La bonne étoile de David
La fameuse draft 84. Olajuwon, Jordan, Barkley, Stockton. Le meilleur pivot des années 90, l’arrière que beaucoup considèrent comme étant le meilleur joueur de tous les temps, la plus grande gueule des trente dernières années, et le meilleur passeur et intercepteur de l’histoire, rien que ça. Une génération magnifique, mais surtout magnifiée par la présence de Jordan. David Falk (son agent), Nike et Stern vont faire de lui le sportif le plus connu et admiré de la planète. Et MJ va leur faciliter la tâche en enchaînant cartons et coups de génie dans un mélange fabuleusement télégénique de grâce, de vitesse, de puissance et d’arrogance. Jordan arrive dans un timing idéal. Magic et Bird ont déjà fait le sale boulot de redonner crédibilité et panache à une ligue qui vient de passer plus de trente piges à se contenter de survivre. Stern et la NBA ont une bonne étoile qui veille sur eux et qui leur amène l’indispensable : du talent. Et du talent qui a la tête sur les épaules ou finit par l’avoir. Isiah Thomas est déjà l’un des meilleurs joueurs de la ligue, Clyde Drexler commence à s’imposer, Pat Ewing est le premier choix indiscutable de la prochaine draft, Chris Mullin est le digne successeur de Bird auprès de l’Amérique blanche, Dominique Wilkins martyrise déjà les cercles, tandis que les vénérables anciens Julius Erving et Kareem Abdul-Jabbar, rares vestiges sortis indemnes des années 70, sont là pour passer le flambeau à la nouvelle génération. Avec tout ce talent sous la main, Stern se lance à corps perdu dans le marketing. Pour vendre sa ligue, il veut vendre ses stars. Magic et Bird sont les premiers basketteurs à intéresser réellement les grandes marques nationales et à montrer un certain potentiel commercial. Jordan va cueillir leurs fruits grâce au génie de Falk et à l’agressivité de Nike, qui jette toutes ses forces dans la bataille pour se relancer. Le coup de chance, c’est que ses deux meilleurs joueurs brillent dans les deux meilleures équipes et que Magic est un publicitaire né, au point de faire de son rival un personnage vendeur bien malgré lui. Celtics et Lakers se partagent tous les titres des années 80, sauf ceux de 1983 (Sixers) et 1989 (Pistons). L’avènement des Bad Boys et de leur jeu vicieux inquiète Stern, mais Jordan balaie toutes ses craintes. Jusqu’à sa première retraite, la ligue est sur un nuage : les joueurs qui ont le plus de potentiel marketing sont ceux qui remportent des titres. Pour fabriquer des superstars, c’est la recette gagnante. Mais pas la seule.« J’ai toujours pensé qu’en matière de basket, le commissioner était quelqu’un qui privilégiait le style à la substance et qui pensait que le meilleur moyen de vendre la NBA était de promouvoir des stars ou des individus plutôt que des équipes », déplore Wayne Embry, un ancien All-Star et dirigeant qui a passé 48 ans dans la ligue, dans son livre The Inside Game. « Plus il y a de dunks sur ESPN, mieux c’est. (…) Stern a transformé les joueurs en ‘‘entertainers’’ plutôt qu’en compétiteurs. (…) Résultat, beaucoup des soi-disant ‘‘stars’’ de la ligue viennent d’équipes pourries et plusieurs d’entre elles ont été complètement fabriquées. »Embry ne mâche pas ses mots, mais ses critiques sont fréquentes chez les puristes qui déplorent la mise en avant de l’individu au détriment du collectif. David Stern peut être accusé de tout cela, mais c’est précisément ce qui a permis à la NBA de promouvoir son jeu spectaculaire dans le monde entier. Sa vision part d’un constat simple : le gros avantage qu’a la NBA sur ses ligues rivales (NFL, MLB et NHL), c’est que le basket est un sport pratiqué et populaire dans le monde entier. Il va donc tout faire pour vendre sa ligue à l’étranger autant qu’aux États-Unis, pour solidifier sa position domestique grâce à ses profits internationaux. Il parvient ainsi à vendre des droits de diffusion TV en Italie, puis un peu partout en Europe. Il rencontre Borislav Stankovic, patron de la FIBA, et organise avec lui les premières rencontres amicales entre équipes NBA et européennes, à Milwaukee, où l’URSS affronte les Bucks en 1987. Il se bat en coulisses pour envoyer ses stars aux Jeux Olympiques et finit par voler la vedette à ceux de Barcelone avec la Dream Team. Dream Team : comment la meilleure équipe de l’histoire a été construite Il est également l’un des premiers à s’intéresser à la Chine, allant même jusqu’à offrir gracieusement à la télé chinoise une retransmission hebdomadaire en 1990. La même année, Phoenix et Utah jouent le premier match de présaison en dehors des frontières américaines, à Tokyo. Même dans un pays pourtant passionné de baseball, les deux matches se jouent à guichets fermés. La NBA a tellement bien fait son travail que ses joueurs sont des stars partout dans le monde. Magic, Bird et Jordan éblouissent rapidement la planète et poussent des millions de jeunes vers le basket. En France comme ailleurs, la NBA est partout, même sur des paquets de céréales. Derrière cette expansion invraisemblable se cache la main ferme de David Stern.