Le pivot américain : une espèce en voie d’extinction

Les pivots américains perdent du terrain en NBA et sur la scène internationale. La conséquence logique de l'évolution du jeu et de leur système de formation.

Le pivot américain : une espèce en voie d’extinction

Lors de la saison 2022-2023, moins de la moitié des pivots titulaires en NBA étaient Américains. Tandis que Nikola Jokic et Joel Embiid se sont partagé les trois derniers titres de MVP, le dernier pivot américain à avoir reçu cette récompense remonte à 2003 avec Tim Duncan. Les All-NBA Teams des 10 dernières années ont été majoritairement composées de pivots étrangers.

Le pivot américain est en voie d’extinction.

Il s’agit sans doute d’une hyperbole. Des intérieurs tels qu’Anthony Davis, sélectionné quatre fois dans une équipe All-NBA, et Bam Adebayo, All-Star cette année, témoignent de leur maintien au plus haut niveau. Mais dans une ligue où plus de trois quarts des athlètes sont américains, la remise en cause de leur hégémonie au poste 5 apparaît tout de même comme une anomalie.

Sur la scène internationale, le constat aussi est visible. Les États-Unis perdent la bataille du rebond à la Coupe du monde et doivent régulièrement utiliser Paolo Banchero dans un rôle d’intérieur. La faiblesse de Team USA se trouve incontestablement dans leur raquette. Et ce n’est pas surprenant, car les meilleurs pivots de leur Championnat sont désormais étrangers.

Les meilleurs pivots du Monde ne viennent plus des États-Unis

10 saisons en arrière, en 2013-2014, Joakim Noah était le seul pivot étranger présent dans l’une des trois All-NBA Teams — la première, en l’occurrence. Deux ans plus tard, ces équipes étaient exclusivement états-uniennes. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée.

En 2022-2023, les trois pivots membres des All-NBA Teams étaient étrangers. Nikola Jokic (trois fois), Joel Embiid (trois fois), Domantas Sabonis, Rudy Gobert et Karl-Anthony Towns ont accaparé toutes les places sur les trois dernières années. Les États-Unis ne peuvent donc se raccrocher qu’à KAT, Dominicano-Américain, qui représente cependant la République Dominicaine en FIBA.

Sur les dix derniers titres de MVP, trois sont revenus à deux pivots étrangers (Jokic deux fois, et Embiid). Quant aux dix derniers titres de Défenseur de l’année, quatre ont été remportés par des pivots : deux Français (Gobert trois fois, et Noah). Seuls les All-Star Games — davantage un indicateur de popularité que de performance — et les All-Defensive Teams viennent sauver les meubles pour les États-Unis en termes de palmarès.

La supériorité des joueurs étrangers, qui ne représentent pourtant qu’une minorité de moins de 25 % en NBA, est devenue manifeste sur ce poste spécifique. Ils occupaient, en 2022-2023, 16 des 30 places de titulaires dans la ligue. À cette échelle, cela ne peut plus être mis sur le compte du hasard.

Les 5 plus gros cartons au scoring par des Européens en NBA

La pénurie des talents parallèle à l’évolution de la NBA

Parmi les meilleurs prospects au monde, les pivots se font de plus en plus rares. Une conséquence logique de l’évolution de la NBA, qui favorise aujourd’hui les extérieurs. Les grands doivent maintenant développer un bagage technique plus poussé pour impacter le jeu, et ceux qui y arrivent sont encore des exceptions. Ou alors ils doivent apprendre à compléter leur backcourt en tant que finisseurs et poseurs d’écrans, des profils qui ne sont pas prioritaires pour les équipes.

Ainsi, sur les cinq dernières cuvées de draft (2018 à 2022), sept joueurs sélectionnés dans le top 15 ont passé la majeure partie de leurs minutes au poste 5. Cette liste comprend Deandre Ayton, seul athlète non américain, mais pas Chet Holmgren, blessé pour sa saison rookie.

Certains de ces intérieurs sont aujourd’hui en claire difficulté. James Wiseman, deuxième choix de la draft 2020, a encore tout à prouver à Detroit. Mo Bamba (6e en 2018) et Jaxson Hayes (8e en 2019) jouent pour moins de trois millions de dollars par saison. Le socle des pivots américains en NBA a du mal à se renouveler, contrairement aux autres postes. Une lacune qui découle directement du modèle de formation américain.

Le problème de la formation des pivots aux États-Unis

D’abord dans le système AAU (Amateur Athletic Union), où le divertissement prime, les joueurs de grande taille ne sont pas initiés aux bases du rôle de pivot. Dans ces matches d’exhibition, les jeunes (7-18 ans) cherchent surtout à développer un style spectaculaire et à produire des highlights. Les intérieurs doivent jouer comme des extérieurs, ou se résigner à servir de faire-valoir.

« Je déteste ça », commentait à ce titre Kobe Bryant à propos de l’AAU, en 2016. « On n’apprend pas à nos jeunes à jouer de la bonne manière, à sentir le jeu, à jouer les combinaisons. C’est juste un showcase et c’est horrible pour le basket. »

À l’échelon supérieur, en NCAA, le problème est inversé. Les intérieurs considérés comme « traditionnels » y sont particulièrement dominants, mais leur jeu est souvent inadapté à la NBA. Les trois derniers Joueurs de l’année dans le circuit universitaire étaient des pivots « à l’ancienne », qui passaient beaucoup de temps dans la raquette : Luka Garza (2021), Oscar Tshiebwe (2022) et Zach Edey (2023). Le premier a été sélectionné en 52e position de la draft en 2021, le deuxième n’a pas été appelé cette année et Edey a préféré retirer son nom de la draft.

Le système ne prépare plus les big men aux exigences de la NBA. Une rupture s’est créée, et peu de pivots issus de la formation américaine possèdent les caractéristiques requises par les franchises chez les professionnels. Celles-ci privilégient donc les « diamants bruts » : des potentiels physiques et les promesses incertaines de basketteurs tardifs, qu’il faudra polir.

Seuls quelques élus parviennent ainsi à sortir de cette dichotomie. Ce sont les joueurs qui combinent la taille d’un intérieur avec les qualités techniques d’un ailier — un genre de talent qui survit aux dérives de l’AAU et résiste aux codes de la NCAA. Et dans une ligue où la capacité à tirer à trois points et à manier le ballon est de plus en plus importante, ces profils sont particulièrement convoités. Cependant, les Chet Holmgren ne poussent pas sur les arbres.

Chet Holmgren, favori de Paul George pour le Rookie of the Year devant Victor Wembanyama

La logique démographique et stylistique d’une révolution

Un « big » est par définition une rareté dans la nature. Seule une infime, ridicule, infinitésimale fraction de la population mondiale dispose du physique requis pour remplir ce rôle. Ils sont encore moins à posséder toutes les qualités — techniques, mentales et autres — nécessaires. Trouver un joueur NBA est déjà une mission impossible. Trouver un pivot capable de jouer en NBA revient, dans l’absolu, à chercher un quart d’aiguille dans un océan de foin.

Il est logique que ce soient ces individus, une démographie rarissime au physique extraordinaire, qu’il faille débusquer aux quatre coins de la planète. Ainsi, la faiblesse des dernières générations d’intérieurs américains a ouvert la porte aux étrangers, notamment aux Européens.

Sur le vieux continent, les pivots « purs » occupent une place plus importante dans le jeu. Leur façon de jouer et l’absence de règle des trois secondes défensives, comme en NBA, incitent les clubs à développer les intérieurs. Pendant ce temps, les États-Unis cherchent la polyvalence. Les grands, parfois formés en tant qu’extérieurs, évoluent plus souvent sur deux postes et beaucoup finissent par jouer en 4, à l’image de Jaren Jackson Jr et Evan Mobley.

Le système américain favorisant d’autres profils, les opportunités sont de plus en plus nombreuses pour les pivots étrangers. Leur immersion précoce dans le milieu professionnel et la compréhension de leur rôle les prépare à saisir ces occasions. Et l’ouverture progressive de la ligue nord-américaine sur le monde, en partie poussée par l’hégémonie de Nikola Jokic et de Joel Embiid, risque d’amplifier le phénomène.

En parallèle, la déchéance des intérieurs américains dans les compétitions internationales est inéluctable. Ils sont de plus en plus rares en NBA, où les big men, toutes origines confondues, perdent du terrain. Ailleurs sur la planète, ils sont responsabilisés, développés et pratiquent un jeu différent, plus proche de celui que l’on attend d’un pivot en FIBA — notamment en raison du règlement.

Les pivots américains ne disparaîtront probablement jamais de la NBA ni de la scène internationale. Certains d’entre eux se maintiendront parmi les meilleurs joueurs du monde, cela ne fait aucun doute. Mais leur emprise s’amenuise progressivement, laissant la place à un nombre croissant d’intérieurs étrangers. Il s’agit sans doute, à ce jour, de la plus grande faille dans l’hégémonie des États-Unis.

Top 10 : Les meilleurs duos de moins de 25 ans en NBA