Avant d’être DUC fut bon galérien
Un statut qui s’est accompagné d’un contrat royal avec Nike. Le montant n’a pas été précisé, mais Giannis Antetokounmpo serait titulaire du deal le plus massif de l’Histoire pour un Européen – avec Kristaps Porzingis, signé chez adidas. Envoyez les millions cash ! Une délivrance pour le gosse de Sepolia, petit quartier populaire situé en périphérie d’Athènes. Parce que la vie n’a pas toujours été aussi facile pour les Antetokounmpo. Son père, footballeur, et sa mère, spécialiste du saut en hauteur, ont quitté l’Afrique dans l’espoir de trouver du boulot en Europe dans les années 90. Direction Athènes où sont nés quatre de leurs cinq enfants : Thanasis, Giannis, Kostas et Alexis – leur aîné Francis étant resté au pays. Nigérian, Grec, allez les verts, allez les bleus, il est un peu des deux. Ou plutôt aucun des deux. Il a en réalité grandi sans autres papiers qu’un certificat de naissance. En situation illégale et sans passeport jusqu’à ses dix-huit ans, quand il est finalement devenu un citoyen grec.« C’était dur. Nous étions tous les jours en galère. Il fallait batailler pour s’assurer de quoi manger à chaque repas », confiait-il pour la première fois lors d’une longue interview accordée au Time l’été dernier.
« Mes parents étaient présents illégalement. Je vivais dans la peur qu’ils soient expulsés. J’aurais pu me réveiller un matin et apprendre qu’ils avaient été envoyés dans un autre pays. Moi, on ne pouvait pas me faire partir. Je n’avais pas de passeport. Personne ne pouvait savoir d’où je venais. J’étais né en Grèce, mais mes parents pouvaient être déportés. C’est très difficile pour un enfant de vivre avec ce sentiment-là. »
Sans papiers et donc sans vraie opportunité de travailler, les Antetokounmpo ont dû jouer les débrouillards. Et tous les membres de la famille sont allés au charbon.« On vendait des montres, des lunettes, des jouets, des habits. J’étais le meilleur vendeur. J’avais cette énergie positive. C’était amusant. Si je pouvais revivre ces moments, je le ferais, c’est certain. Nous étions tous ensemble avec mes frères et mes parents. On vivait des moments en famille. C’est pour ça que je suis aussi proche de mes frères. »
Des épreuves rares qui ont poussé le garçon à grandir plus vite que les autres. Surtout quand sa mère est tombée gravement malade.« C’était le moment le plus dur. J’avais dix-sept ans. Nous vivions dans de mauvaises conditions. Ma mère était la patronne au sein de la famille. Elle s’assurait que tout le monde aille à l’école. Elle faisait tout pour nous. Il fallait que quelqu’un prenne le relais et je pense l’avoir fait. Je disais à ma mère que j’allais me mettre à fond dans le basket et que je ferai tout pour que notre famille ait une meilleure vie. »
La balle orange, passion découverte à treize ans. Deux années plus tard, il jouait en club pour la première fois. Peu de temps après, il passait professionnel au B.C. Filathlitikos, équipe de deuxième division grecque. Jouer à un petit niveau ne l’a pas empêché de se faire repérer. Son jeune âge, sa taille, ses dunks spectaculaires et sa capacité à voir le jeu ont intrigué les plus curieux. A peine majeur, il était déjà convoité par Barcelone ou Efes. Mais c’est avec Zaragoza qu’il a signé un contrat de quatre ans. Il n’y a finalement jamais mis les pieds. Inconnu ou presque outre-Atlantique, il a été drafté en quinzième position par les Bucks en juin 2013. Un pari. Un « putain » de pari, comme dirait Reggie.Arrivé en vélo, reparti en Porsche
L’enfant qui n’avait rien, n’avait jamais voyagé, s’est tout à coup retrouvé dans un autre univers. Celui des grands buildings et des grosses bagnoles. Un choc culturel complet. Mais il a su rester le même jeune homme plein de vie qui essayait de vendre ses babioles dans les rues d’Athènes. Avec les mêmes réflexes d’ancien galérien à peine sorti de la misère. Brandon Knight, son ancien coéquipier, se souvient d’un jeune et long bambin « qui repartait avec six ou sept cartons entièrement remplis de bouffe gratuite réservée aux joueurs. Il prenait des gâteaux, des boissons. Tout pour essayer d’économiser de l’argent. » Un comportement qui ne se limitait pas qu’à la nourriture : « Je venais de bazarder une paire de pompes à la poubelle », raconte Caron Butler. « Il les a sorties en me disant ‘‘Mais qu’est-ce que tu fais ? Ce sont des bonnes chaussures !’’ » La première fois qu’il a croisé Zaza Pachulia, autre Européen paumé dans le Wisconsin, Giannis lui a demandé s’il y avait un moyen « d’éviter les taxes ». L’instinct de survie encore imprégné en lui. Quelques années après, il a dégoté ses 100 premiers millions en prolongeant son bail à Milwaukee. Le voilà égérie de l’une des marques les plus puissantes du monde, avec un premier modèle signature à venir. Une condition obligatoire pour vraiment être perçu comme une superstar. C’est là encore le signe qu’il a intégré le gratin. La crème de la crème. La confirmation de son changement de statut. Sur le terrain, bien sûr, mais aussi en dehors. Giannis Antetokounmpo, ce n’est plus seulement un nom ou un basketteur archi doué. C’est maintenant un produit marketing qui cartonne. Il figure par exemple sur le podium des joueurs qui vendent le plus de maillots.« Je pense qu’il peut transcender le marché », assure Alex Saratsis, son agent.
« Il le montre. Je pense que c’est l’un des rares joueurs qui peut avoir un vrai impact global. »
Il serait donc plus « bankable » que prévu et ce malgré le manque d’attractivité certain d’une franchise comme les Bucks. Parce qu’il ne faut pas se mentir, pour devenir la nouvelle référence NBA, être un crack ne suffit pas. Il ne suffit pas non plus de savoir vendre, comme il le faisait ado, mais de savoir se vendre. Transformer sa propre personne en marque à part entière. Ce que LeBron James a justement très bien capté depuis le plus jeune âge. Pas la même histoire. Pas le même parcours. Pas de passage en AAU pour se faire un réseau, une mixtape de highlights et un nom dès le lycée. Pas d’offre d’une grande université prestigieuse. Pas d’aspiration politique. Encore moins un attrait pour les sujets d’actualité aux Etats-Unis. C’est là que se fait la première différence entre le King et son futur bourreau. Le règne de Giannis Antetokounmpo ne sera pas aussi pimpant. Si la plupart des athlètes pros sont comme Method Man dans « The Wire » – déterminés à ber-flam et à se pavaner – lui ressemblerait plutôt au personnage du Grec. Le vrai patron, qui dirige ses affaires dans l’ombre.