Il réussit car il le devait…
Lundi 3 avril 2017, Rhénus de Strasbourg. Les tribunes sont vides. Seuls les crissements des chaussures et les consignes de Vincent Collet se font entendre. Deux jours après une large victoire à Châlons-Reims, la sixième de suite, le coach de la SIG fait réviser ses systèmes de jeu sur demi-terrain. L’atmosphère est studieuse, mais décontractée. Frank Ntilikina est là. Pas besoin de vérifier l’âge de ses coéquipiers sur Wikipédia pour deviner qu’il est le plus jeune membre de ce groupe expérimenté et finaliste de Pro A lors des quatre dernières saisons. Et pourtant, il semble parfaitement à sa place parmi les joueurs renommés que sont Romeo Travis, Jeremy Leloup ou encore Pape Sy. Ce monde professionnel, il le côtoie depuis un moment. Ntilikina est tout frais, mais ce n’est pas un rookie. Dès avril 2015, à seize ans, il faisait ses débuts en Championnat de France, chez les grands.« On avait une pléthore de joueurs blessés. Vincent avait besoin de quelqu’un. C’était la première fois qu’il venait avec nous », se remémore son coéquipier Paul Lacombe au micro de SFR Sports.
« Il devait avoir seize ans et des poussières. Je me souviens qu’on jouait contre Boulogne-sur-Mer. Le gars était rentré sur le terrain comme s’il était avec nous depuis toujours. Honnêtement, c’était impressionnant. »
Il n’a plus quitté l’équipe première depuis. Il s’est même imposé dans le cinq majeur cette saison. Une intégration soudaine rendue possible par sa maturité précoce. C’est vraiment l’un des traits dominants de son caractère. Et c’est important. Car pour comprendre comment le prospect le plus scruté de l’histoire du basket français en est arrivé là où il est aujourd’hui, et à quoi il peut aspirer, il est primordial de savoir qui il est. Cette maturité le définit en tant qu’homme, mais aussi en tant que basketteur. Son jeu est le reflet de sa personnalité.« Cette maturité dont on parle, elle se retrouve sur le terrain. C’est quelqu’un qui est sous contrôle, qui est posé, qui réfléchit. Il est tout le temps dans l’anticipation de ce qu’il faut faire pour gagner. Là où les gens vont chercher prioritairement à être bons, lui cherche d’abord à aider l’équipe », renchérit Olivier Mazet.
« C’est ma personnalité, j’aime faire bien à chaque action », confirme-t-il.
Il est dans l’instant présent. Possession après possession. Étape par étape. Sur un parquet comme en dehors. Il comprend ce qui a déjà été fait et ce qui lui reste à faire. Les regards sont braqués sur lui. Ceux des scouts, des coaches et des dirigeants NBA. Ça va faire deux ans que c’est comme ça.« Au début, ce n’était vraiment pas évident. Quand je rentrais chez moi, je repensais au fait qu’il y avait tel ou tel recruteur qui était à l’entraînement. Je ne dis pas que je me suis habitué, mais j’arrive à m’en détacher et à rester pleinement concentré. Ma famille m’a beaucoup aidé. »
Si le but est de décoder Frank Ntilikina, alors il faut connaître son parcours. D’où il vient. Né en Belgique de parents originaires du Rwanda, il a déménagé à Strasbourg avec sa mère et ses deux frangins à l’âge de trois ans. Ils ont occupé une place centrale dans son développement et c’est toujours le cas aujourd’hui. Sa maman leur a inculqué la valeur du travail. L’humilité. Elle les a élevés seule. Ses principes ont été repris à l’unisson par ses deux aînés, contraints de grandir vite, de sacrifier une partie de leur enfance et d’assumer tôt des responsabilités. Aujourd’hui, le plus âgé est chirurgien et le cadet, kiné, a ouvert son propre cabinet. Ils ont tracé le chemin à suivre pour leur petit frère.« Ma famille m’a donné toutes ces valeurs-là. Elle m’a beaucoup aidé à devenir la personne que je suis. Mes frères passaient leur bac quand j’avais six et huit ans. Je les voyais travailler. Pareil quand ils ont fait médecine. Ils passaient leur temps à bosser, à bosser et à bosser. Ma mère aussi.
Elle a fait pas mal de sacrifices pour bien nous élever et nous mettre dans de bonnes conditions. Donc forcément, j’ai grandi en voyant ça. C’est venu naturellement et j’ai pris goût au travail et ce que ça apporte en récompense. »
Travailler pour réussir. Travailler pour survivre. Cette passion pour le boulot se sent tellement chez lui qu’elle en devient presque palpable. Vincent Collet le définit comme un bosseur. Ses coéquipiers, passés ou actuels, aussi. Cette reconnaissance de ses coaches, de ses pairs, il en est fier. Même si cette fascination pour son aptitude à travailler dur lui échappe peut-être. C’est si naturel pour lui. C’est dans son ADN.« Franchement oui, j’aime bien apprendre. Surtout le basket, c’est ma passion. J’aimerais devenir un expert dans ce domaine. Dans le savoir du basket. Il y a une limite au corps humain, mais j’aimerais repousser mes limites et devenir le meilleur joueur que je puisse devenir. »
Aimer apprendre et progresser est une chose, s’en donner les moyens en est une autre. Il a eu la chance de pouvoir faire très tôt ses gammes auprès de joueurs expérimentés comme Antoine Diot ou Louis Campbell. Des mentors qui ont pris le relais de ses grands frères.« Il y a beaucoup de jeunes talents qui pensent qu’ils n’ont rien à apprendre des anciens. Frank, c’est le contraire », confiait Campbell, désormais au Paris-Levallois.
« Il va faire tout ce qui peut le faire progresser. Et il va le faire discrètement, en vous prenant à part sur le côté. Je pense que cela témoigne d’une grande maturité. »
L’objectif étant pour lui de devenir un basketteur plus fort et un homme plus accompli.« Avec Louis, c’est allé au-delà du basket. Il m’a aussi donné des conseils sur la vie et sur le travail mental. Une carrière, c’est long. Et lui, il a fait une carrière énorme. Ces trucs de préparation mentale que je regarde souvent grâce à lui, ça m’aide à me libérer. »
Parce qu’à dix-huit ans, il ne se contente pas de s’enfiler des séances de shoot, d’améliorer son dribble ou de se renforcer musculairement. Ce boulot, il le fait tous les jours. Mais il garde aussi l’esprit ouvert. Il prévoit par exemple d’engager un coach mental une fois de l’autre côté de l’Atlantique. Même ses méthodes d’entraînement sortent du cadre ordinaire.« Je fais un petit peu de yoga. Chez moi, devant YouTube. J’étais à un stage aux Etats-Unis et ils étaient à fond. On faisait du yoga avant tous les entraînements. Ça m’avait fait du bien. J’essaye de voir un petit peu plus loin. »
L’alimentation n’est pas non plus en reste. Des détails importants souvent négligés par les jeunes athlètes qui n’intègrent que bien plus tard ces notions. Pas lui.« Je fais confiance à ceux qui me disent que ça fonctionne. Scientifiquement, c’est prouvé que ça aide. »
Un raisonnement digne de son bac S obtenu à quelques dixièmes de la mention, malgré les contraintes de sa vie professionnelle.