Kevin Durant et le rêve d’une dynastie légendaire

Kevin Durant a rejoint les Golden State Warriors avec pour ambition de décrocher plusieurs titres. Retour sur les motivations derrière le plus gros transfert de l'histoire.

Kevin Durant et le rêve d’une dynastie légendaire
D’ici vingt-cinq, peut-être trente, ans, Kevin Durant sera considéré comme l’un des meilleurs basketteurs de l’histoire. Les contextes, les décisions, les aléas, les histoires. Tous disparaissent. Seuls les chiffres restent. Les titres. Combien d’entre nous ont eu un jour l’occasion de voir jouer Magic Johnson, Larry Bird, Kareem Abdul-Jabbar, Wilt Chamberlain ou Bill Russell ? Les quarantenaires ont vu les plus « jeunes » de ces légendes dans les années 80. Les trentenaires ne jurent que par Michael Jordan. Mais, combien d’entre nous ont vraiment pu suivre, année après année, saison après saison, les exploits des plus grands de notre sport ? Moins de la moitié des fans ? Moins du tiers ? [superquote pos="d"]Avec le temps, seuls les titres restent [/superquote]Et pourtant, ces noms reviennent si glorieusement à chaque débat impliquant les fameux meilleurs joueurs de tous les temps. LeBron James ne vaut pas Oscar Robertson ! Russell dominait nettement plus que Shaquille O’Neal ! Abdul-Jabbar a bien plus apporté aux Los Angeles Lakers que Kobe Bryant ! Encore et encore. Comme si pour atteindre le désormais culte « Mont Rushmore » de la NBA, il était indispensable d’attendre vingt à trente ans après sa retraite des parquets. Pourquoi ? Pour laisser le temps d’oublier. Car c’est ce que nous faisons tous. Nous oublions tout. Les contextes, les décisions, les aléas, les histoires. Seuls les titres restent. Combien d’entre nous se souviennent vraiment des autres All-Stars des années 70 ou 80 ? Combien d’entre nous savent réellement qui étaient Bob Cousy, Jerry Lucas, Walt Bellamy, Dave Cowens ou Nate Archibald ? Nous connaissons souvent les noms. Parfois les histoires. Mais certainement pas les décisions, les contextes et les aléas. Nous nous souvenons que ponctuellement de ces joueurs qui ont pourtant marqué leur époque lorsqu’ils foulaient les parquets de la ligue. Leurs noms ne reviennent jamais dans les débats enflammés au sujet de la hiérarchie des basketteurs et leurs places dans l’histoire. D’ici vingt-cinq, peut-être trente, ans, Karl Malone, John Stockton, Reggie Miller et Charles Barkley rejoindront ces gars-là. Tracy McGrady, Allen Iverson et peut-être Carmelo Anthony intégreront ce groupe un peu plus tard. LeBron James, Kobe Bryant, Tim Duncan ? Ils alimenteront les débats. Seuls les titres restent.

Count the ring

[caption id="attachment_96256" align="alignleft" width="318"] Et il n'en resta plus qu'un...[/caption] Des titres, Kevin Durant n’en compte aucun. Un palmarès vierge de bague à moins de trois mois de ses vingt-huit printemps. Sans sa blessure en 2015, ou sans celles de Serge Ibaka en 2015 et de Russell Westbrook en 2013, le Oklahoma City Thunder aurait pu aller au bout. Sans une avalanche de trois-points de Klay Thompson dans le Game 6 des dernières finales de Conférences, le Thunder aurait pu aller au bout. Sans un transfert motivé par l’avarice d’un propriétaire déterminé à jouer le titre sans payer la « Luxury Tax », le Thunder aurait pu aller au bout. Mais les contextes, les histoires, les aléas... Zéro. Zéro, comme le nombre de bague de « KD ». Zéro, c’est tout ce qui est retenu au premier abord. Alors il s’en est allé. Pendant des années, nous avons reproché aux joueurs de ne parfois pas se concentrer sur le basket. De maximiser leurs bénéfices en évoluant au sein de marché attractif sur le plan marketing à défaut de chercher à jouer pour une équipe compétitive. Des critiques revenues à la surface lorsque « Melo » a préféré rester avec les New York Knicks plutôt que de rejoindre les Chicago Bulls. Durant avait pourtant prévenu : sa décision aurait une dimension basket. Pas financière - ou du moins si, sur la forme (un contrat d’un an afin de signer un deal gigantesque après la seconde hausse du Cap) mais pas sur le fond. Alors il s’en est allé. [superquote pos="d"]« Nous pouvons gagner sans toi. Tu peux gagner sans nous. Mais imagine combien nous pouvons en gagner ensemble. »[/superquote]Pendant des années, nous avons toujours avancé le même argument lorsqu’il s’agissait de comparer les joueurs et de retenir les plus grands champions. Nous avons compté les bagues. Nous n’avons cessé de le faire. Six pour Jordan ! Cinq pour Kobe ! Cinq pour Magic ! Et ainsi de suite. Vous saviez où était Durant à ce moment-là ? Il était un jeune adolescent, comme nous l’avons tous été à une époque. Il regardait les émissions télévisées sur la NBA. Il vivait une vie de fan. Il suivait la ligue avec passion. Comme nous, à la différence près que lui a décidé d’en faire son métier. Il a vu les mêmes débats. Il les a peut-être même animé avec ses amis, collègues ou coéquipiers au lycée. A l’université. Il a été préparé à ça. S’il faut compter les bagues, alors comptons. Zéro... pour l’instant. Car c’est bien principalement dans l’optique de gagner des titres qu’il a rejoint lundi les Golden State Warriors. C’est exactement l’ambition et le projet vendus.
« Nous pouvons encore gagner quelques titres sans toi. Tu peux en gagner sans nous. Mais imagine combien nous pouvons en gagner ensemble. »
Pas un. Pas deux. Pas trois. Pas quatre. Vous connaissez la suite. Un refrain entamé par un LeBron James tout frais sur le podium, acclamé par la foule et entouré par ses amis Dwyane Wade et Chris Bosh. Le « King » a donné de l’élan à une tendance vielle comme la ligue. Celle des regroupements de stars. Quelque part, la décision de Durant est le prolongement de « The Decision ». Tout comme « The Decision » était quelque part le prolongement de nos raisonnements, des codes que nous dictons tous, en tant que société, parfois consciemment et parfois inconsciemment. [caption id="attachment_329239" align="alignleft" width="318"] LeBron James est à l'un des vainqueurs du transfert de Durant à Golden State.[/caption] James a été détesté. Les supporteurs des Cavaliers ont brûlé son maillot comme ceux du Thunder ont brûlé celui de leur ancien héros après l’annonce lundi. Mais LeBron a quitté une équipe qui ne gagnait pas pour en monter une de toute pièce à Miami. Le Heat n’avait pas de collectif, un jeune coach, aucun « role player » et aucun vécu commun quand Bosh, Wade et James se sont associés à South Beach. C’est seulement maintenant, après le choix de Durant, que le choix fait par le prodige d’Akron à l’époque prend enfin un peu de nuance. Combien ont noté à quel point il était difficile de créer un collectif quand les trois stars fanfaronnaient sur le podium devant les fans du Heat ? Combien ont mis en perspective les challenges qui faisaient face au « Big Three » floridien ? La plupart d’entre nous se sont contentés de cracher sur la facilité choisie par Wade, Bosh et James en jouant pour la même équipe. Kevin Durant a lui décidé de rejoindre un collectif déjà en place. Il rejoint une équipe déjà construire et déjà sacrée. Une formation double finaliste qui a terminé la saison précédente avec un record de 73 victoires en 82 matches. Une décision qui réhabiliterait presque LeBron James aux yeux d’une grande partie d’entre nous. Parce que nous oublions. La haine ressentie à l’égard du « King » il y a six ans laisse désormais la place au dégoût envers celui qui critiquait les formations remplies de stars. LeBron est l’un des vainqueurs de la semaine. Il est le champion en titre et sa « legacy » vient de reprendre de sa splendeur. Il incarnera la saison prochaine le rôle du chef de la résistance des vingt-neuf équipes engagées contre les Warriors. Il est le super héros prêt à se dresser devant l’invincible armada. Et il a la putain de bague.

La nouvelle grande dynastie

Gagner des titres avec Golden State serait donc le choix facile ? Mais qui n’a jamais rêvé d’être le meilleur ? Qui ne cherche pas à être reconnu par ses pairs ? Qui n’a pas ce désir, enfoui ou présent, d’être tout en haut de l’affiche, au moins une fois ? Qui ne veut pas être remémoré comme le plus grand dans un domaine qui lui est cher ? Les stars NBA veulent toutes être le meilleur joueur de la ligue. Et elles ont compris comment fonctionne le système : pour être le meilleur, il faut des titres. [superquote pos="d"]Il leur a parlé de ses craintes, ils lui ont parlé de titres[/superquote]La décision prise par Durant était sans doute la plus difficile de sa carrière et peut-être même de sa vie entière jusqu’à présent. Il a fallu tourner le dos à une franchise qui a été construire à son image. Une organisation dont il est considéré comme l’un des « pères fondateurs ». Tourner le dos à une communauté qu’il chérit. Tourner le dos à des fans qui l’ont tellement soutenu. Tourner le dos à une ville, à un style de vie. Peut-être à une partie de sa vie. Presque dix ans passés à Oklahoma City. Franchir cette étape est nerveusement bien plus compliquée que ce que nous pouvons l’imaginer. « KD » sait comment fonctionne le système. Le premier sujet qu’il a abordé avec les Warriors ? Sa crainte d’être perçu comme le vilain s’il rejoignait Oakland. Il n’avait pas envie d’être le méchant. Le traître. Il leur a parlé de ses doutes. Vous savez de quoi ils lui ont parlé ? De titres. [caption id="attachment_327341" align="alignleft" width="318"] Les Warriors ont une armada comme rarement vue en NBA.[/caption] Il leur a fait part de ses états d’âmes et ils lui ont froidement évoqué des putains de titres ! Ont-ils mélangé les sentiments et les accomplissements ? Non, ils ont simplement compris que les perceptions individuelles évoluent au rythme des sacres collectifs. Et ce peu importe qu’ils faillent s’associer avec trois, quatre ou dix All-Stars. Dans vingt-cinq, peut-être trente, ans, seuls les titres resteront. Ceux qui craignent pour le suspense oublient que seules cinq équipes différentes ont disputé les finales NBA dans les années 80. La rivalité entre les Boston Celtics et les Los Angeles Lakers est encore considérée aujourd’hui comme la plus grande de tous les temps. Nous avons oubliés que le reste de la ligue, cette fameuse ligue où les stars étaient chacune dans une franchise, n’étaient que des éléments de décors du duel entre la clique de Larry Bird, Robert Parish et Kevin McHale et celle de Magic Johnson, Kareem Abdul-Jabbar et James Worthy. [superquote pos="d"]Warriors et Durant, des années d'avance sur nous[/superquote]C’est une dynastie peut-être encore plus grande que ces équipes de légende que les Warriors ont l’ambition de construire avec Kevin Durant. Son arrivée, c’est la promesse de gagner plein d’autres titres et de s’inscrire comme la plus grande formation de tous les temps. Pour l’instant, elle ne bénéficie de ce statut honorifique que sur le papier et ses détracteurs s’empresseront de le rappeler à chaque coup dur. Cette pression imminente du résultat est un vrai poids en plus sur les épaules des stars de l’équipe et sur la franchise elle-même mais elle est pourtant peu soulignée lorsque la facilité de la décision de « KD » est mise en avant. Durant, Stephen Curry, Klay Thompson, Draymond Green et les autres vont devoir apprendre à cohabiter. A jouer ensemble. A surfer sur l’alchimie créée depuis plusieurs saisons tout en ajoutant une pièce aussi centrale que l’ancien MVP. Ce sont tous des joueurs intelligents et des garçons humbles - du moins c’est ce qu’ils laissent paraître. Le SMS envoyé par Curry, double MVP et superstar grandissante de la ligue, à Durant en atteste. Steph est sur une voie royale depuis deux saisons. Une route qui l’amène directement à l’histoire avec des records individuels battus chaque saison et des statistiques dignes des plus grands. Et pourtant, il a été le premier à insister auprès de son futur coéquipier sur le peu d’importance qu’il apportait à son statut, à la notion de « visage d’une franchise » ou encore au nombre de maillots vendus. Peu importe si l’on parle moins de lui maintenant. Il sait que les fans se souviendront des titres qu’ils ont gagné ensemble. Il y a quelques mois, le propriétaire des Warriors Joe Lacob s’est distingué pour sa sortie - quelque peu arrogante - dans la presse. Il déclarait alors que sa franchise avait des « années d’avance » sur le reste de la ligue. En faisant abstraction du flot de critiques et du déchargement de haine immédiat, Kevin Durant a lui aussi des années d’avance. Peu importe ce qui se dit aujourd’hui, il sera adulé d’ici vingt-cinq, peut-être trente, ans. Quand il sera couvert de titres.