Commençons par l'inévitable tirade : l'avis qui va suivre sur ce dossier Joel Embiid n'engage que moi. Ah, et précisons aussi que je trouve que Joel Embiid est un basketteur formidable - l'un des meilleurs au monde - et un garçon aussi charmant qu'inspirant en dehors du terrain grâce à sa personnalité et son parcours atypique. Maintenant que c'est dit, venons en au fait.
Dire que sa tentative de naturalisation pour pouvoir jouer avec l'équipe de France divise l'opinion est un euphémisme. Depuis lundi soir, je lis autant de tweets en mode "UNPOPULAR OPINION : je ne veux pas de Joel Embiid chez les Bleus, il n'est pas français", que de posts du type "Je ne vais pas me faire que des amis, mais si un joueur comme Embiid veut jouer pour toi, tu l'acceptes". Il y a aussi ceux qui se sentent investis d'une mission auprès du Cameroun, dont "les chances de briller un jour seraient bafouées par ce choix".
Tout d'abord, il faut bien comprendre quelque chose. Si le pivot des Sixers a entamé les démarches de naturalisation, visiblement encouragé par le manager des Bleus Boris Diaw - il y a de grandes chances pour que la Fédération et Vincent Collet aient déjà accepté l'idée de le voir sous le maillot tricolore à l'avenir. L'affaire est entendue. Le président de la FFBB et le sélectionneur ont autant de chances d'être intéressés par ce qu'ils liront dans la presse ou sur les réseaux sociaux, que Steve Nash d'arrêter les anti-dépresseurs s'il coache à nouveau les Nets l'an prochain.
Les fans, comme les médias, ont le droit de donner leur opinion, comme je vais le faire là, mais c'est peine perdue, dans un sens dans l'autre. Faisons-le tout de même, histoire de nourrir un peu le débat. En dépit de ce que j'ai dit sur le niveau de jeu et la sympathie que j'ai pour le grand Jojo, je suis assez formellement contre sa sélection en équipe de France.
Joel Embiid veut devenir français et jouer avec les Bleus !
Quand je dis que je suis contre, n'allez pas m'imaginer en train de militer dans la rue au milieu d'une meute de décérébrés comme à l'époque des manifestations anti-mariage pour tous au son des "Un papa ! Une maman !", l'un des moments les plus sombres et gênants de notre histoire récente, à égalité avec la 12e place à l'Eurobasket 2017 et la saison 13 des Marseillais. Simplement, si on me demande mon avis, je réponds que même si le règlement autorise une naturalisation sans justificatif par sélection et que d'autres équipes l'ont fait et ont même gagné des compétitions en profitant de ce biais (coucou la Slovénie d'Anthony Randolphic en 2017), ce n'est pas une raison pour le faire nous aussi.
Certes, ce n'est pas interdit par la FIBA, mais une Fédération avec un vivier et un système de formation comme ceux de la France, l'Espagne ou la Serbie pour ne citer que ces nations-là, devrait se dire par elle-même que c'est un move réservé aux pays plus modestes et avec un faible nombre de licenciés ou une culture basket nettement inférieure. Dans ce cas de figure, donner à un mec du Dakota du Sud des papiers macédoniens pour qu'il rééquilibre un peu le rapport de force peut s'entendre. N'autoriser que les équipes classées dans un certain tiers du ranking FIBA à avoir recours à cette méthode ne me semblerait pas scandaleux.
Joel Embiid est francophone et a de la famille en France, c'est vrai. Il existe un lien, mais j'ai quand même du mal à placer le curseur assez loin pour me dire qu'il est logique que la star de Philadelphie porte le maillot bleu. L'ancien joyau du Process semble avoir pour objectif clair de participer aux Jeux Olympiques 2024 et on le comprend. Ce n'est d'ailleurs peut-être que pour les J.O. qu'il a entamé cette démarche. On a du mal à imaginer les Sixers libérer leur superstar fréquemment blessée tous les étés ou même un été sur deux pour disputer des compétitions internationales autres que le plus grand événement sportif planétaire...
Si Joel Embiid vient, ce sera vraisemblablement pour tenter d'aller chercher l'or à Paris. Et dans ce cas, il y aura des malheureux et des athlètes moins forts, mais pas moins méritants, évincés. On peut se dire que "c'est le jeu, ma pauvre Lucette". Ou que c'est évitable si l'on accorde un peu d'importance à la formation et à la manière avec laquelle on atteint ses objectifs. Les Bleus ne sont pas passés si loin que ça d'un sacre olympique à Tokyo et la différence de niveau avec Team USA était loin d'être abyssale. Est-ce que l'objectif ultime, plutôt que cette obsession de battre les Américains, ne devrait pas être de gagner avec nos forces, qui sont déjà parmi les plus enviables de la planète ? C'est une question de philosophie et je ne souscris pas à "la victoire à tout prix".
Malgré ma réticence, je ne vais pas me mettre à huer ou détester un joueur, qui plus est un joueur que j'aime bien, simplement parce qu'il a bénéficié d'un passe-droit pour jouer équipe de France. Si Embiid rejoint le groupe, je me montrerai totalement pragmatique et amnésique. Je suis tout à fait prêt à vivre des émotions grâce à lui s'il participe à un tournoi international avec les Bleus et qu'il fait ce qu'il faut pour se fondre dans l'équipe. Continuer de rabâcher qu'il ne devrait pas être là, comme d'autres l'ont fait avec Serge Ibaka et l'Espagne par exemple, n'aura rien de constructif.
Après tout, j'ai sauté du canapé en voyant Bria Hartley, dont la grand-mère est française mais qui n'a jamais joué en France et ne parlait français, égaliser à 3 points sur le fil contre la Belgique à l'Eurobasket 2019. J'ai aussi vibré devant les performances de Gabby Williams à l'Euro 2021 et aux Jeux Olympiques, même si la joueuse de Seattle a des prétentions bien plus légitimes que la plupart des naturalisés, puisqu'elle a joué en France (au BLMA) et que sa mère est française.
Il me semble finalement que c'est l'approche la plus saine : on peut ne pas être d'accord et souhaiter que le système change, tout en faisant preuve de bon sens et de positivité une fois le joueur impliqué dans le projet.
Et puis, qui nous dit que Joel ne va pas perdre sa motivation une fois qu'il verra les 4 heures de queue devant la préfecture de Sarcelles lorsqu'il décrochera un rendez-vous pour que sa situation soit étudiée ? On a pu voir que sa patience n'était pas sans limite dans le dossier Ben Simmons...