Afin de rendre hommage à la mémoire de notre photographe et ami Chris Elise, disparu soudainement à l'âge de 51 ans, nous avons décidé de republier cet entretien que nous avions réalisé avec lui à l'occasion de notre Mook REVERSE #3. Chris y parle de son parcours, des Etats-Unis où il avait refait sa vie et de ce qui l'a poussé à se dépasser pendant presque vingt ans : la photographie.
La plus belle afro du Staples Center depuis Keith Closs appartient à un photographe français de grand talent, Chris Elise. Depuis plus de dix ans, ses portraits et ses photos de matches agrémentent les pages de REVERSE et donnent du corps à nos textes. Entretien avec un Angeleno de cœur.
REVERSE : Comment es-tu tombé dans le basket et dans les sports US ?
Chris Elise : Le joueur Georges Vestris est un ami d’enfance de feu mon paternel. Gamin, je l’ai vu jouer à maintes reprises, lorsqu’il évoluait à Tours, ma ville de naissance. J'ai eu un coup de foudre pour le basket à la seconde où j’ai vu ces géants jouer. Le foot US, je l’ai découvert avec la diffusion des Super Bowl live dans les années 80, et mon histoire avec le baseball s’est tissée au travers de la littérature américaine.
REVERSE : C’est le sport qui t’a donné envie de découvrir les Etats-Unis ?
CE : Le rapport est inverse : j’ai découvert les sports US du fait de mon appétence pour les USA. Gamin, j’étais un nerd avant l’heure, avide de littérature. Je passais mon temps entre les terrains de foot et la bibliothèque de mon quartier, dévorant – entre autres – des polars et la littérature classique américaine. Les références au baseball y sont nombreuses, j’ai voulu comprendre ce sport, pour comprendre ces références, pour m’imprégner autant de la culture des USA que de son histoire.
REVERSE : Quand et comment es-tu venu à la photographie ?
CE : Au décès de mon père, en 1997, j’ai commencé à pratiquer la photographie avec son Nikon FE, mais en dilettante. Je ne me qualifierais pas d’amateur éclairé à l’époque. Je faisais surtout des portraits : j’ai photographié Ravi Coltrane en concert dans un club de jazz à Paris ; un mariage à la demande d’amis ; mais pas de sport. Ça a duré moins de deux ans. Et puis j’y suis revenu plus tard, lorsque j’ai décidé que j’allais poursuivre mon rêve de vivre aux USA. J’étais alors journaliste de presse écrite, j’ai simplement changé d’outil d’écriture en remplaçant les mots par les images et en quittant mon job pour me former à la photographie, avec l’objectif – no pun intended – d’utiliser ce media pour mon projet de vie professionnelle aux Etats-Unis. Quitte à rêver, autant rêver grand : être payé pour suivre l’histoire de ces sports que j’aime tant et témoigner par l’image de cette histoire.
REVERSE : Quelles étaient tes références ?
CE : Tous les photographes de Sports Illustrated. Dès que j’ai pu mettre la main sur des exemplaires en France, dans les années 90, j’ai su que tant que je ne m’approcherais pas un tant soit peu de ce que je les voyais faire dans les pages de ce magazine, je ne serais pas légitime dans la profession.
REVERSE : Comment est-ce que tu t’es senti pour ton premier match NBA ?
CE : Mon premier match en tant que photographe, c’était une affiche Phoenix Suns contre Utah Jazz, à Salt Lake City. J’étais soucieux de rester concentré sur le job et de ne pas me laisser submerger par mes émotions et mon excitation, du coup j’ai été assez passif du moment sur un plan personnel. La réalisation de l’instant s’est faite bien plus tard, dans la nuit, de retour dans ma chambre d’hôtel. Les souvenirs de la journée : j’avais fait une interview de Boris Diaw après son practice, le matin, pour un quotidien national français et j’avais ensuite déjeuné avec lui à son invitation ; prendre position plusieurs heures plus tard à mon spot sur le parquet, proche du banc des Suns ; le même Babac m’interpellant depuis le banc lors d’un time out après qu’il ait claqué un dunk « Tu l’as eu ce dernier !? »… Vivre cela alors que, quinze ans plus tôt, je regardais les Finals NBA en direct à 2, 3 heures du matin… Irréel et émouvant.
REVERSE : A quel moment est-ce que tu as réalisé que tu pourrais en faire ta vie ?
CE : La question ne s’est jamais posée en ces termes. En quittant mon job bien payé et intéressant de journaliste en presse professionnelle informatique, avec l’ambition de vivre aux USA, à 30 ans passés, et de vivre de ma passion pour ces sports, le doute de réussir dans cette voie m’a toujours accompagné. Il a fallu surmonter les moments difficiles, les bas… Je savais que je pourrais en faire ma vie et j’étais prêt aux sacrifices à consentir. Car la question est : quelle vie ? Financièrement, j’ai connu des périodes très délicates et c’est un euphémisme. C’était ma vie, mais durant ces périodes, une vie pas aussi glamour que les events et les lieux où je shootais. Pour en faire ma vie pleinement, il me fallait à un moment tout quitter en France. Ce qui ne s’est pas fait du jour au lendemain. C’est en 2012 que j’ai fait le grand saut.
« Quitte à rêver, autant rêver grand : être payé pour suivre l’histoire de ces sports que j’aime tant. »
REVERSE : Qu’est-ce qui t’a décidé à finalement tout plaquer et à partir t’installer à Los Angeles ?
CE : Je me suis installé une saison à Boston d’abord, où je créchais chez mon meilleur ami qui vivait aux USA depuis de nombreuses années. C’était un premier pas, qui me permettait de me lancer dans le grand bain tout en gardant un budget serré. L’opportunité de développer le business d’une agence photographique française aux USA m’a conduit à déménager pour Los Angeles. Un rêve pour moi qui, enfant et adolescent, ai passé tellement de temps à regarder des westerns avec mon grand-père qui en raffolait, je partais vers l’Ouest, la ville de James Ellroy, de Charles Bukowski, etc.
REVERSE : Ça a été compliqué de te faire une place là-bas ?
CE : En arrivant à Los Angeles, j’avais déjà plusieurs saisons NBA à mon actif, des Jeux Olympiques aussi, donc je connaissais plusieurs photographes NBA et plusieurs collègues dans le sport. Tout s’est bien passé et j’ai tissé des liens d’amitié avec plusieurs pointures, des photographes officiels NBA, des gars de Sports Illustrated, des freelances. Et puis, pour avoir voyagé depuis des années ici, mon amour pour les USA, ma connaissance du pays, de sa culture, de ses régionalismes (L.A., San Francisco et NYC, ce ne sont pas les USA) ont facilité mon intégration. C’est un pays et un peuple que je pense connaitre.
REVERSE : Comment est-ce que tu décrirais ton approche de la photo ?
CE : Etre prêt pour l’instant et pour sa suite.
REVERSE : Qu’est-ce qui est le plus dur à capturer quand on shoote un match ?
CE : Tout et rien. (Sourire) Tant que tu as en directe ligne de mire ce que tu veux ou dois shooter, le job n’est pas difficile. Il vient avec l’expérience, le travail, l’instinct et les réflexes.
REVERSE : Quel est le match que tu as couvert qui t’a le plus marqué ?
CE : Le match de playoffs des Spurs contre les Rockets, le 3 mai 2017 : un vintage Tony Parker époustouflant… et puis ce coup d’arrêt terrible, sa blessure au quadriceps. J’ai un respect et une admiration sans borne pour Tony Parker. C’est un héros du basket français. Et j’ai détesté couvrir cet épisode de sa carrière.
REVERSE : Quel est le match ou la compétition que tu aurais rêvé de couvrir ?
CE : N’importe quel match des Finals de mes chers Bulls, durant les 90’s.
REVERSE : Quelle est la photo ou le shooting dont tu es le plus fier ?
CE : Kevin Durant recevant son premier trophée de MVP des Finals, entouré de ses teammates, sa mère à ses côtés.
Disparition de notre ami et collègue Chris Elise
Quelques-unes des plus belles images de Chris Elise...
Sélection de quelques photographies les plus marquantes de son œuvre. Vous pouvez également consulter son site internet.