Evan Turner, l'arrière de Portland, est venu squatter chez moi cette nuit et c'était... troublant.
Il a déjà dû vous arriver de recevoir la visite de personnes connues durant votre sommeil. Une histoire "courte, compacte et passionnelle" avec Scarlett Johansson, une baston avec Mike Tyson, un featuring avec Jay-Z... Bref, le genre de rêve interrompu par la sonnerie du réveil qui vous donne envie de vous re-foutre sous la couette et de louper volontairement le train de 7h47. Celui que j'ai fait la nuit dernière était nettement moins glamour. J'ai été mindfucké par Evan Turner et le souvenir que j'en ai est clair comme de l'eau de roche.
Forcément, quand on écrit quotidiennement sur le basket et que l'on s'enfile des matches à longueur de semaine, il y a le risque d'être de temps à autre parasité pendant la nuit. J'aurais préféré que ce soit pour un one-one victorieux contre Kobe Bryant ou une dégustation de Pinot Noir avec Gregg Popovich (et probablement Guillaume Laroche, le directeur artistique de REVERSE [Mode Promo On] et auteur de l'excellent "Entre les Vignes" [Mode Promo Off]) en dissertant des bienfaits de la consommation de vin sur l'exécution du pick and roll. Malheureusement, mes récentes discussions avec le camarade Antoine Pimmel, subitement devenu un inconditionnel des Blazers et obsédé par l'intégration tantôt réussie, tantôt loupée, de Turner à Portland, ont orienté mon esprit vers cet acteur un peu moins clinquant de la ligue.
Précisons que j'ai écrit un portrait du zigoto dans le n°58 de REVERSE il y a quelques semaines et que son histoire m'a particulièrement plu. Un bébé qui naît avec une malformation de la mâchoire, chope toutes les maladies possibles et imaginables avant ses 2 ans, se fait percuter par une voiture l'année suivante, finit par s'exprimer correctement grâce à une orthophoniste, perd son meilleur ami pour finalement devenir basketteur pro et n°2 de Draft, c'est quasi romanesque. Mais cela justifiait-il qu'il vienne me passer le bonjour aussi longtemps après ? [superquote pos="d"]"je crois que la NBA c'est fini pour moi. Est-ce que tu peux m'aider à trouver un club en Europe ?"[/superquote]
Voici à quoi ressemble ma curieuse interaction avec Evan Turner.
Il fait nuit et je suis assis sur mon canapé. La sonnerie de l'interphone retentit et je me lève donc pour décrocher le combiné (tant que les Editions Reverse n'ont pas été rachetées par le Qatar ou un businessman américain, je n'ai pas prévu d'engager de majordome). "Shaï, c'est Evan, tu m'ouvres ?", entends-je dans un français parfait. Evan ? Fournier ? Peu probable. La dernière fois que l'on s'est vu, il chauffait le banc des Nuggets en 2014 et je doute qu'il ait pris un vol Orlando-Paris entre deux matches NBA simplement pour tailler la bavette. Peut-être avait-il envie de me remercier pour mon soutien indéfectible au Magic depuis tant d'années ? J'ouvre, intrigué.
[caption id="attachment_351713" align="alignleft" width="318"] Je n'ai pas renoncé à convaincre Evan Turner de quitter Portland pour Saint-Quentin.[/caption]
Evan Turner, plus proche du mètre 80 que de ses 2 mètres réels sous la toise, me serre la main et me demande s'il peut entrer. J'accepte sans réfléchir. Je le reçois comme n'importe qui et lui propose à boire. Il refuse poliment et m'explique, sans que je lui ai demandé, la raison de sa venue. "Ecoute, je suis vraiment désolé. Je n'arrive pas à m'habituer à la vie à Portland et je ne me sens pas bien dans l'équipe. A Philadelphie c'était tellement cool, on avait vraiment une belle équipe. Là, ça ne va pas du tout". Allez savoir pourquoi, c'est comme si ses deux expériences chez les Pacers et les Celtics n'avaient jamais existé. Je ne sais quoi lui répondre et il poursuit. "Il faut croire en moi, j'ai galéré pour en arriver là et je sais que je peux être un super joueur. Par contre, je crois que la NBA c'est fini pour moi. Est-ce que tu peux m'aider à trouver un club en Europe ? Il paraît qu'ici c'est facile de devenir une star".
Il ne m'est même pas venu à l'esprit de lui rappeler qu'il avait signé un contrat de 70 millions de dollars sur quatre ans avec les Blazers l'été dernier. Je sais en tout cas que je me suis senti vraiment emmerdé pour lui et que j'avais envie de l'aider. Mais comment faire ? Je me souviens avoir songé à lui proposer de jouer à Saint-Quentin, en Pro B, un club dont j'allais voir les matches quand j'étais petit. J'imagine sa tête si je lui soumettais cette hypothèse aujourd'hui, alors qu'il joue pour l'une des meilleures équipes de la ligue la plus relevée de la planète... Il me demande ensuite si je peux l'héberger le temps qu'il rebondisse et trouve un nouveau club. Alors que je m'apprête à accepter, sans me soucier du fait que la présence quotidienne d'un athlète américain dans mon salon, ma cuisine et ma salle de bains est susceptible d'handicaper ma vie de famille, le réveil sonne.
Mécaniquement, je regarde les boxscores des rencontres de la nuit. Portland 131-109 Indiana. Evan Turner : 13 points, 6 passes et 4 rebonds et 3 interceptions en 26 minutes. Il n'était donc pas dans le Val d'Oise, mais dans l'Oregon. Ça tombe bien, je n'avais pas eu le temps de faire les courses...