Le bouc-émissaire tout désigné
En visionnant les matches du Heat, équipe souvent absorbée par l'omnipotence de LeBron James, les analystes et les supporteurs aiment désigner des bouc-émissaires (les "scape goat", comme on dit outre-Atlantique), des seconds couteaux ou role-players à qui on peut faire porter le bonnet d'âne si le triple-double du King ne suffit pas. Parfois, c'est le meneur Mario Chalmers (la cote de son back-up Norris Cole est bien meilleure). Récemment, Ray Allen et Shane Battier ont été pointés du doigt pour leur manque d'apport offensif, notamment derrière l'arc. Mais la palme revient à Chris Bosh. Parce que Chris Bosh, à Miami, c'est un peu M. Malaussène, ce personnage des livres de Daniel Pennac qui endosse avec talent tous les malheurs du monde, tantôt avec fatalisme, tantôt avec une légère dose de masochisme. Du haut de ses 29 ans, Bosh a beau sortir le discours du "J'ai confiance en moi et mes coéquipiers ont confiance en moi, tous les shoots que je prends, je m'attends à ce qu'ils rentrent" bla-bla-bla (de toute façon, il ne peut pas dire autre chose), comme il l'a servi après le match 1, les chiffres parlent en sa défaveur. Il n'est pas spécialement décisif, et ça ne date pas de dimanche, comme le raconte Jonathan Abrams, de Grantland, dans un article très fouillé intitulé "The Third Banana". Abrams y évoque notamment la genèse du personnage Bosh, ses passages à la Lincoln High School de Dallas et à Georgia Tech, ses saisons sans réel relief à Toronto, ses larmes contre Dallas, etc..."Les Spurs ont laissé Bosh "ouvert" de la même manière qu'on aurait pu attendre d'eux qu'ils laissent Joel Anthony ouvert (ancien titulaire du Heat)", résumait à merveille Sekou Smith, de NBA.com, dans un article intitulé "Bosh in need of redemption".Experts dans l'art de l'aide défensive millimétrée, les Spurs ont tout "simplement" agi de la même manière que les Pacers au tour précédent, profitant de la passivité actuelle de Chris Bosh pour barrer l'accès au cercle du duo d'impact James-Wade et coller les meilleurs shooteurs du Heat (Allen, Battier) derrière l'arc. Du 5 contre 4 défensif, en somme (John Schuhmann, de NBA.com, décrypte d'ailleurs très bien cela dans cet article sur la défense des Texans).
Chris Bosh tire à blanc
[superquote pos="d"]Dans ces playoffs, Bosh a pris plus de shoots "midrange" que de shoots près du cercle ![/superquote]Roy Hibbert n'est plus là pour déployer ses 218 cm devant Bosh, David West n'est plus là pour agiter ses biceps dans les côtes adverses, mais Bosh, plutôt que d'aller défier les intérieurs des Spurs, réputés pour plein de choses sauf pour leur densité physique et leur dureté outrancière, continue de s'écarter. Dans ces playoffs, Bosh a pris plus de shoots "midrange" que de shoots près du cercle ! Kirk Goldsberry, l'analyste du site Grantland, l'a parfaitement démontré avec ce "Shot-Charts" explicite. Sur la saison régulière, le 4ème pick de la draft 2003 n'avait tenté que 9 shoots depuis l'endroit d'où il a armé son geste jeudi soir, n'en convertissant que 2, et, pendant ces playoffs 2013, la même tendance s'est renforcé avec un score de 4/12. Qui sait ? Un jour, il shootera des vestiaires. Puis du parking. Puis de son canap'. Puis il ne shootera plus. On blague, mais on se demande bien quelle direction prend Bosh. En attendant, son clan éteint l'incendie."Chacun de nous doit trouver un moyen d'avoir de l'impact sur le terrain. Avec CB, on a beaucoup d'opportunités dans le peinture. On va devoir compter sur lui, on va avoir besoin de lui. Et s'il ne met pas un panier qui nous permet d'être efficace et d'avoir un impact sur le match, ça vient aussi de nous. Nous devons être prêts à faire ce sacrifice. Je ne pense pas que sa confiance a vacillé. Je me dis toujours que je peux lui rendre la tâche plus facile quand la balle arrive. Essayer de le faire rentrer un peu plus dans la peinture. (...) Lui redonner la balle sur pick-and-roll, afin qu'il obtienne quelque chose (un shoot, ndlr) de plus proche, ou quelque chose qu'il lui permette de "roller" vers le cercle et d'obtenir des paniers faciles."Le problème, justement, c'est que Bosh n'est pas tranchant dans l'exercice du "roll" : ce mouvement n'a constitué que 17,7% de ses possessions offensives en saison régulière, et il n'aura scoré que 1,17 point par possession dans ce domaine (le 26ème total NBA). Dans une autre vie, peut-être dans le monde des Bisounours, celui qui collait, gamin, des posters de Kevin Garnett et Tim Duncan dans sa chambre, a dû être ailier.
Un Big 3 moins 1
Il ne s'agit pas ici d'accabler Bosh, même si son manque de tranchant est souvent agaçant, compte tenu de son potentiel. Au Heat, il n'y a pas de coupable idéal. Si Bosh se distingue surtout par son absence, c'est aussi parce qu'il évolue dans une équipe où deux joueurs majeurs, LeBron James et - dans une moindre mesure - Dwyane Wade - monopolisent le ballon. Cela tend parfois à déresponsabiliser leurs partenaires, et il revient sans doute à Erik Spoelstra de rétablir l'équilibre offensif de son équipe. Difficile pour le Texan, dans ces conditions, de trouver son rôle dans le "Big 3" floridien (on notera que le Big 3 de San Antonio, lui, brille par la capacité de chacun de ses membres à connaître son rôle et ne pas empiéter sur le jeu de l'autre). Du coup, quand Wade, leader dans l'âme, semble bien déceler le moment où il doit prendre ses responsabilités, Bosh apparaît à contre-temps dans ses prises d'initiative. Et irrégulier (son cas rappelle d'ailleurs un peu celui de Carlos Boozer). Le dernier match d'impact de Bosh remonte au 10 mai, dans la demi-finale face aux Bulls : 20 points à 8/16, 19 rebonds (dont 5 offensifs) et 4 assists en 42 minutes. Du Bosh agressif, concerné, comme le Heat aimerait en voir plus souvent. [youtube hd="0"]http://www.youtube.com/watch?v=4IPk8zGR7f4[/youtube] [superquote pos="d"]Contre les Pacers, Bosh n'a pris que 26 de ses 69 shoots dans la peinture ![/superquote]Dans cette série, d'ailleurs, Bosh avait contribué à merveille au succès du Heat, se montrant présent sous le cercle (8,6 rbds) et rentrant ses shoots à mi-distance (13,6 pts à 50% au tir), ce qui permit aux siens d'écarter au maximum le guerrier Joakim Noah du cercle. De la à dire qu'en ce moment, il vit et meurt par le shoot ? On n'est pas loin de ça, et sa triste fin de série face à Indiana (37,7% au tir au total, les 4 derniers matches à moins de 10 pts) est l'une des explications du scénario alambiqué de la finale de conf'. Contre les Pacers, Bosh n'a pris que 26 de ses 69 shoots dans la peinture (!!!), et il n'aura converti que 11 d'entre eux (42,3%). Vraiment faiblard pour un pivot titulaire, même si, précisons-le, son goût prononcé pour les shoots extérieurs permet aussi d'ouvrir de formidables couloirs de drive pour LeBron et Wade, là où un pivot plus classique les "obligerait" à davantage scorer sur jump-shot. En fait, en ce moment, Bosh semble occupé à se tirer la bourre à trois points avec Ray Allen. [caption id="attachment_116598" align="alignleft" width="350"] Exclusif ! Chris Bosh avec les deux pieds dans la peinture ![/caption] L'an dernier, en playoffs, Bosh avait sorti un joli et précieux 7/13 (53,8%) derrière l'arc. Cette année, en saison régulière, il a noirci le trait de façon malvenue : 74 tentatives à trois points, "record" en carrière (contre 35 en 2011-2012), dont seulement 21 converties (28,4%). Bis repetita dans ces playoffs 2013, avec déjà 35 tirs à 3-pts tentés, pour 15 rentrés (42,9%). Bosh n'est pas Dirk Nowitzki, et actuellement, cette prise d'initiative pèse lourd pour le Heat, une équipe déjà en mal d'impact à l'intérieur. Au passage, signalons que l'autre Chris de l'équipe, Chris Andersen, est l'arbre qui cache la forêt. Anti-Bosh par excellence, dans le sens où son jeu est diamétralement opposé de celui de l'ex-(Veloci)Raptor, le "Birdman" permet au Heat de surnager dans la peinture, en coupant sur les percées de James and co (d'où son faramineux 41/51 au shoot - de près, exclusivement) et en se montrant agressif sous l'arceau (4 rbds en 15,3 minutes). Pendant ce temps-là, Bosh n'est pas présent à son poste, à savoir au... poste, un secteur-clef qui n'a représenté que 12,4% de ses possessions offensives en saison régulière (et seulement 0,88 points par possession sur ces phases-là - n°45 en NBA). Non, non, Bosh en est encore à se demander "quand shooter ou non" à trois-points.[superquote pos="d"]"Je suis sûr que Chris va trouver le moyen d'être Chris Bosh, celui auquel nous avons été habitués" Wade[/superquote]"Je suis sûr que Chris va trouver le moyen d'être Chris Bosh, celui auquel nous avons été habitués", assure Dwyane Wade dans les colonnes du Sun Sentinel. "Il est juste question pour lui d'essayer d'attaquer un peu différemment de l'année dernière et de l'année encore avant. Il est en train d'essayer de le comprendre. Je ne veux pas qu'il pense que sa façon d'être excellent, c'est juste de marquer. Chris peut faire tellement de choses différentes pour nous... Donc j'espère qu'il a effacé ça de son esprit (qu'il doit marquer pour briller, ndlr)."Touché à la cheville droite dans le 3ème quart-temps du match 4 face aux Pacers (cette blessure serait-elle à l'origine de son manque d'impact ?), Bosh devra être à 100% de son intensité cette nuit, car il est attendu au tournant dans un match 2 déjà capital pour Miami. On parle là d'un joueur huit fois All-Star, signé pour 109,83 millions sur 6 ans par le Heat (au passage, mention spéciale à son agent Henry Thomas, le même que D-Wade, pour ce coup de génie), et dont les 2 double-doubles en 17 matches de playoffs ne peuvent décemment pas contenter les dirigeants du champion en titre, qui veulent voir en lui une 3ème option offensive de poids. On serait tenté de dire qu'au regard des pépins physiques de Wade, le Heat aurait sûrement besoin de Chris Bosh comme d'une 2ème option offensive, juste derrière James. Quel Chris Bosh verra-t-on ce soir ? Celui que TP et CP3 se sont amusés à ridiculiser pendant le All-Star Game ou celui qui a un 20-10 dans chaque bras ? De la réponse dépendra une grande partie du sort de Miami. [youtube hd="0"]http://www.youtube.com/watch?v=NHE1KB1r0sY[/youtube]