Meilleur joueur, mode d'emploi
Mais déjà, ça veut dire quoi « meilleur joueur » ? Comment définir un terme finalement aussi abstrait ? Le premier réflexe serait de comparer… les bagues. Le concours de celui qui en a le plus. Cet argument est pourtant trop simpliste. Nombreux sont les joueurs à avoir remporté plusieurs titres au cours de leur carrière. Il suffit parfois d’être au bon endroit, au bon moment. Il ne faut donc pas seulement être sacré. Le plus gratifiant, c’est de mener son équipe au sommet. Être le champion des champions. Il existe un indice intéressant – même si, comme toutes les statistiques, il a ses limites – pour mesurer la contribution d’un homme au succès de sa franchise. Les « Win Shares ». Le calcul de ces données est un peu barbare (tout est expliqué ici) mais les dirigeants des organisations NBA les prennent en compte dans leur évaluation des joueurs. Faisons donc de même. L’idée serait la suivante : pour être le meilleur joueur de l’histoire des playoffs, il faut des bagues mais il faut aussi être le meilleur joueur de son équipe l’année du titre. Le cas de Kareem Abdul-Jabbar est assez parlant. « The Hook » a décroché six championnats au long de son immense carrière. Mais il était le leader de son équipe à deux reprises seulement : avec les Milwaukee Bucks en 1971 et avec les Los Angeles Lakers en 1980. Par la suite, il est devenu le lieutenant de luxe de Magic Johnson. Bill Russell a onze titres à son palmarès, tous remportés dans la peau du patron des Boston Celtics. Mais, hey, soyons réalistes. Il jouait à une époque où la NBA comptait moins de dix équipes. Moins de dix équipes. Sérieusement. Est-ce même comparable ? Dans de telles conditions, Jordan et compagnie pourraient enfiler des bagues à leurs doigts de pied aujourd’hui. En parlant de MJ, l’icône des Chicago Bulls a donc fait un parfait six sur six en finales NBA. Et ce, en étant évidemment à chaque fois le leader des taureaux aux « Win Shares ». En parlant de MJ (bis), Magic Johnson a un titre de moins, cinq donc, et il était lui aussi le meilleur joueur des Lakers à chaque fois. [caption id="attachment_355007" align="alignnone" width="1400"] Kobe Bryant n'a jamais mené son équipe aux "Win Shares" lors de ses cinq titres avec Los Angeles.[/caption] En parlant… des Lakers. Kobe Bryant. Cinq titres. Jamais leader aux « Win Shares ». Yep. Pas une seule fois. Voilà qui va faire beugler ses fans et ravir ses détracteurs. Même en 2009 et 2010, Pau Gasol contribuait plus au succès – sur cet aspect statistique seulement évidemment – des siens que le Black Mamba. Et leur PER était d’ailleurs quasiment identique. En 2000, 2001 et 2002, Shaquille O’Neal était le joueur dominant des Angelenos. En parlant du Shaq, il a donc quatre bagues. Mais Dwyane Wade était au cœur de la victoire du Miami Heat en 2006. Tim Duncan a été le principal artisan des succès de son équipe à quatre reprises (1999, 2003, 2005 et 2007, Kawhi Leonard prenant les commandes en 2014). Reste donc LeBron. Trois titres. Autant que Larry Bird. Mais contrairement à la légende des Celtics, James a toujours été le leader de son équipe aux « Win Shares » lors de chacun de ses couronnements. Il est d’ailleurs le joueur qui compte le plus de WS accumulées en playoffs… dans toute l’histoire de la NBA ! De ce constat, et en prenant en compte les statistiques, les performances mythiques et l’impact laissé sur la ligue, nous avons déjà un trio d’hommes en tête : Magic, Jordan et LeBron.Michael Jordan et LeBron James, loin devant les autres
Accélérons le processus. Retirons Magic de suite de la course. C’est un parti pris. Johnson a plus de bagues que James. Mais si le King était bien entouré avec Dwyane Wade et Chris Bosh à Miami puis Kyrie Irving et Kevin Love à Cleveland, que dire de Magic ? Deux Hall Of Famers, l’un des meilleurs de tous les temps et un paquet de bons joueurs à ses côtés. Le natif d’Akron est le meilleur marqueur de l’histoire des playoffs. Il est troisième aux passes, loin derrière Magic mais il a encore quelques années pour rattraper son retard. Il est deuxième aux interceptions et devrait très prochainement prendre la tête (13 steals de retard sur Scottie Pippen). Septième aux rebonds. A l’heure actuelle, il a déjà eu un impact plus grand sur les playoffs sur son glorieux aîné. A vrai dire, sa domination est finalement comparable à celle de Jordan. Ou, en tout cas, elle commence à y être comparée. LeBron James brise des carrières comme His Airness avant lui. Il barre tout accès aux finales NBA à l’Est. Bulls, Pacers, Hawks, Raptors et Celtics se sont déjà cassé les dents, prenant parfois sweep sur sweep. Il a démoralisé les stars de toute une moitié du pays. Comme Jojo avant lui. Maintenant, le thème revient souvent : la Conférence Est serait trop faible depuis des années et des années. Mais est-elle vraiment trop faible ou le King est-il juste trop fort pour la concurrence ? [caption id="attachment_389905" align="alignnone" width="1400"] LeBron James marche sur la Conférence Est depuis sept ans.[/caption] Pour comparer, voici les statistiques avancées (net rating) des équipes affrontées par Michael Jordan et les Bulls en finales de Conférence lors de ses six qualifications pour les finales NBA. Premier constat : un adversaire différent à CHAQUE fois. 1991, Detroit Pistons : +3,6 points (sur 100 possessions) 1992, Cleveland Cavaliers : +5,3 1993, New York Knicks : +6,4 1996, Orlando Magic : +6 1997, Miami Heat : +6,2 1998, Indiana Pacers : +6,8 Il y a différentes façons d’interpréter ces données. L’équipe différente à chaque fois peut traduire une vraie concurrence à l’Est ou l’absence d’une formation capable de défier Chicago année après année. Trois de ces six franchises (Pistons, Magic et Heat) ont pris un sweep. Une seule (Indiana) a poussé Jordan et sa bande en sept manches. Jetons un œil aux mêmes stats concernant les adversaires de LeBron James.La Conférence Est est-elle trop faible ou LeBron est-il trop fort ?2007, Detroit Pistons : +4,7 2011, Chicago Bulls : +8 2012, Boston Celtics : +2,8 2013, Indiana Pacers : +4,5 2014, Indiana Pacers : +4,8 2015, Atlanta Hawks : +5,8 2016, Toronto Raptors : +4,8 2017, Boston Celtics : +2,8 Détaillons désormais un peu plus l’idée. Là, tout ça, c’est du brut. Des chiffres. Ils veulent dire beaucoup et rien à la fois. Il faut en être conscient. Ce qu’il faut retenir, finalement, peut-on être sûr que le Heat de 1997 était beaucoup plus fort que les Bulls de 2011 ? Les Hawks de 2015 avaient-ils vraiment quelque chose à envier aux Cavaliers de 1992 ? Dans l’ensemble, Michael Jordan a peut-être joué des équipes un peu plus fortes à l’Est. Mais ce n’est pas non plus un parcours du combattant incroyable comme pouvait l’être la Conférence Ouest il y a deux ans par exemple. Autre point clé maintenant, si LeBron James a éventuellement atteint les finales un peu plus facilement que Jordan, a-t-il affronté des adversaires aussi solides ? Et là, la balance peut pencher en faveur du King. En 1991, MJ expédiait en cinq manches des Lakers avec deux futurs Hall Of Famers (Magic et James Worthy) et plusieurs bons joueurs. En 92, il punissait les Portland Trail Blazers d’un Clyde Drexler, seule superstar de son équipe. En 93, les taureaux écartaient une superbe équipe de Phoenix. Mais même si Dan Majerle et Kevin Johnson sont d’excellents joueurs, Charles Barkley était encore une fois le seul Hall Of Famer du lot. En 96, Jordan venait à bout des Sonics de Gary Payton et Shawn Kemps. Un formidable duo, une belle équipe mais certainement pas l’une des plus fortes de tous les temps. En 97 et 98, il éteignait les rêves de sacre de John Stockton et Karl Malone. Encore une équipe avec deux Hall Of Famers. Mais vieux. 34 et 33 ans la première année, 35 et 34 la suivante. Le Jazz profitait de la relative faiblesse (tiens, tiens) à l’Ouest pour rejoindre les finales deux années de suite.
LeBron James a affronté des équipes plus fortes que Michael Jordan en finales NBAEt James alors ? Jugez plutôt. Avec un groupe de bras cassés, il a perdu contre les San Antonio Spurs en 2007. Les éperons de Duncan, Tony Parker et Manu Ginobili. Trois futurs membres du Hall Of Fame a priori. En 2011, il a laissé filer la finale qu’il ne fallait absolument pas perdre : celle contre Dallas. Celle-ci vient ternir sa réputation, surtout vu ses prestations sur la série. Il y avait tout de même deux prochains membres du panthéon dans le lot : Dirk Nowitzki et un Jason Kidd en fin de carrière. En 2012, il a écrasé une jeune équipe du Thunder. La seule année où James Harden, Russell Westbrook et Kevin Durant, trois MVP potentiels, sont allés ensemble en finales. En 2013, il a vaincu des Spurs armés avec quatre futurs Hall Of Famers : Duncan, Ginobili, Parker et, sauf catastrophe dans les dix ans à venir, Kawhi Leonard. Même scénario avec une défaite au bout en 2014. En 2015 et 2016, il a affronté des Golden Warriors surchargés en talents avec un paquet de grands joueurs. En résumé : LeBron James a affronté des équipes plus fortes que Michael Jordan en finales NBA. De quoi relativiser les échecs.