut aisément imaginer le scénario qui se trame dans la tête de l’entraîneur. Chaque soir, les Bonnie et Clyde de l’équipe tentent de braquer la banque. Autour, les autres membres du gang essayent de suivre et de se rendre aussi utiles que possible. Le tout sans se faire doubler, cela va de soi.
Sur le terrain, il suffit de transposer. Remplacez les deux braqueurs originaires de Dallas par de formidables attaquants, les armes par un ballon et les hommes de main par des role players. L’opération, en revanche, reste très risquée.
Marquer plus de points que l’adversaire, telle est la règle inflexible qui préservera les Mavs du trépas. Cela fonctionne aussi bien pour les 29 autres franchises de la NBA, à la seule différence que celles-ci prêtent sans doute moins d’importance au terme "marquer", ayant les moyens d’équilibrer les choses en défense. Dallas, pour sa part, doit vivre ou mourir par l’attaque.
Les deux issues trouvent leur parfaite illustration dans les premières sorties du nouveau tandem de l’équipe. Face aux Lakers, les Mavericks ont fait l’erreur de baisser leur garde. Auteurs de seulement 20 points dans le troisième quart-temps après une première mi-temps exceptionnelle, ils ont gâché une avance de 27 points pour s’incliner au buzzer final — plus gros comeback de la saison. Preuve que cette équipe ne peut pas se permettre de ralentir offensivement.
Face aux Sixers, au contraire, nous avons pu apercevoir le potentiel de cette philosophie de jeu. 42 points et 12 passes pour Luka Doncic. 40 points et 6 passes pour Kyrie Irving. 63,6 % au tir pour les deux stars, dont 13-21 à trois points. Une performance historique contre les troisièmes de l’Est, qui montre à quel point ce duo peut être dangereux.
Dans les bons soirs, Dallas semble capable de renverser n’importe quelle équipe. La victoire leur a d’ailleurs échappé de peu contre les Suns de Kevin Durant et Devin Booker, ce week-end. Mais les 64 points cumulés des deux All-Stars en bleu n’ont pas suffi contre ces excellents scoreurs très bien entourés.
Bien sûr, cette stratégie de "tout à l’attaque" n’est pas totale. Impossible de complètement délaisser la défense, il faut aussi veiller à limiter les dégâts de l’autre côté. C’est toutefois la voie qu’ont choisie les Mavericks et ces exploits offensifs seront probablement la norme dans cette nouvelle ère.
Le bilan horrible des Mavericks quand ils ont le tir pour la gagne
Luka Doncic et Kyrie Irving, partenaires particuliers
Avant d’en arriver à l’orgie offensive dont rêvent les dirigeants de la franchise, il faut que ses participants apprennent à se connaître. Les erreurs et incompréhensions en tout genre sont nombreuses, pour le moment. Doncic et Irving sont toujours dans une phase de découverte. Le premier bilan appelle donc à l’indulgence plus qu’à la critique.
L’alchimie est, en effet, une science qui requiert de la patience. Encore plus quand il faut la trouver avec Luka Doncic, habitué à porter la balle 45 % du temps d’après les données de Thinking Basketball. Après tout, "il n’y a qu’un ballon", comme on nous le ressasse sans cesse, bien que ce ne soit pas vraiment le problème ici.
Quand il est sur le terrain, Kyrie Irving garde le ballon environ 26 % du temps cette saison, contre 29 % pour Spencer Dinwiddie qui a passé la majorité de l’exercice à Dallas. Partager n’est pas un souci pour les deux partenaires, d’autant plus que la hiérarchie est claire. Le Slovène restera le principal porteur de balle, ce qui convient parfaitement au meneur très à l’aise dans le jeu off-ball.
À 42 % à trois points depuis son arrivée dans le Texas, Irving est un véritable sniper. Il excelle notamment lorsqu’il récupère le ballon dans sa course ou quand on lui laisse des tirs ouverts — ce qui est, par conséquent, extrêmement rare. Toujours en mouvement, il représente une menace constante pour la défense.
Les fulgurances de l’ancien champion NBA avec le ballon se concentrent essentiellement sur les minutes sans Doncic. La gestion de ces temps faibles — sur lesquels les Mavericks marquent près de 10 points de moins sur 100 possessions — paraît bien plus simple avec un créateur d’élite comme celui-ci. Son handle et son playmaking offrent une nouvelle option pour contrer les défenses qui ciblent trop le "Wonderboy".
Tout cela devrait permettre, à terme, de réduire la charge qui pèse sur les épaules du leader de l’équipe, d’épurer sa sélection de tir et de maximiser son talent. La présence de Kyrie Irving limite les possibilités de prise à deux, écarte le terrain et rend Dallas bien moins prévisible, notamment en fin de match.
"C’est tellement facile de jouer avec Kyrie", a directement témoigné Doncic. "Il m’aide beaucoup. Je ne pense vraiment pas que l’attaque soit un problème pour nous. C’est juste en défense. Il faut que nous soyons capables de faire des stops."
Pour libérer le plein potentiel de cette association, la première étape sera de comprendre l’autre pour le trouver instinctivement sur demi-terrain. La nouvelle recrue montre de clairs signes d’adaptation. Les choses vont dans le bon sens, elles devraient avoir bougé dans 17 matches, mais ce processus demande du temps.
La suite, ce sera de laisser le dribleur fou apporter sa propre touche au jeu des Texans. Il finira certainement par ajouter en fluidité et accélérer le rythme de toute l’équipe, cela se ressent même déjà (+2,9 de pace depuis son arrivée). Cette fois-ci, ce sera à Luka Doncic d’entrer dans le moule, notamment en progressant dans son jeu sans ballon.
Pour le moment, trouver la synergie est un véritable défi pour les deux stars. Si elles y parviennent, celle-ci deviendra le problème insoluble de tout le reste de la ligue. Deux joueurs si intelligents sur le terrain devraient être en mesure de s’accorder rapidement.
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Le basket à la texane
Un clair motif d’espoir pour les Mavericks, c’est qu’une association similaire a déjà fonctionné par le passé. Sans être identiques, Luka Doncic et Kyrie Irving ressemblent beaucoup à James Harden et Chris Paul.
En 2017-2018, les deux leaders de Houston ont établi de nouveaux standards pour deux extérieurs brillant avant tout balle en main. Après avoir fini la saison avec le meilleur bilan de la NBA (65-17), les Rockets ont poussé les Warriors de Stephen Curry et Kevin Durant — peut-être la meilleure équipe de l’Histoire — jusqu’au Game 7 des Finales de Conférence. Ce genre de succès inspire généralement les franchises de demain. Alors, pourquoi pas leurs voisins texans ?
La ressemblance entre Doncic et Harden saute aux yeux. Elle a d’ailleurs fait l’objet de nombreux débats depuis le début de l’exercice. L’un comme l’autre évolue constamment avec le ballon, à un degré historique. Dans une équipe compétitive, peu de joueurs ont déjà flirté avec le Slovène et ses 42 % de Usage Rate — statistique qui quantifie la charge offensive —, si ce n’est le barbu et ses 40,4 % en 2017-2018.
Dans leur collectif respectif, les deux jouent le même rôle : celui de créateur omniprésent, pour soi-même comme pour les autres. Les chiffres sont extrêmement proches, avec 33,4 points et 8,1 passes pour Doncic cette année, contre 30,4 et 8,8 pour Harden. En termes d’efficacité au scoring, la différence est minime entre le 1,25 point par tir tenté du premier contre le 1,26 du second. La liste des ressemblances est encore très longue.
Irving et Paul jouent le rôle de lieutenants à côté des deux superstars, puis de maestros lorsque celles-ci sont sur le banc. Les responsabilités, dans les grandes lignes, restent les mêmes. Ils sont des seconds couteaux terriblement aiguisés, bien que différents l’un de l’autre.
À leur manière, ils compensent les "lacunes" de leur leader respectif. Du moins, ils maîtrisent ce que leur partenaire fait un cran en dessous, mais toujours bien au-dessus de la moyenne. Ils apportent de l’expérience, également. Et la comparaison statistique, malgré leur profils différents, est aussi marquante pour les deux meneurs séparés par seulement 0,1% de Usage Rate.
À l’époque, Houston était connu — parfois même critiqué — pour sa tendance à jouer en isolation. C’est bien cette singularité qui a permis à l’équipe de s’imposer comme la meilleure attaque de la saison. Avec deux joueurs particulièrement doués dans cet exercice, le coach Mike D’Antoni avait compris que se priver de cette arme pour des raisons esthétiques serait une faute professionnelle.
Aujourd’hui, c’est Jason Kidd qui embrasse cette pensée. On retrouve ici encore une similarité frappante entre le duo des Mavericks et celui des Rockets, premiers . Dans le nombre de possessions et l’efficacité, les moyennes sont toujours aussi proches. Elles le seront encore plus si Irving retrouve la même efficacité qu'à Brooklyn (1,28 point par possession, contre 1,12 à Dallas).
Cette comparaison a ses limites. D’abord parce que James Harden était bien plus actif et efficace que Luka Doncic derrière la ligne à trois points. Le Slovène, lui, se démarque par son jeu au poste. Il prend également beaucoup plus de tirs à mi-distance.
Chris Paul était un bien meilleur passeur que Kyrie Irving, cela va sans dire. Un défenseur supérieur, aussi. Mais au jeu du scoring, c’est le meneur de Dallas qui l’emporte.
Les qualités ne sont pas tout à fait les mêmes et certains points communs sont repartis différemment. Cependant, l’idée directrice est semblable. Ce rapprochement avec l’une des meilleures équipes de la décennie passée laisse place à l’optimisme pour les Mavs.
Bien sûr, il manque clairement des éléments. Les Rockets pouvaient compter sur de nombreux role players, guerriers et défenseurs, dont les Mavericks ne disposent pas pour le moment. Les premiers se tenaient à la septième place du classement des ratings défensifs en 2017-2018, les seconds en sont les 29e depuis l’arrivée d’Irving.
Josh Green et Maxi Kleber, notamment, constituent déjà une base à partir de laquelle travailler, mais c’est encore loin d’être suffisant. Partant du principe qu’Irving restera, les ajouts importants seront probablement effectués dans les années à venir — Mike D’Antoni est d’ailleurs toujours libre, soit dit en passant.
Il faut voir cette première année comme une expérience offensive, la bêta. La version 1.0, la vraie, attendra peut-être 2023-2024. Cela n’empêche pas de rêver dès aujourd’hui. En mélangeant deux éléments aussi explosifs, le résultat de cette expérience pourrait nous surprendre.