« Je ne suis pas censé être ici. » Posé dans un parking, à l’intérieur de sa voiture, Dejounte Murray raconte son histoire au journaliste Chris Haynes. Par « ici », il veut dire en NBA. En tant que joueur professionnel. Ou peut-être même juste en vie.
Son parcours ne lui prédestinait pas un avenir dans la plus grande ligue du monde. Des millions, peut-être. Mais alors ceux de la drogue. L’argent sale. Un passé sombre aux débouchés souvent les mêmes : la mort ou la prison. Quatre murs ou quatre planches.
« J’étais actif dans la rue dès mes 11 ans. Et quand je dis ‘actif’, je ne parle pas juste de traîner dans le corner. Tout le monde connaissait mon nom dans le block », confie le meneur des San Antonio Spurs.
Dejounte Murray, prince de la rue
Une manière discrète d’avouer que le natif de Seattle pesait dans le trafic. « Baby boy », un surnom trompeur pour celui qui, bien qu’entouré de jeunes plus âgés que lui, prenait déjà des décisions dans la street. C’était ça, son monde. Bien loin de la NBA et de la gloire.
« En fait, ça a commencé bien avant. J’ai été baigné là-dedans. Ma mère faisait des allers-retours en prison. Je connaissais déjà toutes les drogues à quatre ou cinq ans. »
Les ficelles du métier. De son futur métier. Comment se concentrer sur l’école ou bien même la balle orange quand il y a des dollars à amasser ? Une logique qui a animé Murray pendant toute son enfance. Et même une partie de son adolescence. Pourtant, il était doué balle en main. Il le savait. Tout le monde le savait dans le coin.
Au point où son nom est arrivé jusqu’aux oreilles de Jamal Crawford. Le vétéran NBA, véritable icône du basket à Seattle, évoluait dans le même lycée, Ranier Beach High School, des années plus tôt.
Dejounte Murray, pourquoi les Spurs ont fait le bon choix
Mais c’est justement via le biais de contacts en commun, et à force qu’on lui répète que le jeune « Baby boy » était un crack en puissance, que Crawford a finalement rencontré le prodige. Ce jour-là, Dejounte a planté 40 points. Encensé par « J-Crossover » il… s’en contrefichait. Parce qu’il y avait la rue. Encore. Toujours. Et la suite habituelle, c’est donc l’incarcération. Il n’y a pas échappé.
Jamal Crawford comme sauveur
Malgré les SMS constants de Crawford, qui l’incitait à « arrêter ses conneries et à tout faire pour aller en NBA », Dejounte Murray a fini par plonger. Heureusement, il était encore très jeune. Bien plus jeune que ses acolytes qui ont pris des peines exemplaires. Cinq ans. Dix ans. Quinze ans. Et pour lui ? Un mois. Un mois en prison pour mineurs.
Une fois sorti, son groupe de potes était éparpillé dans les établissements pénitenciers de l’état. Difficile de traîner dans ces conditions. Surtout que les mots de son nouveau mentor commençaient à résonner de plus en plus forts dans sa tête.
« Après avoir passé un mois dans une prison pour mineurs, je suis rentré à la maison et je voulais vraiment changer de vie. Je n’ai jamais regardé derrière moi par la suite. Je n’ai plus jamais été impliqué dans aucune histoire. »
Quitter les affaires n’est jamais facile. Le poids des regards et du quartier peut peser. Mais il était déjà trop respecté. Et ses collègues avaient conscience de son potentiel. Et comprenait donc sa décision. Il était temps qu’il vole de ses propres ailes, vers un futur moins incertain. Mais ça a tout de même été compliqué pour lui. De se refaire une vie. De se reconstruire des habitudes, complètement différentes.
« C’était difficile pour moi parce que je n’avais jamais été exposé à autre chose que la drogue, le deal et les toxicos. »
Rattrapé par le ghetto le soir de la draft
Débarquer à l’université, à Washington, était déjà une victoire. Une réussite rare vu son secteur d’origine. Aucun membre de sa famille n’a terminé le lycée par exemple. Tout le reste, c’est que du bonus. Mais Dejounte Murray s’est tenu à ses engagements. En s’appliquant. En bossant dur. Et en se distinguant lors de son unique saison en NCAA.
16 points, 6 rebonds et plus de 4 passes. Très solide pour un freshman. De quoi attirer l’œil des recruteurs. Un tel potentiel, c’est quasiment l’assurance d’être drafté dans les dix ou quinze premiers. Avant que son passé ne le rattrape à toute vitesse.
« Plusieurs équipes m’ont promis de me prendre dans la loterie. Puis le jour arrive et je commence à être jugé pour ce que j’ai fait à 13, 14 ou 15 ans. »
Murray serait affilié à un gang. Une rumeur qui fait chuter sa cote. Mais de toute façon, peu importe quelle équipe le choisissait. Du moment qu’il se retrouvait dans une bonne situation. C’est tout ce qui comptait pour lui.
« J’étais reconnaissant d’être pioché. J’étais heureux qu’une équipe croie en moi et ne me juge pas. Les Spurs ont vu un jeune qui avait besoin d’être guidé, qui a besoin d’aide et qui a besoin qu’on lui donne une chance. »
Cette chance, il l’a saisie. Il s’est donné l’opportunité de quitter le ghetto. Il l’a fait. Depuis, il bosse dur. Il s’arrache en défense. Il progresse saison après saison, même si une grave blessure a ralenti son évolution au point d'être devenu All-Star avec les Spurs. Dejounte Murray est maintenant considéré comme l’un des piliers des ambitions d'Atlanta et aucun obstacle ne devrait plus l'empêcher de devenir une référence en NBA.