Un père, deux mères et un fils
Le basket coule pourtant dans le sang de l’ailier-fort des Denver Nuggets. Sa mère, Waudda Faried, a rencontré son paternel, Kenneth Sr Lewis, sur un terrain de basket. Elle était si forte qu’elle était la seule femme à pouvoir partager la gonfle avec les hommes au sein de l’équipe du lycée de Newark, dans le New Jersey. Ils ne se sont jamais mariés mais de leur relation est né le jeune Kenneth Jr. Waudda l’a élevé dans le but d’en faire un homme. Et un basketteur. Mais avant de mettre les pieds sur un playground, le jeune Faried a dû apprendre la vérité : sa mère est lesbienne. Alors qu’il a à peine neuf ans et qu’il s’interroge fréquemment sur la relation de ses parents, Waudda décide de lui révéler son attirance pour les femmes.[superquote pos="d"]"Je pensais qu'il fallait que j'aime les hommes" Kenneth Faried, à 9 ans.[/superquote]« J’étais choqué », raconte Kenneth Faried. « Je ne comprenais pas tout. Je lui ai alors demandé s’il fallait que j’aime les hommes, étant donné qu’elle était mon modèle. Elle a ri et elle m’a dit : ‘Non, non. Tu peux aimer qui tu veux du moment que tu es heureux.’ Je savais que je n’étais pas attiré par les hommes. J’ai toujours voulu une femme mais je m’inspirais de ma mère et je pensais qu’il fallait que je suive ses traces. »Le jeune Kenneth s’est interrogé sur sa propre sexualité avant de se rendre compte qu’il était attiré par les femmes, uniquement par les femmes. Mais son adolescence n’a pas été aisée pour autant. Ses camarades d’école ne se sont pas montrés aussi compréhensifs.
« C’était brutal. On me disait que ma mère était lesbienne. ‘Ne le touchez-pas, il est peut-être gay lui aussi’. J’ai dû me battre quelques fois. C’était douloureux mais j’ai traversé tout ça. Ça m’a endurci et ça a renforcé mon respect pour ma mère. »Il a appris à ne plus écouter les railleries des jeunes de son âge. Il a appris à faire face. La vie de Kenneth s’est ensoleillée. Waudda a rencontré quelqu’un, Carol Copeland. A la mort de son mari, cette dernière s’est convertie à l’Islam. Le courant est tout de suite passé entre les deux femmes et elles ont prises la décision de s’installer ensembles. Carol était entre temps devenu sœur Manasin. Elles ont emménagés dans le New Jersey avec le fil de Carol, Davon. Faried rêvait d’avoir un petit frère. Il avait enfin une vraie famille. Mais sa mère était gravement malade. Elle pensait mourir mais elle n’a jamais arrêté de se battre. Et son fils a appris à l’imiter. Bien qu’atteinte de diabètes et de lupus, une maladie qui affecte le système immunitaire, elle a souhaité enseigné le basket à Kenneth Jr. La première leçon était simple :
« Ils ne te passeront pas la balle. Si tu veux tirer, tu dois prendre des rebonds. »
Un prospect talentueux passé sous le radar
Malgré sa relative petite taille pour un basketteur – 2,03 m – Kenneth Faried est l’un des meilleurs rebondeurs du pays. Il compense les centimètres manquants par la hargne et une énergie débordante.« Je joue dur et je prends du plaisir. Mon énergie est contagieuse. Elle l’a toujours été », confie aujourd’hui le joueur de Team USA.Il a d’abord eu du mal à batailler aux rebonds. Au point de se décourager. Mais Waudda a toujours été présente pour l’encourager, alors que son état se dégradait au fil des années.
[superquote pos="d"]"Si tu veux tirer, tu dois prendre des rebonds", Waudda Faried.[/superquote]« J’avais le sentiment que chaque rebond que je captais lui donnait un jour supplémentaire sur cette terre », raconte le jeune joueur du lycée de Newark.Malgré un talent certain pour le basket, Kenneth Faried n’a pas attiré l’œil des plus grandes universités du pays. Seules deux facultés new-yorkaises lui ont proposé une scolarité mais il a finalement opté pour le Kentucky. Pas les Wildcats de Kentucky. Non, Morehead State University, dans le Kentucky. La même année, en 2007, sœur Manasin et Waudda se sont mariés suite à la légalisation des unions homosexuelles dans le New Jersey. Ses deux mères ont essayé de cacher du mieux possible la dégradation de la santé de Waudda. Faried pouvait ainsi se concentrer uniquement sur le basket. Et il a capté des centaines et des centaines de rebonds. En 2011, après avoir effectué un cursus complet, il a quitté l’université avec 1673 rebonds au compteur. Le record NCAA de Tim Duncan a ainsi été effacé des tablettes. Entre temps, Waudda Faried a subi une transplantation. Son état s’est enfin amélioré. Un an plus tôt, son fils était devenu père à son tour.
« Je suis grand-mère et mon fils est en route pour la NBA », déclarait-elle au moment de porter pour la première fois Kyra, sa petite-fille.
L’évolution de Kenneth Faried
Malgré ses performances à l’université, Kenneth Faried a une nouvelle fois été oublié le soir de la draft 2011. Jan Vesely, Bismack Biyombo, Chris Singleton ou encore Nolan Smith sont tous sélectionnés avant lui. Les Denver Nuggets mettent fin à l’attente en le draftant en 22e position. Le natif de Newark débarque dans les Rocheuses, au sein d’une équipe qui vient de remporter 50 matches la saison précédente. On ne le lui prédit pas une grande carrière en NBA. Son histoire personnelle intéresse les reporters, son jeu beaucoup moins. Lors des 21 premiers matches, il ne passe que vingt petites minutes sur les parquets. L’apprentissage est rude. Il finit par s’imposer doucement au sein de la rotation de George et, deux mois après son arrivée dans la ligue, il cumule son premier double-double face aux Memphis Grizzlies : 18 points et 10 rebonds. Il termine la saison en trombe et gagne ainsi sa place de titulaire. De quoi faire taire une première fois les sceptiques. [superquote pos="d"]21 points et 13 rebonds de moyenne en fin de saison[/superquote]Surnommé le ‘Manimal’, Faried est considéré comme un joueur énergique, combatif, valeureux… mais limité. Les intérieurs correspond à ce profil sont appréciés mais ils sont rarement reconnus comme des stars. 11 pts et 9 rbds de moyenne, c’est bien. Mais c’est insuffisant pour se frayer un chemin jusqu’au All-Star Game. Insuffisant pour être catalogué comme l’un des plus talentueux à son poste. Son apport en attaque se limite à des dunks et des points marqués sur rebonds offensifs. Son déficit de taille est pointé du doigt en défense. Si plus personne ne doute que le joueur des Nuggets connaitra une carrière solide, rares sont les observateurs à l’imager franchir encore des étapes. C’est pourtant ce qu’il a fait. Bombardé première option offensive de Denver par Brian Shaw en fin de saison dernière, Kenneth Jr a enfin pu démontrer ce dont il était capable balle en main. Plus besoin de prendre des rebonds pour shooter, ses partenaires l’ont gavé de ballons. Ils l’ont incité à prendre ses responsabilités. En mars, il cumule 19 pts et 10 rbds de moyenne. Le nouveau Faried est né. Il a travaillé son jeu dos au panier. Son arsenal est encore à parfaire mais il plante. En avril, il tourne à 21 pts et 13 rbds. En 25 matches, il a affiché un niveau digne d’un All-Star. Digne d’un joueur de Team USA. Et pourtant rebelote. Sa pré-sélection a fait jaser. A une semaine du début de la Coupe du Monde, Kenneth Faried est pourtant titularisé dans la raquette par Mike Krzyzewski.« Je prouve à ceux qui pensaient que je n’avais pas ma place qu’ils ont tort », expliquait le joueur de 25 ans après ses 12 pts et 5 rbds contre Porto Rico. « ‘Pourquoi ils ont pris Kenneth ? Pourquoi il est titulaire ?’ Je leur prouve juste qu’ils ont tort. » « C’est toujours la même histoire, c’est juste un nouveau chapitre. Encore une fois, je dois prouver à tout le monde qu’ils ont tort. Je dois maintenant le faire au niveau supérieur, à savoir avec Team USA. J’espère que si on ramène la médaille d’Or, on me montrera un peu de respect. Si ce n’est pas le cas, je prouverais encore aux sceptiques qu’ils ont tort. »Kenneth Faried est en campagne. Mais pas contre ceux qui doutent. Il joue pour prendre du plaisir, pour gagner des matches, avec Denver, Team USA ou n’importe quelle équipe qui voudra bien de lui. Les Nuggets hésitent encore à aligner le pactole pour le conserver, lui qui sera restricted free agent l’été prochain. Une saison au niveau All-Star pourrait peut-être enfin faire taire les critiques. Mais après tout peu importe. Cela fait bien longtemps que le jeune gamin de Newark ne les écoute plus. Et jusqu’à présent, ça lui a plutôt bien réussi.