Ça, c’est vraiment un coup dur. Samedi soir, alors que Cintry affrontait les Rameaux-Olaincourt, Anthony, le meilleur intérieur de l’équipe se fait le genou sur la dernière action alors que le match était déjà plié. Malgré la victoire, Lebrun (son vrai nom, c’est Jacques Lebrun, mais comme il y a déjà un autre Jacques et un Jean-Jacques dans l’équipe, tout le monde l’appelle « Lebrun ») fait la gueule.
Il sait que la fin est proche. Avec Cintry, il a tout connu : le titre de champion de R2 et la montée en R1. La saison où ils sont passés à une défaite contre Quincy-La-Forêt d’accéder à la N3. Il était tellement fort à l’époque. Aujourd’hui, même s’il reste le capitaine et qu’il arrive toujours à impacter le match par séquence, il sait qu’il ne peut plus porter l’équipe sur ses épaules comme avant.
Ça fait trois ans qu’ils sont redescendus en R2 et qu’il espère chaque année finir sur une dernière montée, mais même lui n’y croyait plus tout à fait cette saison. Pour avoir une chance, il aurait fallu qu’Anthony devienne vraiment « ze guy » comme dit Antoine, dans les podcasts qu’il écoute.
Sur le papier, ça aurait pu, ça aurait dû le faire, mais même à son meilleur niveau, Anthony est juste un peu trop court pour vraiment les porter. Et maintenant qu’il est blessé, c’est mort. Les deux défaites d’écart avec le PB712, les deuxièmes, seront trop dures à rattraper. Faut se faire une raison, pour Lebrun, ça sent la fin de carrière en équipe 2 ou alors passer sur le banc pour épauler le coach, Jean-Jacques.
Et justement, mardi, juste avant l’entraînement, il reçoit ce texto de JJ (c’est comme ça que tout le monde l’appelle, à cause deux autres Jacques).
« Hé bro, ce soir, y’a un nouveau qui vient faire un essai. Faudra voir, mais il devrait être pas mal. »
« Mouais, tu parles », se dit Lebrun.
« On les connait les mecs qui arrivent en cours de saison en disant qu’ils ont joué en N3 ou en jeunes en région, et qui n’ont jamais rien fait d’autre que de cirer le banc. En tout cas, il a pas intérêt à se la raconter, parce que je suis pas d’humeur. Quitte à pas monter, je vais pas me laisser prendre mon spot. »
Le soir à l’entraînement, JJ commence par faire le débrief du match.
« Bon, bravo pour la victoire les gars, bien joué. Par contre, comme vous, je suis dégouté pour Antho. »
Tout le monde se retourne vers Anthony qui est quand même venu avec ses béquilles.
« Ça ne va pas être facile de finir la saison sans toi, mais on va faire le maximum pour continuer d’avancer et bien préparer la saison prochaine dès maintenant. D’une certaine manière, ça va nous permettre de prendre de l’avance et quand tu nous rejoindras, on sera prêts. »
A ce moment-là, alors que tout le monde est en rond au milieu du terrain, un grand blond un peu joufflu pose ses affaires dans un coin du gymnase et se rapproche timidement du groupe.
« Ah, oui », reprend JJ.
« Ce soir, il y a un nouveau qui vient faire un essai avec nous. Donc voici Lucas.
Lebrun, je compte sur toi pour lui expliquer les systèmes, histoire qu’on ne perde pas trop de temps. »
Après le cri et la mise en route de l’échauffement, alors que tout le monde se répartit pour faire ses étirements, Lebrun s’approche de Lucas pour entamer la discussion.
« Tu jouais où avant ? »
« J’étais à Chinon-sous-Roche. »
« Ah ouais, ils ont une équipe en R3, non ? »
« Oui, mais c’est l’équipe 2 ça… »
« Elle joue en quoi leur équipe 1 ? »
« On était en N2. »
« Ah ouais ? Mais pourquoi t’es venu ici ? »
« Je suis venu pour le taf, je viens de finir mes études. Mais bon, de toute façon, je ne serai pas resté. »
« Ah bon, pourquoi ? »
« Je me suis embrouillé avec l’assistant coach, qui était le fils de la présidente. Après notre montée de N3, j’avais fini meilleur scoreur de N2, mais avec les études et toutes les blessures qu’il avait fallu compenser durant la saison, j’avais fini un peu rincé. Le gars voulait qu’on reprenne les entraînements le 7 août pour faire une préparation physique avec un ancien entraîneur pro je crois, un mec qui s’appelle Fernand Lopez ou un truc comme ça.
J’avais déjà calé mes vacances depuis longtemps et quand je me suis pointé le 14 août, il m’a dit que personne n’était au-dessus de l’équipe et que j’avais trahi le club en privilégiant mes vacances, alors qu’ils avaient tout fait pour moi depuis le début et qu’ils avaient même fait une exception en me défrayant mes déplacements.
J’avais trop le seum. Je suis allé voir Jason, le coach, il a halluciné et il m’a dit qu’il n’était pas du tout au courant de tout ça et que ça allait s’arranger. Mais au final, Nico (l’assistant coach) était allé raconter je ne sais pas quoi à sa daronne et elle n’a pas voulu faire mes papiers tant que je n’aurais pas payé ma licence pour la saison à venir plus celle pour l’année passée.
Franchement, j’aimais bien le club, on était sur une bonne dynamique et y’avait un autre super joueur avec qui j’étais bien devenu pote, Ke-Éri (en vrai il s’appelle Eric, mais ça fait moins kainri), mais là ça faisait trop. Du coup, j’ai juste joué à la fac l’an dernier et là je viens d’arriver. Votre club était le plus près de chez moi. »
Dans la tête de Lebrun, tout commençait à s’emballer.
« Attends. Tu veux dire que tu jouais en N2 et que là t’es pas muté ? Du coup, tu pourrais finir la saison avec nous ? »
« Bah, faut voir. C’est seulement si vous avez besoin, quoi. Je ne voudrais pas perturber votre saison ou prendre la place de qui que ce soit. »
Lebrun n’avait même pas écouté la fin de sa phrase qu’il avait déjà pris sa décision. Juste avant que JJ ne lance le jeu, il avait réuni tout le monde pour donner un petit message à l’équipe et donner le ton. Après tout, c’est ce que font tous les vrais leaders.
"Luka, be your f*ing self.
Don't fit in, fit the f* out."-LeBron to Luka! pic.twitter.com/fSJ7jpAndq
— Luka Updates (@LukaUpdates) February 11, 2025
« Putain, mais si ça se trouve on va être encore largement meilleur ! »
Ce n’est qu’en voyant la gueule dépitée d’Anthony à côté de lui que JJ se rendit compte qu’il avait dit tout haut ce qu’il pensait avoir simplement formulé dans son esprit.
Finalement, le sale coup de samedi dernier sera peut-être vite oublié…