Ed O'Bannon aura laissé des traces dans l'histoire de la NCAA - puisqu'il faisait partie, et en était le meilleur joueur, de l'équipe des UCLA Bruins qui ont remporté le titre universitaire 1995 (89-78 contre l'Arkansas de Corliss Williamson) - beaucoup plus que dans celle de la NBA où il n'a joué que 128 matches entre 95 et 97 (sous les couleurs des Nets et des Mavs) pour des moyennes de 5 pts et 2,5 rbds en 16 minutes de jeu. Bref, si sa carrière professionnelle lui a permis de voyager énormément (Italie, Espagne, Grèce, Argentine, Pologne), c'est bien sous le maillot blanc, bleu et or de l'université mythique qu'il a vécu ses plus fameux jours de gloire. Son jersey frappé du #31 avait d'ailleurs été « retiré » dès 1996 et c'est en 2005 qu'il a été promu au UCLA Hall of Fame.
Mais si son nom revient dans l'actualité depuis déjà quelques années, c'est pour une toute autre histoire, puisque l'ex-intérieur est devenu la tête d'affiche de la fronde à l'égard de la NCAA et de sa main mise sur le trésor de guerre qu'elle accumule depuis des années sans en reverser un kopeck a ceux qui sont, finalement, le vrai fond de commerce de cette institution : les joueurs.
Le fond de l'affaire
Tout joueur évoluant en NCAA signe un « waiver » (un renoncement) de ses droits d'image et donne le droit à la NCAA de les exploiter. Néanmoins, en 2009, Ed O'Bannon a attaqué en justice la NCAA et la CLC (Collegiate Licensing Company, gérant cette image des joueurs universitaires) pour avoir utilisé la sienne dans des jeux, des programmes télévisés, des cartes de collections, etc..., arguant que l'utilisation de son image violait les lois anti-trust américaines, puisque le marché serait plus compétitif si les joueur pouvaient négocier leurs propres droits à l'image dont EA Sports, éditrice de ces mêmes jeux vidéos « NCAA Football / Basketball / Baseball », se servirait allègrement, en « collaboration » avec la NCAA et la CLC.
C'est d'ailleurs en jouant à NCAA Basketball chez un ami que le joueur a pu découvrir que le #31 des Bruins '95 lui ressemblait étrangement, mais qu'il n'avait pas touché d'argent pour cela. Lors des 4 dernières années, des légendes comme Bill Russell ou Oscar Robertson se sont jointes à cette action en justice d'Ed O'Bannon, mais c'est la plainte déposée par le quarterback Sam Keller (qui a joué à l'Université d'Arizona State et du Nebraska) qui a changé quelque peu la donne. En effet, en 2009 également, Keller a attaqué la NCAA et EA Sports sur les mêmes bases qu'O'Bannon, donnant ainsi du grain à moudre à la justice américaine quant au nombre de personnes qu'il faudrait éventuellement dédommager.
On peut également se rappeler le cas du “Fab Five”, l'une des équipes les plus charismatiques de l'histoire de la NCAA et dont les membres, comme Jalen Rose ou Chris Webber, n'ont jamais rien touché alors que l'Université de Michigan s'était engraissée sur leur dos, avec des t-shirts, droits TV et livres, narrant leurs aventures.
Les Class-Action, la question fondamentale
Une des particularités de la justice américaine est ce qu'on appelle les « Class Actions » (Actions de Groupe, célébrées dans certains grands films hollywoodiens et dont on a parlé récemment dans l'actualité française) qui permettent d'arriver en masse devant la justice face à ces grandes entreprises plutôt qu'en petits groupes disséminés, beaucoup plus faciles à manipuler pour les avocats adverses.
Le problème de ces Class Action, c'est qu'elles doivent être qualifiées ainsi par un juge, après présentation des arguments de chaque partie. C'était d'ailleurs l'un des intérêts de l'audience qui s'est tenue ce jeudi à San Francisco, dans le cadre du procès intenté par O'Bannon.
Les arguments
Ed O'Bannon arrivait face au juge avec quatre arguments à lui prouver, comme les a décrits l'excellent article sportivo-juridique de Sports Illustrated.
[superquote pos="d"]Ce pourrait être le point de départ d'un séisme pour la NCAA, une catastrophe se chiffrant en milliard de dollars[/superquote]En premier lieu, le « nombre » est un des plus logiques et l'un des points forts de O'Bannon, puisque le fait de juger cette affaire en une fois plutôt qu'en des dizaines de milliers de jugements individuels (le nombre de joueurs universitaires présents et passés qui pourraient être concernés) permettrait de ne pas noyer le système judiciaire américain avec ce problème.Ensuite, O'Bannon devra prouver l'aspect « égalitaire » de sa plainte, c'est à dire le fait que tous les plaignants ont tous soufferts de la même manière dans cette affaire. C'est un des points où la NCAA peut refaire son retard puisque l'institution peut arguer qu'elle a laissé un joueur comme Johnny Manziel (meilleur joueur universitaire de football de la saison dernière) déposer plainte pour fraude et garder tous ses droits, et l'argent allant avec, sur l'appellation « Johnny Football » (son surnom sous les couleurs de Texas A&M), alors que l'ancien Bruin veut prouver qu'aucune des personnes faisant partie de son action en justice n'a reçu de paiement de la part de la NCAA et qu'elles ont donc toutes subi le même type de dommage.
La « typicalité » est le 3ème point sur lequel O'Bannon a dû défendre le bien-fondé de la qualification de sa plainte en Class-Action, en prouvant que les plaignants donnant leur nom à l'action en justice ont subi le même type de dommages que tous les autres plaignants participant à cette Class Action. Comme pour l'aspect égalitaire, la NCAA possède ici un bel argument en avançant qu'un joueur comme Ed O'Bannon a sans doute été beaucoup plus « spolié » qu'un joueur anonyme d'une équipe quelconque de NCAA, par exemple.
Enfin, sur l'aspect « adéquation », O'Bannon aura dû prouver que les intérêts de tous les plaignants sont sur la même ligne et, encore, la ligne de défense de la NCAA aura été de relever les potentiels conflits d'intérêts entre les différents membres de la Class Action, entre des joueurs aux potentiels publicitaires immenses et des joueurs de bout du banc qui n'obtiendraient pratiquement rien en revenus publicitaires.
La juge Claudia Wilken, en charge de l'affaire et de la classification, aura seulement entendu les arguments de chacun ce jeudi et ne délivrera son avis sur la qualification ou non de la plainte en Class Action que dans les prochaines semaines, mais cette décision pourrait être le point de départ d'un séisme pour la NCAA, une catastrophe se chiffrant en milliard de dollars.
Les retombées éventuelles
Ce sont un peu des éventualités à tiroir qui sont devant la justice américaine, O'Bannon et la NCAA. Certaines seraient franchement favorables à l'institution tandis que d'autres sonneraient peut-être la fin de l'amateurisme des joueurs universitaires, soit une petite révolution.
Première possibilité : la juge rejette la qualification en Class Action.
Il y aurait alors sûrement une petite fête du côté de la NCAA, digne de ce qui s'est passé dans les vestiaires du Heat la nuit dernière. Les plaintes devant la justice devraient alors rester individuelles et leur nombre, ainsi que les éventuels montants pour compenser ceux qui gagneraient leurs procès, resterait tout à fait dans les cordes de la NCAA .
Deuxième possibilité : la juge ne qualifie qu'une partie de la plainte d'Ed O'Bannon en Class Action, en n'y incluant que les anciens joueurs.
[superquote pos="d"]Ce serait peut-être la fin de l'amateurisme en NCAA[/superquote]Les éventuels dommages financiers seraient déjà beaucoup plus importants pour l'institution universitaire et l'on se dirigerait alors vers un accord négocié entre les anciens joueurs et la NCAA qui possède un trésor de guerre conséquent pour parer à ce cas spécifique. L'accord ou le jugement en cas de procès, mettrait fin à toute cette histoire et la NCAA ne serait plus embêtée avec ces droits à l'image. EA Sports, de son côté, a déjà commencé à prendre les devants puisque les 1400 anciens joueurs figurant dans l'édition 2014 de NCAA Football ont tous reçu un petit chèque de compensation de la part de la firme de Redwood (Californie).
Troisième possibilité : la juge qualifie de Class Action la plainte d'Ed O'Bannon et y inclue les joueurs actuels.
Les avocats (et les banquiers) de la NCAA tireraient franchement la gueule, tel un Tim Duncan loupant un hook-shot à un mètre du cercle face à Shane Battier. L'inclusion des joueurs actuels mettrait au centre du pot tous les contrats TV mirobolants signés par la NCAA, qu'ils soient ceux du basket (rien que celui signé avec CBS pour les droits sur 14 ans de retransmission de la March Madness se monte à 11 milliards de dollars) ou du foot (bien que ceux-ci se signent de plus en plus souvent directement entre universités et grandes chaines américaines, les Conférences signent toujours avec la NCAA).
[caption id="attachment_117313" align="alignright" width="200"] Le president de la NCAA, Mark Emmert, pourrait se faire du souci dans les prochaines semaines[/caption]Ici, vu les conséquences financières désastreuses et l'attitude très pédante de la NCAA vis-à-vis des plaignants dans le passé, il se pourrait qu'aucun accord négocié ne voit le jour, ces mêmes plaignants demandant sûrement des sommes insensées aux yeux de l'institution. Un économiste de Stanford, qui soutient la cause d'Ed O'Bannon, Roger Noll, a témoigné dans de nombreuses affaires de droit du travail sportif et pense que les athlètes devraient avoir droit à 50% du montant de ces droits TV, montant divisé équitablement entre tous les athlètes.
La NCAA tenterait donc sûrement sa chance devant la cour de justice américaine en espérant une victoire en première instance ou en appel avec, face à elle, des milliers de joueurs.
Elle pourrait aussi essayer de trouver un accord (les avis divergent entre analystes), vu le nombre de plaignants qui pourraient être concernés. En effet, la procédure aurait ceci de particulier que les joueurs qui ne voudraient pas participer à cette Class Action devraient se “dédouaner” officiellement de la procédure d'O'Bannon, pour garder leur droits légaux. S'ils ne le faisaient pas, en tant qu'anciens membres de la NCAA, ils seraient automatiquement inclus dans cette Class-Action.D'après l'analyste juridique de Sports Illustrated, la NCAA pourrait alors tenter de régler l'affaire O'Bannon en compensant les anciens joueurs mais également en ouvrant un fond, géré par une société tiers, qui garantirait une partie du magot aux joueurs actuels et futurs. Les modalités seraient alors à analyser mais ce serait la fin effective de l'amateurisme du sport NCAA.
Finalement, lorsque l'on considère l'argent que les universités perçoivent, que les coaches gagnent tandis que les athlètes doivent se contenter d'être compensés en “ayant la garantie de pouvoir poursuivre des études gratuitement”, ne serait-ce pas la surtout la fin d'une hypocrisie?