« J’ai lu quelque chose l’autre jour qui disait que oui James Harden devrait être le MVP, oui Chris Paul et James ont été excellents, oui ils ont établi un record de victoires pour la franchise, mais ils seront jugés au final par le fait de gagner un titre ou non. Vraiment ? Ça ne diminue pas ce que ces gars ont fait. »
Cette réponse intervenait après qu’on lui ait demandé comment il célébrait le fait d’avoir le meilleur bilan de la saison régulière.« La façon dont je célèbre ça, c’est que je profite de chaque satané jour passé dans le vestiaire avec ces gars ou sur le terrain, de tous les matches que l’on a gagné, de tous les retours de matches remportés à l’extérieur. Maintenant, de toute évidence, nous adorerions célébrer tout ça avec un titre, tout le monde aimerait. »
Joga bonito vs l'important c'est les trois points et seule la victoire est belle
La façon dont Mike D’Antoni célèbre est une chose, la façon dont les joueurs perçoivent leur saison en est une autre. Sur cette thématique, le coach et ses troupes ne sont pas forcément toujours sur la même longueur d’onde. Le joueur est forcément compétiteur et, sur le moment, n’ambitionne qu’une chose : le titre. Exemple, James Harden :« Le but ultime est d’avoir ce trophée. Donc jusque-là, nous ne faisons aucune célébration. Nous n’avons encore rien fait. »
Propos logique d’un joueur en mission. Mais avec le recul, dans quelques mois, si les Warriors, les Cavs ou les Pelicans (bon, ok…) sont champions, considérera-t-il toujours que les Houston Rockets n’ont rien fait cette saison ? Quasiment 80% de succès, une première place de la saison régulière dans une NBA hyper dense. Faire cohabiter - ce que peu pensaient possible il y a encore quelques mois - deux superstars qui jouent quasiment sur le même poste (pas de la même manière, certes) et qui ont tous les deux toujours eu abondamment besoin du ballon. Pour James Harden, un titre de meilleur scoreur, certainement un trophée de MVP. Des stats indécentes : 30,4 pas, 8,8 pds, 5,4 rbds (tout en gagnant !). Des perfs indécentes : 11 matches à plus de 40 points, 4 matches à plus de 50 dont un back-to-back à 51, un match à 60… On comprend à la fois l’élément de langage et son but ultime, mais tout ça, c’est « n’avoir rien fait » ? Et on ne parle là que de faits bruts, de stats. On ne parle là que des perceptions d’un coach et de ses joueurs. Mais pour les fans des Houston Rockets ? Pour les amoureux du basket ? Bien évidemment que les premiers veulent à tout prix voir leur équipe remporter le titre. Mais si le trophée Larry O’Brien finit dans les mains d’une autre équipe ? Au final, on en revient toujours aux deux conceptions, aux deux approches qui sous-tendent l’appréhension du sport. Il y a ceux qui pensent que seule la victoire est belle. Et ceux qui attachent autant d’importance au jeu proposé, aux émotions véhiculées et à la dramaturgie du match ou de la saison qu’au résultat final.Et les émotions, bordel ?
Indépendamment de l’équipe qu’on soutient, tout ce qu’a réalisé la Juventus lors du quart retour à Madrid est-il vraiment annulé par ce pénalty ? Les supporteurs marseillais ont-ils tous plus bandé pour l’équipe championne de France de Deschamps ou la vice-championne de Baup que pour celle de Bielsa, qui a pourtant fini au pied du podium ? Avec le recul, les amoureux du basket se souviennent-ils plus des Spurs champions en 2003 au cours de Finales pas passionnantes ou des Spurs malheureux de 2013 ? Ont-ils vécu plus d’émotions via ces Spurs 2003 ou via les Suns de Steve Nash et… Mike D’Antoni ? Oui, Steve Nash aurait préféré un titre. Mais son impact et celui de son équipe sur la ligue, sur son histoire, sur la façon dont le jeu se joue de nos jours (coucou les Golden State et Houston), et surtout sur les fans de basket de l’époque est indéniable. Même sans titre :« Ça (l’absence de titre) ne diminue pas Steve Nash et à quel point il a été fort pendant trois ou quatre ans avec les Suns dans cette ligue. Je n’adhère tout simplement pas à ça. Je ne pense que l’important soit uniquement les bagues, parce que il y a tout un tas de gars qui ont des bagues et qui ne peuvent pas jouer. Il se trouve qu’ils ont été sur le banc d’équipes avec des grands joueurs, donc je n’adhère pas totalement. »
On pourrait même aller plus loin. Considérer la bague comme l’alpha et l’omega de « l’évaluation » d’un champion, n’est-ce pas réduire l’ampleur des accomplissements de ceux qui en ont gagné, des Jordan, Magic, Bird et compagnie ? Si ces gars-là ont autant marqué l’histoire, ce n’est pas uniquement parce qu’ils dominaient la ligue. C’est une des raisons, mais ce n’est pas que ça. Peut-être que dans dix, vingt, cinquante ans, ceux qui ne connaîtront pas bien leur histoire de la ligue ne se souviendront que des titres gagnés. Mais quelle importance ? « A long terme, nous serons tous morts », disait John Maynard Keynes (dans un tout autre contexte, mais le basket n’est-il pas le sport des crossovers ?). Ce qui compte, c’est marquer sa génération. Et puis, ceux qui auront bien étudié leurs leçons sauront que parmi les « losers », il y avait des joueurs magnifiques, des équipes qui ont créé d’incroyables émotions à leurs supporteurs. Et qu’a contrario, parmi les vainqueurs, certains n’avaient que la victoire à proposer. Et rien d’autre. C’est déjà beaucoup, diront certains. C’est vrai. Et ça doit naturellement être un objectif primordial pour un sportif quand il entre sur le terrain. Alors oui, si James Harden, Mike D’Antoni et les Houston Rockets ne décrochent pas le titre, ce sera une déception. Et ce d’autant plus que leur saison régulière a dépassé toutes les espérances et a donc créé d’immenses attentes. Mais une fois cette déception passée resteront les records à trois-points ; les récitals de James Harden ; la virtuosité de Chris Paul ; l’alchimie collective, y compris celle qu’on n’attendait pas entre les deux stars ; ces moments où leur attaque paraissait totalement inarrêtables ; cette domination et ces matches où ils étaient injouables ; la façon dont ils ont marqué la NBA 2017-18, en restant fidèle à leurs principes. Certains diront que ça n’a servi à rien. Ceux qui auront vibré, ceux qui auront pris un pied pas possible à les voir jouer comme ceux qui les auront détestés, qui ne supportaient plus les numéros de soliste du Barbu avec autour des équipiers qui le regardaient jouer, oui même ceux-là, bref tous ceux à qui cette équipe aura fait ressentir tout un tas d’émotions, sauront ce que ce n’est pas vrai.