David Stern, le Règne Man
On n’orchestre pas une telle révolution en faisant plaisir à tout le monde et en cédant aux moindres objections. On n’a pas non plus les résultats qu’il a eus en faisant toujours les choses proprement. En trente ans, Stern a eu plus d’une occasion de se salir les mains et l’a généralement fait dans l’ombre, sans laisser de traces. Mandaté par les propriétaires de la ligue pour rentabiliser au maximum leur investissement, il le fait à merveille. Et souvent en cachant derrière son sourire la manière forte. Politicien habile, négociateur féroce, il a longtemps réussi à déjouer les revendications gênantes de ses joueurs (notamment en 1995 lorsque Jordan et Pat Ewing, poussés par David Falk, ont menacé de « décertifier » le syndicat des joueurs pour provoquer une grève) ou de ses arbitres (l’année suivante), avant de voir son entêtement lui revenir en pleine face lors des deux lockouts qui ont terni son règne. Soucieux de la valeur de ses franchises, il n’a jamais hésité à se réfugier derrière une mauvaise foi monumentale pour favoriser une vente ou un déménagement plus profitable. Comme en 1983, où pour inciter Gordon Gund à racheter les Cavs, il a offert des choix supplémentaires pour les quatre drafts suivantes pour compenser ceux que le propriétaire précédent, Ted Stepien, avait stupidement échangés. Ou lors du déménagement des Sonics à Oklahoma City.« On passe tellement de temps à encourager les équipes et à investir dans la communauté », déclare-t-il dans Money Players. « Si vous dites ‘‘Ok, c’est fini, on s’en va dans un autre marché’’, alors votre engagement sonne faux. Je préfère garder le propriétaire responsable dans son marché que d’accuser les fans. »Une belle déclaration qu’il a sûrement aussi faite à Vancouver et à Charlotte, et qu’il a répétée de nombreuses fois lors des rumeurs de départ des Sonics, alors que les éléments qui montrent que le déménagement du futur Thunder à OKC était approuvé et orchestré par Stern lui-même pendant qu’il mentait copieusement aux nombreux et fidèles fans de Seattle. Ce que l’épisode Sonics a rappelé, c’est que David Stern est passé maître dans l’art de donner à l’Amérique puritaine ce qu’elle veut. Elle trouve qu’il y a trop de drogue ? On lui met en place des mesures de façade qui ne dissuaderont jamais personne mais qui feront l’objet d’un beau communiqué de presse. Elle estime qu’Allen Iverson n’est pas un bon modèle pour ses chérubins ? On lui concocte un joli « dress code ». Elle est outrée d’assister à des rencontres de plus en plus physiques ? On met tout en œuvre pour lisser le jeu au maximum, quitte à sacrifier une bonne dose d’intensité au passage. Ceux qui suivaient déjà la NBA avant toutes ces mesures cosmétiques ont toutes les raisons de crier au travestissement. Mais cette évolution vers un produit toujours plus grand public n’est-elle pas inévitable pour une marque qui doit aujourd’hui alimenter un marché mondial ? N’est-ce pas finalement un signe que David Stern, en trente ans d’une carrière superbement remplie, a peut-être trop bien fait son travail ? Peut-on alors vraiment le lui reprocher ? On avait de plus en plus l’impression qu’il n’arrivait plus à communiquer avec la génération LeBron et que le despote éclairé s’était mué en tyran. Il n’en est rien. David Stern est moins tyran que prophète. Sa vision a pris corps. Il nous la laisse. David Stern est mort, la NBA pleure son ancien boss