Horace Grant, le joueur comme le personnage, est indissociable de la NBA des années 90. L'homme aux goggles a culturellement et sportivement participé au culte que vouent encore aujourd'hui les fans de plus de 30 ans à cette période de l'histoire de la NBA.
Si la hache de guerre est aujourd'hui déterrée entre Michael Jordan et Grant, et si MJ en veut autant à son ancien coéquipier d'être la présumée taupe qui a livré les secrets du vestiaire des Bulls à Sam Smith pour qu'il écrive "The Jordan Rules", c'est parce que Grant n'est pas n'importe quel coéquipier.
Il est l'un des seuls, avec Scottie Pippen, à avoir à la fois connu les échecs répétés contre les Bad Boys de Detroit ET la joie rédemptrice du premier Three-Peat. Ce n'est pas non plus n'importe quel adversaire.
Quand Jordan a pris sa première retraite en 1993, épuisé par la médiatisation et les efforts consentis, mais aussi dévasté par le meurtre de son père, Horace Grant était là. Mais à son retour, en mars 1995, MJ a retrouvé une raquette désertée. Grant était parti rejoindre l'ambitieux projet d'Orlando, avec Shaquille O'Neal et Penny Hardaway.
Perdre contre le Magic en demi-finale de Conférence et voir son ancien camarade être porté en triomphe grâce au rôle-clé qu'il avait joué dans l'élimination des Bulls a fait très mal au GOAT...
Pour comprendre quel joueur et quel homme était - et est toujours - le souriant Horace, faisons un petit retour en arrière et accordons-nous un moment biographie.
A la dure : Michael Jordan privait-il Horace Grant de repas quand il était mauvais ?
Avant d'être drafté en 10e position dans la promo 1987, cinq spots après Scottie Pippen, et de s'implanter à Chicago, Horace Grant avait passé le plus clair de son temps dans la même zone. Né dans l'état de Géorgie avec son jumeau Harvey, joueur NBA très honnête pendant 11 ans (deuxième au classement du MIP 1991 derrière Scott Skiles), Horace a été à la fac pendant 4 ans à Clemson, non loin d'Atlanta, où il faisait notamment partie de la fraternité Pi Kappa Alpha.
A son arrivée chez les Bulls, Grant a déjà la réputation d'être une terreur au poste en matière de scoring et de prise de rebonds. Quelques mois avant de serrer la pogne à David Stern à New York, il avait ainsi fini en tête de trois classements NCAA dans la Conférence ACC : meilleur marqueur, meilleur rebondeur et joueur le plus adroit.
Le garçon n'est d'ailleurs pas qu'un athlète en bois brut. Son petit shoot à mi-distance et ses bonnes mains lui ont souvent permis de sortir du carcan de l'intérieur brutasse et limité dans lequel étaient parfois enfermés les postes 4 et 5 de l'époque.
Victime des Bad Boys et d'un Jordan tyrannique
S'il montre de bonnes choses durant sa saison rookie, il n'est d'abord que le back-up de Charles Oakley, garde du corps personnel de Michael Jordan et bizuteur en chef des jeunes recrues. Ce n'est que lorsque Oakley est tradé à New York à la surprise générale la saison suivante, sur décision de Jerry Krause, que Horace Grant monte en régime.
Doug Collins fait de lui le poste 4 titulaire au côté du nouvel arrivant Bill Wennington. L'Amérique commence à s'éprendre de MJ, de ses Bulls et du truculent Horace, jusqu'à ce que les Pistons de Chuck Daly ne viennent casser l'ambiance.
Malgré son talent, Grant est l'une des victimes les plus visibles des coudes saillants de Bill Laimbeer, Rick Mahorn ou John Salley et il ne parvient pas à masquer ses difficultés face aux Bad Boys. Michael Jordan se donne alors pour mission de le rendre un peu plus prêt à partir au combat.
Il y a quelques semaines, Sam Smith racontait justement que lorsque Horace Grant passait à coté de certains de ses matches à l'extérieur, Jordan demandait au personnel de l'avion qui les ramenait à Chicago de priver son camarade de repas.
Récemment, dans un podcast avec d'anciens Bulls, Grant a expliqué qu'il se dressait souvent face à MJ lorsqu'il utilisait ce type de méthodes et qu'il l'aurait "fracassé en un clin d'oeil" s'il l'avait vraiment privé de nourriture...
En 1990, Grant découvre le style qui fera sa popularité. Souffrant de problèmes de vue, il se met à arborer des goggles, ces lunettes de protection pour ses lentilles, qui deviendront un accessoire de mode incontournable. Alors qu'il songe à les retirer une fois sa vue corrigée au laser, ses parents le supplient de conserver cet attirail tant ils ont remarqué qu'ils servaient d'inspiration à des enfants contraints d'en porter.
Que ce soit le leadership à la dure de Jordan ou ses propres qualités mentales qui en soient responsables, Grant progresse et est un acteur majeur du Three-Peat des Bulls dans la foulée. Sans sa faculté à capter des rebonds et à s'arracher sous le cercle des deux côtés du terrain, MJ et Scottie Pippen n'auraient pas pu rayonner autant, tout du moins de manière aussi productive.
S'il est la troisième option offensive de l'équipe, c'est sa défense qui aide le plus Phil Jackson à articuler cette belle mécanique. Snobé pour le All-Star Game à cause du nombre important d'intérieurs référencés sur ces années-là, il n'y parvient qu'en 1994, lors de cette fameuse saison pleine sans Michael Jordan au cours de laquelle Chicago n'est pas passé si loin que ça de retrouver les Finales...
A Orlando, il est le bourreau des Bulls et de MJ
Après cette déception et sans attendre un hypothétique retour de l'idole, Horace Grant profite d'être sur le marché pour accompagner l'évolution du Magic. Pendant qu'Orlando progresse à la vitesse de l'éclair grâce notamment à sa culture de la gagne - et son panier clutch lors de la série contre Boston - les Bulls sont orphelins.
Avec ou sans Michael Jordan, les fans comprennent alors à quel point Grant était un rouage essentiel de la machine à gagner. En voyant leur ancien protégé briller de mille feux contre eux, puis jusqu'en Finales NBA face à Houston, les Bulls se mettent immédiatement en quête de son remplaçant, qui ne sera autre que Dennis Rodman.
Pendant cinq saisons, Grant est un contributeur important au Magic, mais il ne peut empêcher la franchise de se déliter progressivement, entre le départ de Shaquille O'Neal et les graves blessures de Penny Hardaway. A 34 ans, il est tradé à Seattle, où il ne laisse pas un souvenir impérissable et son dernier défi intervient deux saisons plus tard sous le maillot des Los Angeles Lakers. L'aubaine d'évoluer à nouveau avec Shaq et sous les ordres de Phil Jackson est trop belle.
Lors de la saison 2000-2001, à 35 ans, il est un titulaire indéboulonnable chez les Purple and Gold, en saison régulière comme en playoffs, et aide Kobe Bryant et le Big Cactus à réussir le back-to-back en tournant à 8.5 points et 7.1 rebonds.
Derrière, il se dit que finir à Orlando, où il a aimé son expérience, est une bonne idée. Raté. Horace est "cramé" après une saison honorable et sa relation avec Doc Rivers, le head coach, devient exécrable. Le Magic le coupe en décembre 2002 et Rivers le décrit comme "un cancer" pour le vestiaire.
A 38 ans, il retourne à L.A. pour tenter d'aller chercher une dernière bague, dans la peau de back-up de Karl Malone. Il met un terme à sa carrière après la défaite face aux Pistons, obligé de se "contenter" de 4 bagues pour orner ce superbe parcours en NBA.
Le nom de Grant n'a pas tout à fait disparu de la circulation aujourd'hui. Les fils de son frère, ses neveux Jerami et Jerian, jouent respectivement pour les Portland Trail Blazers et l'Olimpia Milano après des expériences à New York et Chicago notamment.
En beef avec Jordan et snobé du Hall of Fame
Il est un peu triste de voir ce que sont devenues les relations entre Horace Grant et Michael Jordan. Avant la sortie de The Last Dance, Grant était constamment positif et élogieux sur les années passées en compagnie de MJ et le chemin du combattant partagé jusqu'au Three-Peat. Le documentaire a ravivé des tensions et des incompréhensions.
Grant nie toujours être celui qui a contribué à écorner l'image de Jordan dans le livre de Sam Smith, alors que le GOAT n'a absolument aucun doute à ce sujet. La façon dont il s'est exprimé dans certains des épisodes pour évoquer son ancien camarade ne pouvait pas manquer de faire réagir l'ami Horace.
"Il a dit que j'étais la source de Sam Smith dans ce livre. C'est un mensonge total. Un mensonge ! Si Michael Jordan a un problème avec moi, réglons ça comme des hommes. Parlons-en ou réglons ça d'une autre manière".
On espère que comme d'autres anciens camarades réconciliés grâce aux effets du temps et de la discussion, ces deux-là parviendront à se rabibocher.
Dans tous les cas, Horace Grant fait partie de ces joueurs dont on peut se demander aujourd'hui pourquoi ils n'ont pas été introduits au Hall of Fame. Les critères d'entrée sont toujours un peu flous. Mais d'autres joueurs moins titrés, moins impactants culturellement et moins talentueux tout court ont eu droit à cet honneur.
Il est peut-être temps que l'on voit Horace et ses goggles délivrer un speech à Springfield devant un parterre de glorieux anciens.