« Là, il lui demande ce qu’il voulait le plus quand il était sous l’eau. Le gars lui répond qu’il voulait respirer. L’entraîneur lui dit alors que s’il veut réussir autant qu’il voulait survivre, il est sûr d’y arriver. »
Cette histoire, ce n’est pas la sienne. A peine revenu de sa séance de musculation, encore en survêt’, Frank Ntilikina raconte en détails ce speech du célèbre orateur américain Eric Thomas.« Je l’ai regardé pour la première fois quand j’avais douze ans. »
Douze ans. A cet âge-là, les gamins découvrent à peine les fractions et les nombres décimaux. Lui gagnait ses premiers duels balle en main contre ses grands frères de vingt-deux et vingt-quatre piges. L’esprit déjà intrigué par la réussite et les efforts qu’elle implique.« Cette vidéo m’a marqué. Tout est une question de volonté au final. Si l’on veut réussir autant que l’on veut survivre, forcément on va se donner les moyens de travailler. Travailler devient quelque chose de vital. Ça devient une passion. »
Les mots sortent de la bouche d’un jeune homme dont les traits fins témoignent de son passage tout récent à l’âge adulte. Mais son raisonnement est celui d’un individu mûr et réfléchi. Il sait où il veut aller. Et ça, ce contraste, c’est tout lui. C’est ce qui ressort immédiatement. Quand il parle, quand il se décrit et quand il expose ses ambitions. Ses qualités athlétiques sont mises en évidence sur un terrain. Elles tapent à l’œil. 1,96 m, un corps de plus en plus sculpté, de longs bras et une envergure qui avoisine les sept pieds (2,13 m, une mesure plus impressionnante que n’importe quel arrière NBA actuel). Mais ce n’est pas ce qu’Olivier Mazet, son agent, retient de leur première rencontre.« Ce qui m’a surpris au premier abord, c’est la maturité dont il faisait preuve par rapport à la détermination de ses objectifs, la planification de ce qu’il voulait faire et son réalisme par rapport à ce qu’il avait à faire pour y arriver. »
Son nom circulait déjà dans les petits papiers des recruteurs. Séduit par ses prestations lors du Jordan Brand Classic, Mazet a obtenu un entretien avec le joueur et sa famille.« A la sortie de cette réunion, je me suis dit qu’il avait non seulement le potentiel physique et technique, mais surtout qu’il était construit mentalement pour le très haut niveau. C’est vraiment ce qui m’a le plus frappé instantanément lorsque je l’ai vu pour la première fois. »
Jouer au basket est une passion. En faire son métier, un rêve pour beaucoup, devenu réalité pour certains. Mais adopter une attitude professionnelle à peine sorti de l’adolescence est une tâche délicate. Une exigence presque injuste tant elle paraît compliquée, même pour les jeunes les plus doués. La plupart des talents de demain étaient de passage à Toronto en février 2016. La ligue les avait réunis à l’occasion d’un camp Basketball Without Borders en marge du All-Star Game. L’entraînement ne débutait pas avant 9h30 du matin, mais la majeure partie des scouts était déjà dans la salle une heure avant le coup d’envoi de la séance. Les joueurs aussi. Chaussures pas encore lacées, ils s’amusaient à balancer des tirs impossibles du milieu du terrain. Posté dans un coin de la salle, l’un d’entre eux était déjà en tenue. Il répétait ses gammes de dribbles. Il s’est ensuite mis à shooter de près. Puis aux lancers-francs. Puis à trois-points. Il réglait la mire. Un dirigeant d’une franchise NBA s’est alors approché de la foule déjà présente, parmi laquelle se trouvait Olivier Mazet.« Il nous a dit ‘‘Vous voyez la différence avec ce gamin-là ? Il est prêt. Il est structuré pour le haut niveau. Il est déjà concentré.’’ Mentalement, tu sens que le mec sait où il veut aller. »
Ce gamin-là, c’était Frank Ntilikina.