18 ans, et une famille sur les épaules
Emmanuel Mudiay aurait pu dire oui à Larry Brown. Il aurait ainsi rejoint son frère chez les Mustangs de la South Methodist University. Empoché une bourse, joué en NCAA et confirmé peu à peu qu'il fait partie des prodiges du basket universitaire américain. Comme c'était écrit, le natif de Kinshasa, au Congo, aurait ensuite été drafté dans les trois premières positions. Mais arrêtons là l'uchronie : pour être certain de dire stop à des années de galères, Emmanuel Mudiay n'a pas choisi cette option.« Le meilleur moyen pour moi de subvenir aux besoin de mes proches est de ne pas aller à l'Université et de devenir immédiatement pro » a-t-il annoncé l'été dernier, stupéfiant bon nombre d'observateurs.Car malgré son jeune âge, Emmanuel Mudiay n'a pas la mémoire courte. Au contraire : il se souvient de cet exil du Congo vers les États-Unis à seulement 12 ans. Il se souvient des difficultés de sa mère, veuve depuis sa plus tendre enfance, pour élever les trois frères Mudiay, en pleine deuxième guerre du Congo, d'abord, puis de l'autre côté de l'océan Atlantique. Alors Emmanuel, le plus jeune de la fratrie, a décidé de mettre les siens à l'abri. Définitivement. Malgré l'appétit des scouts de tout le pays, il n'a pas osé prendre le risque de la NCAA. Pour éviter que le vent tourne, et qu'il n'ait plus jamais la chance de donner définitivement à sa famille les moyens de son existence. Résultat : le jeune Congolais a dit oui à la Chine, et aux Guangdong Southern Tigers, pour 1,2 millions de dollars l'année.
Un rêve éphémère
Novembre 2014. Emmanuel Mudayi fait ses premiers pas en Chine. Mais pas n'importe où : chez l'équipe la plus titrée du pays. Au bout de six matches, il tourne à 20 points, 6 passes et 6 rebonds par match. Mais, dans un championnat comme celui-ci, que valent ses statistiques ? C'est bien le problème que tentent de résoudre désormais certaines franchises NBA qui avaient depuis longtemps un œil sur lui. A ses côtés, un autre meneur qui, lui aussi, a suscité beaucoup d'espoirs. A 16 ans, des plumes d'ESPN et du New York Times se penchaient déjà sur le cas de Chen Jianghua. A 25 ans, ce n'est plus le cas. Le capitaine de l'équipe, Zhu Fanguy, pour lequel Mudiay s'est pris d'affection, le prenant pour son « grand frère chinois », est depuis quinze ans au club. Yi Jianlian, drafté par les Bucks en 6ème position en 2007, est l'un des seuls à lui remettre le parfum de la Grande Ligue dans le nez. Les parquets NBA sont loin. Et encore plus quand le jeune meneur se blesse à la cheville. Emmanuel Mudiay manquera trois mois de compétition. Trois mois durant lesquels il parcourra la Chine avec ses coéquipiers et le staff des Tigers. Mais sans jouer. Puis arrivent les playoffs. Son équipe est menée 2-0 lors de la demi-finale face aux Beijing Ducks. Un adversaire au sein duquel évolue un meneur qui, lui, a de la bouteille en NBA : Stephon Marbury. A 18 ans, Emmanuel effectue son retour à l'occasion du troisième match, déjà décisif, de la série. Le meneur semble avoir grossi, être fatigué. Sa performance du soir ? 17 points à la mi-temps, 21 à la fin du match, 8 rebonds, 4 assists et 2 interceptions. [youtube hd="1"]https://www.youtube.com/watch?v=k-tECb73B0k[/youtube] Emmanuel Mudiay brille, impressionne et son équipe s'impose. Le meneur se fait remarquer pour son jeu musclé et physique. Il fait parler son mètre 95 et ses 90 kilos. Récupère des rebonds, en attaque (un tiers), mais surtout en défense. Son jeu est déjà complet, et mature : Mudiay est à 34% de réussite à trois-points, perce les défenses par ses changements de vitesse, pénètre très bien dans la raquette, rentre des paniers à mi-distance quand ses coéquipiers lui en donnent la possibilité, et les fait briller. Comme lors de ce quatrième quart-temps, et cette action pendant laquelle il appelle ses deux intérieurs, puis embarque les deux défenseurs adverses à droite avant de distribuer un caviar à un coéquipier. [youtube hd="1"]https://www.youtube.com/watch?v=E2UhHyM7iwM[/youtube] Ses limites ? Certains fondamentaux, répondent les observateurs. Car certaines bases ne semblent pas encore acquises. Ce qui ne passe pas inaperçu, pour un joueur autant sous les projecteurs. Emmanuel affiche ainsi un faiblard 57% de réussite sur la ligne des lancers-francs. Il est même capable du pire dans cet exercice. La preuve.
Souvent impressionnant, parfois décevant, Emmanuel Mudiay dira adieu à la Chine lors du match suivant, perdu et synonyme d'élimination pour son équipe. Il n'aura disputé que douze rencontres avec les Tigers.
La fuite des prospects
Envoyer paître les plus grandes universités de NCAA pour évoluer bien loin des parquets NBA n'est pas une première. Brandon Jennings l'a fait, en rejoignant l'Italie. Jeremy Tyler, lui, l'a fait en Israël et au Japon. Deux joueurs qui auraient pu montrer l'exemple. Et être suivis, comme certains l'annonçaient, par bien d'autres. L'appât du gain aurait pu conduire à une véritable fuite des prospects. Mais ce ne fut pas le cas. Sauf qu'aujourd'hui encore, le parcours de Mudiay effraie.« Je n'aime pas le précédent que cela pourrait créer » avait ainsi fait entendre Larry Brown.Mais il ne fera pas mal à la machine NCAA. Non, le choix d'Emmanuel Mudiay ne peut faire mal qu'à une seule personne : lui-même. Mettant en péril son avenir dans la Grande Ligue. C'est le revers de la médaille que le meneur a accepté en prenant sa décision.