Le bohème et l’ingénieur
En cette soirée pluvieuse qui ponctuait un mois de mars intense, Kobe était arrivée à l'Oracle Arena d'Oakland avant tout le monde. Méthodiquement, il a pris des shoots. Il a commencé à s'étirer. Premiers réveils musculaires. Premiers massages. Mécaniquement, le visage fermé, il s'approprie une salle qui s'apprête à subir ses assauts. Quelques heures après, cette même salle s'est remplie, un souffle de tension la parcourt. Les Lakers luttent en fin de match. Kobe se fait meneur, s'invente maître de la peinture, revêt son habit de tueur froid derrière l'arceau. En tête de raquette, il reçoit la balle. L'horloge ne lui accorde qu'une minute. D'un dribble sur la gauche, il amorce son mouvement et fait faux-bond à la prise à deux adverse. Plusieurs possibilités de passes lui sont offertes. Superbement, il les ignore. D'une prise d'appuis assurée, il efface le marquage adverse et crée son shoot d'un fade-away magistral qui vient mettre les Warriors au tapis. De retour en défense, l'air renfrogné, il n'accorde qu'une importance mineure à cette arène qui s'époumone en son honneur, arène qui s'est remplie pour vivre sa légende, arène sur laquelle il a posé l'élégante signature de la victoire, la sienne. Gentry Lewis s'approche. Interpellé par Pam Bryant, le pivot des Cobras de Bangkok colle son oreille au téléphone que la femme du coach lui tend. « C'est Kobe », lui dit-elle. Surpris, il écoute :« Vas-y et botte des culs ce soir. Fais ce que tu as à faire et prend du plaisir mais rappelle toi d'une chose : il est temps d'élever le putain de niveau de jeu », souffle un Kobe qui est déjà, à 10h, en practice.Au restaurant, en compagnie de ses joueurs et de sa femme, Jellybean savoure l'instant. Son équipe a remporté le match. Son fils lui procure une fierté sans limite. On l'invite à participer à une partie de billard. Opposé à Martin Cruz, l'arrière des Cobras, Joe entame la partie du mauvais pied mais remonte la pente et tient en main la victoire : la boule n°8 est seule sur ce tapis vert. Jellybean arme, la queue prête à faire ricocher l'ultime boule. Tout sourire, il déploie son corps à l'allure dégingandée et secoue la tête :
« Non, allez, je ne peux pas faire ça à un de mes joueurs », s'excuse-t-il sympathiquement.Drôle de comportement pour un Bryant, n'est-ce pas ? Là où Kobe semble obsédé par la victoire, Joe apparait simplement plus « cool ». Steve Mix, All-Star et coéquipier de Joe Bryant à aux Sixers, s'étonne même de la filiation :
« Si on m'avait dit que, parmi tous, les gars avec qui j'ai joué, Joe Bryant aurait été celui qui produirait l'un des plus grands joueurs de la génération suivante, je ne vous aurais jamais cru. Ça aurait pu être Mo Cheeks, mais pas Joe. »Jerry West, figure emblématique des Lakers qui a réalisé le trade menant Kobe à L.A. la nuit même de la draft, est même plus catégorique :
« Ce sont deux personnes totalement différentes. Si on t'appelle Jellybean, qu'est ce que cela révèle de toi ? Ce n'est pas une insulte mais ça veut dire que tu n'es pas vraiment un guerrier. »