Anything is pas si belle
Si l’on devait ne garder qu’un seul mot pour décrire Kevin Garnett, ce serait donc intensité. Polyvalence, prototype, phénomène, précoce ou encore exaspérant se disputent la deuxième place. C’est son intensité qui l’a poussé à se battre contre des moulins pendant des années dans un trou perdu dont l’Amérique entière se fout royalement. C’est elle qui a poussé Minnesota à lui offrir un contrat record (126 millions sur six ans, alors qu’il n’avait que 21 ans) qui a fait grincer toutes les dents au moment de sa signature, mais qui a marqué le début d’une nouvelle ère pour les joueurs NBA dont l’été agité auquel on vient d’assister n’est que la dernière manifestation en date. C’est donc elle qui lui a fait gagner près de 336 millions de dollars, rien qu’en contrats sportifs, le record absolu pour l’instant.« Il a un côté Dr Jekyll et Mister Hyde » Sam CassellEt c’est évidemment elle qui nous l’a montré sous son meilleur visage (le titre 2008 avec les Celtics) comme sous son pire (son insupportable manie de faire le malin en chauffant des meneurs d’1,90 m et sa tendance aux dérapages verbaux inacceptables). Adoré par ses partenaires, méprisé par nombre de ses adversaires et considéré parfois comme un lâche à grande gueule, Garnett était donc aussi une sorte de Bill Laimbeer 2.0. Mais le meilleur des coéquipiers n’est-il pas parfois le plus détestable des adversaires ?
« Il a un côté Dr Jekyll et Mister Hyde », avouait Sam Cassell au Bleacher Report.
« En dehors du terrain, c’est quelqu’un de bien. Mais sur le parquet, il devient hystérique. Si tu n’as pas un maillot de la même couleur que le sien, tu es un ennemi. »Bien canalisée, son énergie légendaire en faisait non seulement un compétiteur fabuleux mais également un leader exceptionnel. Toujours positif, toujours prêt à donner un conseil, toujours là pour encourager jusqu’au 12ème joueur de l’effectif, il était l’anti-Kobe. À en croire Phil Jackson, les deux ont d’ailleurs failli jouer ensemble.
« Mon souhait était que Garnett soit un bon partenaire pour Kobe et que son addition aide à l’apaiser et à le motiver à se réinvestir dans l’équipe », explique-t-il dans son livre « Eleven Rings ».
« Mais l’échange est tombé à l’eau au dernier moment quand Boston a fait une offre à Minnesota que Kavin Garnett a trouvé plus attirante. »Grand bien lui en a pris. Les Celtics de 2007 étaient faits pour lui. Quelle franchise plus symbolique que celle-ci aurait bien pu accueillir l’ex-prototype du joueur du nouveau millénaire pour gagner un titre qui lui échappait depuis plus de vingt ans ? Que celui qui a gâché son talent avant-gardiste dans une franchise anonyme et moribonde devienne une pièce « comme une autre » de l’effectif champion d’un club plein de tradition est un drôle de pied-de-nez au destin. Comment Kevin Garnett motivait les Celtics… avec des insultes Et pourtant. KG avait beau être extrêmement en avance sur son temps à bien des égards, il a toujours mis en application les principes les plus élémentaires du basket qui gagne : un effort constant en défense, la volonté de sacrifier ses stats pour le bien du collectif en attaque, et une attitude irréprochable à l’entraînement, sur le banc et dans le vestiaire. L’incarnation du basket new-age était en fait fondamentalement old-school. De la fin de sa carrière, c’est d’ailleurs davantage son leadership que ses performances qui ressort.
« Il a d’abord essayé d’apprendre aux jeunes gars le professionnalisme, pas le basket », explique Doc Rivers, son coach à Boston.
« Il leur a acheté des costards et leur a dit ‘‘Si vous venez bosser, vous venez en costard-cravate, vous venez pour travailler’’. Je n’ai jamais eu à dire aux jeunes d’arriver à l’heure. C’est lui qui s’en est occupé. »C’est en bonne partie pour son influence sur les jeunes que Flip Saunders a fini par le convaincre de revenir finir sa carrière là où elle avait commencé. Bien sûr, la portée symbolique d’un retour aux sources était incontournable, mais dans l’optique du coach/dirigeant, la présence d’un tel vétéran pour encadrer son effectif n’avait pas de prix.
« Au premier road-trip qu’on a fait », raconte-t-il, « les jeunes gars étaient tous dans le fond du bus, trois de chaque côté. Alors KG s’est mis à raconter des histoires et à parler de choses diverses, de concepts et de matches… Et les jeunes étaient assis là, le menton sur leurs bras croisés, les yeux comme s’ils venaient de voir le Père Noël. Si j’avais une photo... Ils étaient cloués à leur siège. [...]
Personne ne dit les choses comme lui. Même nos vétérans disaient ‘‘Je n’aurais jamais pu imaginer que KG était ce genre de leader’’. »À lire tous ces témoignages, Kevin Garnett semble fait pour le coaching. Il n’y a qu’à le voir sur YouTube enseigner les rudiments de la prise de position intérieure à un Blake Griffin captivé pour s’en convaincre. Et c’est là une dernière preuve de la façon dont il a révolutionné le basket. Ce sont traditionnellement les meneurs de jeu dont on dit qu’ils ont le coaching dans le sang et à qui on ouvre grand les portes de la profession (Jason Kidd et Derek Fisher en sont les deux parfaits exemples), pendant que les intérieurs les plus motivés à devenir headcoaches végètent ad vitam aeternam à des postes d’assistants de deuxième classe (Ewing et Abdul-Jabbar peuvent en témoigner). Mais voici un géant qui a incontestablement le QI basket et le leadership pour faire un excellent entraîneur. Sampson 2.0 au début de sa carrière, Laimbeer 2.0 à la fin, Garnett deviendra-t-il un candidat légitime au titre de Phil Jackson 2.0 ? Croisons les doigts, d’abord parce qu’on a du mal à accepter l’idée de ne plus le revoir sur un terrain, mais aussi et surtout parce qu’on ne manquerait pour rien au monde le spectacle d’un coach de 2,13 m aussi brillant qu’hystérique hurler comme un forcené pour une faute non sifflée ou sauter de joie le long du terrain parce que son rookie vient de mettre son premier panier. Après tout, si KG nous a bien appris une chose, c’est que tout est possible... Graphisme : Ptite Cao