« Ils n’ont plus le choix maintenant. » LeBron James est comme tout le monde, enfin, non, pas du tout, il est exceptionnellement au-dessus du lot en matière de basketball mais il reste un humain, même si ses performances extraordinaires relèvent justement de… l’extraordinaire. Mais comme tout humain, jusqu’à preuve du contraire donc, il écoute et lit ce qui se dit sur lui. Pour ensuite s’en servir de sources de motivations supplémentaires. Comme lorsqu’il se sent oublié des discussions à propos des purs scoreurs qui ont un jour évolué en NBA.
« Je ricane quand je vois les listes des meilleurs scoreurs de l’Histoire et que mon nom n’est jamais mentionné. Ils n’ont plus le choix maintenant. Ils n’ont plus le choix ! » confiait le King lors d’un épisode de The Shop, une émission produite par sa propre boite de média.
En effet, que ce soit en volume, en moyenne, en termes d’efficacité ou dans le temps, impossible d’ignorer James quand il s’agit de mettre un ballon dans un panier. Il est devenu mardi soir le meilleur marqueur de tous les temps en dépassant Kareem Abdul-Jabbar. Il va sans doute atteindre les 40 000 points en carrière. 27 pions de moyenne sur une carrière débutée en 2003, pas une seule saison sous les 20 points, potentiellement quatre au-dessus des 30. Le tout à 50% de réussite aux tirs. Sachant qu’il est aussi déjà le meilleur marqueur de l’Histoire des playoffs.
Le record FOU de LeBron James en 10 chiffres !
Sauf que l’ironie, c’est que c’est LeBron qui s’est lui-même souvent écarter de ces fameuses listes des meilleurs scoreurs. En refusant continuellement cette étiquette. Les journalistes, encore plus américains, s’inspirent souvent de ce qu’il dit et de ce qu’il transmet. Il a cette aura. Et si le natif d’Akron a répété à maintes et maintes reprises qu’il ne se voyait pas comme un scoreur, alors bon nombre d’entre eux ont arrêté de le considérer comme tel.
« Je n’aime toujours pas ce terme de scoreur. Je n’aime pas être considéré comme un scoreur. J’ai toujours éprouvé une fierté à être un joueur qui cherche d’abord à faire la passe et à mettre tout le monde dans de bonnes conditions. »
Au final, le « ils » qu’il mentionnait, c’est peut-être lui-même. Il n’a plus le choix. Plus d’autres choix que de se glisser dans cette catégorie. Mais pour sa défense, c’est vrai qu’il ne renvoie pas l’image d’un scoreur pur comme Michael Jordan, Kobe Bryant ou encore Kevin Durant. Son style est différent. Il n’a pas particulièrement de « signature move » non plus.
« Il ne se repose pas sur un arsenal de dribbles ou de moves pour se créer de l’espace. Pour moi, c’est pour ça qu’il n’est pas toujours considéré comme un scoreur », confie Kyle Korver, son ancien coéquipier au Miami Heat et aux Cleveland Cavaliers.
Pendant longtemps, il y est allé… en force. C’est une caricature. Ce n’est pas tout à fait vrai. James n’est pas un scoreur esthétique comme Kyrie Irving. Ce n’est pas un artiste dans sa manière d’attaquer le panier et de conclure. Il n’est pas soyeux. Mais savoir percuter, attire toute l’attention de la défense, encaisser les chocs et finir de près, ce sont des atouts ! Entretenir son corps, développer une telle puissance, une telle agilité et une telle résistance, ce sont des atouts !
Il avait des airs de TGV humain qui fonce dans un mur et fait exploser le mur. Là encore, c’est en forçant le trait. Il a toujours eu d’autres flèches à son arc. Surtout, il en a ajouté, saison après saison, en bossant continuellement sur sa panoplie pour devenir encore plus complet.
« J’ai toujours cherché à progresser pour n’avoir aucune faiblesse. Je me suis adapté à ce que les défenses me proposaient pour essayer de devenir le plus inarrêtable possible. »
LeBron James a dépassé Kareem Abdul-Jabbar et c’est un symbole. L’action précédente, il filait au cercle, en puissance, pour inscrire un layup. Celle encore avant, il se retrouvait à la conclusion d’un alley-oop après avoir joué sans le ballon. Mais le tir à mi-distance pour s’offrir le record prend une dimension encore plus iconique. Parce que ça témoigne du joueur qui, à force de travail, est devenu un bon shooteur dans cette ligue.
« Il ne pouvait pas tirer au début. Je lui laissais 1 mètre et ce n’était pas joli. Mais quand il a appris à mettre dedans, je me suis dit, ‘mon dieu, c’est fini pour la ligue’ », se souvient Shane Battier, adversaire devenu coéquipier lors des épopées floridiennes.
« En début de carrière, c’était le tir que ses adversaires le laissaient prendre. Et c’est ce tir qui lui a fait gagner des titres », remarque aussi Erik Spoelstra.
James a appris de ses erreurs et de ses échecs. En 2007, il menait une équipe bien moyennasse des Cavaliers jusqu’aux finales NBA. Tout ça pour se faire balayer en quatre manches par les San Antonio Spurs. Gregg Popovich avait un plan très simple : laisser LBJ prendre des tirs et l’éloigner le plus possible du cercle. Il a fini la série avec 22 points de moyenne et 35% de réussite, dont 20% à trois-points. Mais ça l’a poussé à jouer autrement, à travailler encore.
LeBron James, la plus grande carrière de l’Histoire
Six ans plus tard, il retrouvait les éperons avec le titre mis en jeu. Des finales incroyables, parmi les plus belles de l’Histoire, finalement gagnées en 7 manches par le Heat. Tout le monde se souvient du tir miraculeux de Ray Allen dans le Game 6 mais n’oublions pas que le King a lui aussi planté un panier primé très important quelques secondes avant. Ses 16 points dans le quatrième quart-temps ont maintenu Miami en vie. Sans quoi il n’y aurait jamais eu cette opportunité pour Allen.
Les Floridiens ont obtenu un ultime Game 7, là aussi très serré. Et c’est lui qui a eu le mot de la fin en plantant, comme un symbole donc, le panier pour la gagne à mi-distance. Le « plus gros tir de sa carrière » selon lui. Magistral.
Entre ces deux finales, il en avait perdu une autre (et enfin gagné une) en 2011 contre les Dallas Mavericks. Un échec terrible, le plus dur à encaisser, qui l’a poussé à se révolutionner pendant l’été en travaillant comme un acharné. Après ça, il est revenu plus fort que jamais. En acceptant de jouer tous les rôles. Celui du porteur de balle, bien sûr, mais aussi de l’ailier qui coupe ou de l’intérieur qui pose des écrans. Avec ou sans la gonfle. Une copie parfaite. Parce qu’au final, ce qui résume le mieux LeBron James, plus que scoreur ou « pass first », c’est avant tout un joueur génial qui cherche constamment à prendre la bonne décision sur le terrain. Et avec son talent, souvent, la bonne décision, finalement, c’est de scorer parce qu’il le fait mieux que les autres.
« Quand vous pensez à LeBron, vous pensez à un point forward : un créateur exceptionnel qui a l’air de briller encore plus en passant qu’en scorant. Et pourtant, il est le meilleur marqueur de tous les temps. C’est dingue », estime Steve Kerr.
Il marque encore plus qu’il ne passe la balle. Mais c’est souvent bon signe quand il lâche les ballons. Ça tend à montrer qu’il est bien entouré. Ça ouvre le jeu, ça implique les autres et ça lui libère des espaces par la suite si ses coéquipiers mettent leurs tirs. D’où l’intérêt de l’entourer avec des snipers tout au long de sa carrière. Sauf aux Lakers, là où, et ce n’est pas un hasard, ça marche moins bien.
Quand James doit scorer à profusion, plus que de raison, c’est finalement le signe que l’équipe est moins forte ou qu’elle est en difficulté. Comme ses 25 points consécutifs contre les Detroit Pistons en finales de Conférence. Ou ses 45 points pour sauver les « Three Amigos » lors d’un Game 6 contre les Boston Celtics en 2012. Ou encore ses deux matches de suite à 41 points lors des Games 5 et 6 des finales NBA 2016. Voire les 51 lors du Game 1 des finales 2018. Ou aux Lakers cette saison. Il sait le faire. Très bien le faire. Mieux que 99,9% des joueurs passés dans cette ligue. Mais ce n’est pas forcément ce qu’il y a de mieux.
Sa maîtrise du basket est peut-être inégalée. Il a été un défenseur d’élite pendant une majeure partie de sa carrière. Mais même sur le plan strictement offensif, il y a eu peu d’attaquants comme lui. Magic Johnson était le plus grand en terme d’efficacité d’équipe. Michael Jordan et Kobe Bryant ont atteint un niveau irréel en termes de technique. Larry Bird s’en rapproche en quelque sorte mais sans avoir la longévité du King. Mais sur la maîtrise globale de tous les aspects du jeu, difficile de lui trouver un équivalent.
« Il peut être un scoreur exceptionnel de n’importe quel endroit du terrain. Je ne peux même pas imaginer comment les équipes adverses préparent leur plan défensif contre lui. Il n’y a pas de réponses. Ou alors que des mauvaises réponses. Il n’y a pas un seul scoreur – peut-être Larry Bird ? – auquel je peux penser qui maîtrisait autant toutes les facettes. Même pas Jordan. Même pas Kareem », conclut Battier.
Les hommes mentent, pas les chiffres. Et le numéro un, au scoring, en NBA, et sans doute pour très longtemps, c’est LeBron James.