L’Ovni Kyrie Irving a 31 ans : retour sur le drame de son enfance et le lien avec son père

Kyrie Irving a 31 ans aujourd'hui. La relation unique entre Kyrie et son père Drederick, et les drames qu'ils ont traversés, permettent de mieux le comprendre.

L’Ovni Kyrie Irving a 31 ans : retour sur le drame de son enfance et le lien avec son père

En octobre 2016, nous vous proposions dans le n°59 de REVERSE un portrait de Kyrie Irving, particulièrement sur son enfance et sur la relation qu'il a développée avec son père Drederick. Voici cet article dans son intégralité, en ce jour du 31e anniversaire de cet Ovni qu'est Kyrie, aujourd'hui meneur des Dallas Mavericks.

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Seules deux personnes sont attablées avec Kyrie Irving en ce 23 juin 2011, au Prudential Center de Newark. Drederick, son père, et Asia, sa grande soeur, étreignent le jeune meneur avant que celui-ci n'accepte l'invitation de David Stern à monter sur scène. Le n°1 de la Draft affiche déjà le large sourire qu'on lui connaît aujourd'hui, alors qu'il vient d'aider LeBron James à mettre fin à la malédiction sportive qui frappait Cleveland depuis 52 ans. Derrière cette bonne humeur quasi-constante sous l’œil de caméras qu'il a tout de suite su séduire, se cachent des fêlures que seuls Drederick et Asia peuvent comprendre à ce jour. Ensemble, ils forment ce qu'ils appellent "le triangle", une entité soudée et infaillible qui leur a été imposée par la vie au beau milieu des années 90.

Kyrie IrvingAlors que Kyrie Irving n'a que 4 ans, sa mère Elizabeth est emportée par une maladie foudroyante, deux jours après avoir été admise dans un hôpital de l'état de Washington. Les médecins n'ont d'autre réponse à apporter à ses proches qu'une défaillance d'organes et une infection septique impossibles à endiguer. Le vide laissé par cette musicienne qui se rêvait un jour présidente des Etats-Unis grâce à son bagage en sciences politiques est immense au sein du foyer.

« Même 20 ans après, la douleur est vive. Et elle revient à chaque fois depuis des années dès que je remplis un formulaire. Je suis obligé de laisser un blanc à côté de la case ‘numéro de la mère’. On ne s’y fait jamais vraiment.

Mon père a été dévasté, mais il a tout fait pour que ma sœur et moi grandissions normalement », explique le All-Star sur Elite Daily.

Drederick et Elizabeth s'étaient rencontrés presque 10 ans plus tôt à l'université de Boston où lui, originaire du Bronx, avait décroché une bourse pour intégrer l'équipe de basket tout en suivant un cursus en économie.  Mis à l'essai par les Boston Celtics en 1989, Drederick ne réussit pas à convaincre la franchise de lui offrir une place en NBA malgré un talent indéniable et une dextérité annonciatrice de celle de sa future progéniture. L'un de ses amis d'enfance, l'ancien meilleur passeur de la ligue Rod Strickland, confirme.

"Dred était fort. On avait un style de jeu très similaire qui est finalement un peu aussi celui de Kyrie. Dred était davantage un scoreur que moi, il avait cette capacité que l'on retrouve chez son fils : être capable de marquer en se contorsionnant, en changeant de main ou dans des situations très compliquées", explique Strickland, parrain de Kyrie, sur True Hoops TV.

L’Australie comme terre promise

« Petit, je ne parlais jamais aux autres de la perte de ma mère. »

Alors qu'il s'apprête à tirer un trait sur sa carrière et à travailler dans la finance, Irving reçoit un coup de fil étonnant de Brett Brown, son aîné à la fac du Massachusetts. Celui-ci vient de décrocher son premier job sur le banc du club de Bulleen, en SEABL, obscure ligue du Sud-Est australien, et lui offre un contrat. Alors qu'Asia a seulement un an et qu'Elizabeth vient d'apprendre qu'elle attend un deuxième enfant, le couple plie bagage en direction de cette petite ville de 10 000 habitants dans la banlieue de Melbourne.

Cet article sur Kyrie Irving est extrait du numéro 59 de REVERSE

Kyrie Irving y voit le jour en mars 1992 et y passe les deux premières années de sa vie, découvrant le basket au gré des matches et des déplacements de son père. Les qualités offensives de "Dred" lui permettent de tourner à 30 points de moyenne et d'être adulé par les fans des Boomers, qui font  aussi connaissance  avec un petit bonhomme épatant et captivé par les moindres faits et gestes de son père.

"A 13 mois, Kyrie venait aux matches avec Elizabeth et commençait déjà à dribbler à une main pour m'imiter. J'ai des cassettes à la maison qui le prouvent", raconte Drederick dans le NY Daily News.

Deux belles années plus tard, la petite famille rentre au pays tout en gardant une affection sans bornes pour l'Australie. Elizabeth, qui n'a plus que 20 mois à vivre, n'aura malheureusement jamais plus l'occasion d'y retourner. Kyrie Irving, lui, aurait très bien pu être le meneur des Boomers aux derniers Jeux Olympiques. Ce n'est qu'en 2012 qu'il a définitivement opté pour Team USA grâce au travail de sape de Mike Krzyzewski. Wayne Carroll, l'ancien patron de la sélection australienne, se souvient.

"Brett Brown est le seul à avoir cru en Drederick Irving à l'époque et à avoir suivi Kyrie depuis le lycée. Il nous a aidé à contacter Kyrie et à lui promettre qu'il pourrait faire trois ou quatre JO en tant que titulaire avec nous alors que ce serait plus compliqué avec Team USA.

Kyrie a réellement réfléchi à cette possibilité et aurait peut-être dit oui s'il n'avait pas été à Duke avec Coach K. Ce n'est pas passé très loin", a-t-il regretté sur FOX Sports.

Les liens entre Irving et Down Under ne sont toutefois pas complètement rompus, puisqu'il est retourné sur sa terre natale en 2013 en compagnie de son père.

« C’était probablement la plus belle expérience de ma vie hors basket. Aller là-bas avec lui et l’écouter me raconter ses souvenirs de joueur et de père de famille, c’était incroyable. Je ferai tout pour y retourner aussi souvent que possible », s’était-il enthousiasmé à son retour.

Si les histoires de femmes qui se sont démenées pour permettre à leurs enfants de réaliser un jour leur rêve sont nombreuses en NBA, Drederick est l'un des seuls "single dads" à avoir été confronté à cette situation. Alors que celle dont il est "tombé amoureux en 30 secondes" lui a été arrachée, il s'installe avec ses enfants dans le New Jersey et décroche un emploi de courtier à New York qui lui permet d'inscrire ses enfants dans le privé.

Abandonné par son père à 6 ans et élevé dans un décor où drogues et violence faisaient bon ménage, il leur fait néanmoins passer tous leurs week-ends dans les logements sociaux du Bronx où vit encore une partie de sa famille. Drederick ne veut pas que ses enfants oublient de quel milieu vient leur père et qu’il ne s’en est sorti que grâce aux études et au sport. A cette période, l'absence d'Elizabeth pèse beaucoup sur Kyrie Irving, au point de l’isoler un peu de ses camarades de classe.

"Petit, je ne parlais jamais aux autres de la perte de ma mère. La plupart des autres enfants avaient leurs deux parents qui venaient les chercher à l'école.

En cours, je fixais souvent les murs en me demandant si je me serais bien entendu avec elle ou ce qu'elle aurait pensé de moi dans telle ou telle situation. A chaque fois que je commençais à broyer du noir, je sortais jouer au basket.

Puis je me suis ouvert à mon père et c'est devenu mon confident, mon héros", se souvient-il.

La thérapie du prodige passe effectivement par la pratique acharnée du sport dans lequel son géniteur excellait. Drederick comprend que son fils a quelque chose de plus que les autres et que son rêve déçu d'une carrière en NBA a de bonnes chances d'être vécu par procuration. Il prend en charge les entraînements de Kyrie et lui transmet tout ce qu'il peut avec patience et bienveillance. Dans un tiroir de sa maison du New Jersey, le père du meneur des Cavaliers conserve comme une relique une preuve de ces moments père-fils qui sont à la base de la réussite de son héritier : une carte de fête des pères datant de 2002, avec l'écriture un poil anarchique de son garçon de 10 ans.

"Cher Papa, merci de prendre soin de moi parce que je sais que sans toi, je ne serais pas moi. Merci de m'apprendre le basket, je sais que j'ai encore beaucoup de chemin à faire, mais je veux faire comme toi. Je t'aime et t'aimerai toujours".

Sur les cendres du World Trade Center

"J'ai aperçu ce que je pensais être des débris qui tombaient du ciel. Ce n'étaient pas des débris, mais les corps des gens qui sautaient de la tour."

Au moindre petit coup de blues, Drederick est aux côtés de Kyrie, comme lors de son premier match à la Montclair Kimberley Academy face à l'équipe de Newark. Le public local utilise la notoriété grandissante du meneur, déjà surveillé par les meilleures universités du pays, pour le perturber. Et c'est plutôt efficace.

"Avant même que je ne prenne mon premier tir, les fans se sont mis à crier : "Surcoté ! Surcoté !". Alors après avoir reçu une passe bizarre dans le coin droit, j'ai pivoté et pris un shoot à 3 points impossible pour les faire taire. Il n'y avait aucun angle mais j'ai quand même réussi à toucher le panneau. Les moqueries ont fusé. C'est le premier shoot de ma carrière...", se souvient Irving.

Ces déboires formateurs, Drederick aurait pu ne jamais y assister. Le destin a en effet bien failli priver Kyrie Irving de son père, cinq ans après la disparition tragique de sa mère.

Le matin du 11 septembre 2001, à 8h45, Drederick Irving se rend comme tous les jours sur Financial Square, à Manhattan, pour y travailler chez Thomson Reuters. Pour accéder au bâtiment, il est obligé d'emprunter le hall du World Trade Center. Alors qu'il se trouve à proximité de la sortie, le trentenaire est soufflé par un bruit assourdissant. En quelques secondes, une scène de fin du monde s'installe. Les murs s'effondrent, la poussière et les hurlements envahissent les lieux. Le premier avion AA11 d'American Airlines vient de percuter la Tour Nord du futur Ground Zero.

"La seule chose à laquelle j'ai pensé c'est que je devais rejoindre mes enfants, mais les gens avaient peur de sortir de l'immeuble. Je suis finalement sorti et j'ai couru en évitant les pièces de métal et le verre brisé. J'ai essayé de joindre mes collègues qui travaillaient dans les Twin Towers, mais personne ne m'a répondu. 

Puis j'ai aperçu ce que je pensais être des débris qui tombaient du ciel. Ce n'étaient pas des débris, mais les corps des gens qui sautaient de la tour. Il m'a fallu des années pour m'enlever ces images de la tête et il m'arrive encore aujourd'hui d'en faire des cauchemars. J'ai perdu tellement d'amis..."

Drederick parcourt alors à pied et en 6 heures les 18 km qui séparent Wall Street du quartier où se trouvent ses enfants dans une ville en plein chaos. Mis au courant par leurs professeurs des dramatiques événements survenus dans la matinée, Kyrie et Asia voient leur père fondre en larmes de fatigue et d’angoisse à leur retour à la maison. C’est l’une des rares fois où Drederick flanchera devant ses rejetons.

Après ce traumatisme, il n’en sera que plus prévenant et exigeant avec eux, faisant notamment promettre à Kyrie d’obtenir son diplôme à Duke même après son départ en NBA. Ce dernier est également poussé à préserver l’héritage musical de leur mère et il apprend le saxophone tout en s’abreuvant des bandes originales de comédies musicales qu’Elizabeth adorait, là où ses camarades consomment majoritairement du hip hop. A Duke, il prend des cours de théâtre qu’il mettra en application dans les spots publicitaires Pepsi qui l’aideront à devenir l’un des joueurs les plus aimés du grand public.

Avant de conquérir sa première bague de champion NBA à 24 ans, Kyrie Irving avait déjà rendu un hommage appuyé à celle à qui il continue d’écrire des missives via son journal intime. En faisant inscrire le nom et la date d’anniversaire d’Elizabeth sur ses premières chaussures signatures chez Nike, mais aussi et surtout en donnant la vie à une petite Azurie Elisabeth Irving en novembre 2015. Dans la foulée, il publie ce message sur Instagram :

«Maman, je lui ai donné ton nom parce que je sais que ça lui portera chance de la même manière que tu nous as porté chance. Tu me manques, je t’aime ».

Drederick, lui, s’est remarié, mais n’a jamais abandonné son rôle de guide pour Kyrie.

« Tant qu’il sera à mes côtés, j’ai le sentiment que rien ne pourra m’arrêter », avait confié Irving avant les Finales 2016.

Stephen Curry et les Warriors, témoins privilégiés de son shoot désormais culte dans le Game 7, ne pourront pas lui soutenir le contraire.