David Blatt : « Le jeu NBA est terriblement ennuyeux »
Pour marquer l'arrivée en NBA d'un des meilleurs coaches européens de ces 10 dernières années, nous avons fouillé dans nos archives pour ressortir cet entretien exclusif que nous avait accordé David Blatt.
A l’Euro 2007, alors que la sélection russe dont il avait la charge entamait son incroyable marche vers le titre, David Blatt nous avait complètement bluffés. Pas seulement par l’excellence de son coaching – après tout, ses résultats avec le Maccabi, Saint-Pétersbourg ou Trévise étaient déjà suffisamment éloquents – ou par la façon dont il est parvenu à blinder le mental souvent défaillant d’AK47 et de ses partenaires en les trempant dans le Styx ou dans un bain d’adamantium, mais surtout par sa personnalité et son charisme. Derrière son regard sombre et ses coups de gueule, David Blatt camouffle un sens de la répartie et un humour cinglant, une ouverture d’esprit et un franc-parler qui détonnent dans l’univers de plus en plus politiquement correct et aseptisé du sport professionnel. Diplômé en littérature de l’Université de Princeton, champion d’Europe, sélectionneur national de la Russie, champion Euroleague, néo-entraîneur d’Efes Pilsen, on en passe et des meilleurs, cet Américano-israélien de 48 ans a déjà un CV aussi hétéroclite et chargé qu’un album de Madlib ou qu’un film de David Lynch. Pas étonnant qu’on ait voulu en savoir plus… Propos recueillis par Théophile Haumesser REVERSE : Après un été aussi riche en émotions, comment vous sentez-vous ? David Blatt : Très vite, il m'a fallu mettre tout ça de côté pour me concentrer sur mon nouveau travail et sur le nouveau défi qui m'attend cette saison avec Efes Pilsen. Le métier de coach n'est pas de tout repos et, quand tu travailles d'un bout à l'autre de l'année, sans pouvoir faire de véritable break, comme ça été le cas pour moi ces dernières saisons, c'est assez lourd à gérer. Mentalement, physiquement et émotionnellement, tu dois sans arrêt repousser tes limites, ce qui n'a rien d'évident. Mais je suis très heureux d'être là où je suis aujourd'hui, à Istanbul, après deux saisons très enrichissantes à Trévise. Je suis encore en train de m'adapter : nouvelle situation, nouvelle ville, nouvelle culture et nouvelle équipe. Mais ça va se faire tranquillement, je ne m'en fais pas. REVERSE : D'où vous vient cet amour pour le basket ? DB : Humm, bonne question... (Il réfléchit) Vous savez, j'étais un très jeune gamin, un garçon de six sept ans, quand mon père est parti de la maison. Dans ce type de situation, un enfant a besoin de pouvoir s'agripper à quelque chose et pour moi ça a été le sport. Je passais tout mon temps dehors à jouer et le ballon est devenu mon ami, en quelque sorte. J'étais à fond dans tous les sports, basket, foot US, baseball, j'ai même un peu joué au hockey. Alors que je m'apprêtais à entrer en high-school, j'ai été repéré sur un playground par Phil Moresi, l'entraîneur du lycée –la personne qui a eu le plus d'influence sur ma vision du basket –, il m'a dit que j'avais suffisamment de talent pour intégrer l'équipe mais que si je voulais le faire, il fallait que je me fasse couper les cheveux, que je portais très longs à l'époque. Après réflexion, je me suis dit que je préférais jouer au basket plutôt que de garder mes tifs (rires). J'ai donc pris rendez-vous chez le coiffeur et je me suis pointé à l'entraînement à la rentrée. Ça a été la meilleure décision que j'ai prise de ma vie ! J'ai eu une très belle carrière au lycée et coach Moresi est devenu mon mentor, la figure paternelle qui me manquait. Il m'a appris à comprendre ce jeu, à le respecter et à l'aimer. REVERSE : Quel genre de joueur étiez-vous ? DB : Au lycée, j'étais vraiment fort, l'un des meilleurs joueurs de mon état et peut-être l'un des meilleurs meneurs du pays. Ensuite, j'ai choisi d'aller à l'université de Princeton parce que, pour moi, c'était la meilleure combinaison possible entre l'excellence académique et la solidité du programme sportif. J'étais un bon joueur universitaire, mais pas un « grand » joueur. C'est d'ailleurs souvent le cas avec les joueurs issus de cette faculté. On y met beaucoup l'accent sur le jeu collectif et la compréhension globale du basket, plutôt que sur le succès ou les récompenses individuelles. Par la suite, j'ai joué professionnellement pendant douze ans en Israël. A ce niveau, j'étais un joueur solide, mais pas exceptionnel. REVERSE : Vous êtes né à Boston et vous avez grandi dans le Massachusetts à une période où les Celtics étaient la meilleure équipe au monde. Quel impact est-ce que ça a eu sur vous ? [superquote pos="d"]"J'étais un très grand fan des Celtics. Bill Russell était mon héros !"[/superquote]DB : Depuis l'âge de huit ans, je me mettais au lit chaque soir avec une petite radio portable et j'écoutais les matches. J'ai fait ça pendant des années et des années. J'étais un très grand fan des Celtics. Bill Russell était mon héros ! Un joueur d'équipe qui savait comment on doit jouer ce jeu pour gagner. Je suis sûr que je pourrais vous en dire plus sur les Celtics que n'importe quelle autre personne de votre connaissance (rires). REVERSE : Red Auerbach était un personnage légendaire, est-ce qu'il a été une source d'inspiration pour vous ? DB : Pas vraiment, parce qu'à cette époque, je n'étais pas encore intéressé par l'aspect coaching. J'étais encore concentré sur les joueurs et sur ce qui se passait sur le parquer. Ce n'est que plus tard que j'ai commencé à réaliser l'importance que Red avait eu sur cette franchise. Plus je grandissais, plus j'en apprenais sur l'histoire des Celtics et plus je commençais à m'intéresser à son impact sur le jeu. Par la suite, quand j'ai commencé à entraîner moi-même, je me suis encore plus documenté sur lui et je suis devenu très admiratif de ce qu'il est parvenu à accomplir. REVERSE : A Princeton, vous avez joué sous les ordres de Pete Carrill, qui est notamment célèbre pour sa fameuse "Princeton offence". Comment est-ce que c'était de jouer pour lui ? DB : C'était à la fois un vrai challenge et une expérience extrêmement stimulante, parce qu'il possède une incroyable connaissance du jeu. Mais c'était aussi très dur, Pete Carrill n'était pas un entraîneur facile à satisfaire. Du point de vue du coaching, j'ai appris énormément de lui. Des choses que j'ai apprises à son contact, il y en a beaucoup que j'utilise encore aujourd'hui mais aussi beaucoup d'autres dont je ne me sers pas. J'ai beaucoup de respect pour lui, mais il y a certains aspects de sa méthodologie et de sa façon de traiter les joueurs avec lesquels je n'étais pas forcément d'accord et que je ne reproduis pas avec les équipes que j'entraîne. REVERSE : Après la fac, vous êtes partis en Israël pour y devenir joueur professionnel. Ça a dû être un choc culturel, sur le parquet comme en dehors... DB : J'y étais déjà allé un été, deux ans avant d'obtenir mon diplôme, mais c'est sûr que de partir m'y installer et d'être payé pour jouer au basket, pour la première fois de ma vie, et de découvrir une nouvelle culture, ça a été un gros changement. Mais j'ai adoré ça ! J'ai toujours aimé voyager et découvrir de nouvelles choses. REVERSE : A quel moment avez-vous commencé à penser sérieusement à entraîner ? DB : Je crois que, lorsque la plupart des personnes qui ont eu une forte influence sur votre vie sont soit des coaches, soit des enseignants, ça finit forcément par déteindre sur vous. Au départ, je ne pensais pas particulièrement devenir entraîneur, mais durant toute ma carrière de joueur, j'ai constamment entraîné à côté des équipes de jeunes du club, et même, à la fin, une équipe professionnelle de filles. Pour moi, c'était aussi le moyen de gagner un peu plus d'argent, vu que mon salaire n'était pas extraordinaire (il se marre). Ces douze années durant lesquelles je jouais et je coachais en même temps m'ont fait réaliser que c'était quelque chose qui pourrais me convenir et dans lequel je pourrais m'épanouir. [caption id="attachment_166775" align="alignleft" width="350"] Cette année, David Blatt a permis au Maccabi Tel Aviv de remporter un nouveau titre de Champion d'Euroleague.[/caption] REVERSE : En tant que head-coach, vous aviez déjà connu pas mal de succès avec Galili Elyon, pourquoi avoir ensuite choisi de redevenir simple assistant auprès de Pini Gershon, au Maccabi ? DB : Vous savez, dans la vie, il faut parfois faire un pas de côté ou un pas en arrière pour ensuite pouvoir faire un grand bon vers l'avant. Grâce à ce que j'avais accompli avec Galili, il était probable que j'en viendrais un jour à coacher le Maccabi. Mais plutôt que de me confier directement les rênes de l'équipe, le club préférait que je vienne d'abord en tant qu'assistant pour me familiariser avec leur culture du jeu. Pour moi, c'était une superbe occasion d'intégrer un programme aussi ambitieux que celui-ci, de pouvoir travailler avec l'élite des joueurs européens et avec un staff très expérimenté. Je connaissais déjà très bien Pini parce que j'avais joué pour lui auparavant et je savais qu'il me donnerait beaucoup de responsabilités, de pouvoir et de flexibilité pour travailler avec l'équipe, que ce soit au niveau du recrutement, de l'élaboration technique du jeu ou de la mise en place des entraînements. Je savais que ça ne serait pas une perte de temps et qu'un poste plus important m'attendait au bout du compte. C'est ce qui m'a poussé à accepter cette offre. REVERSE : Lorsque Pini a quitté le Maccabi, vous avez coaché l'équipe pendant deux saisons. Puis il est revenu et vous êtes à nouveau devenu son assistant. Ça n'a pas dû être facile à accepter... DB : Effectivement, ça a été dur. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que Pini est une véritable légende au Maccabi. Il y avait pas mal de choses qui se tramaient en coulisses et j'ai plus ou moins été mis devant le fait accompli, sans avoir trop de solutions de rechange. Il était trop tard pour trouver un autre club et, après avoir été le head-coach pendant deux ans, je savais très bien que je ne redeviendrais pas un « simple » assistant et que, à part pour les matches, je pourrais gérer l'essentiel du coaching. Donc je savais qu'au jour le jour je ne souffrirais pas trop de cette situation. En plus, le Final Four était à Tel Aviv cette année-là... Vu le salaire et la sécurité que j'avais au Maccabi, c'était plus sûr, pour moi comme pour ma famille, de rester encore un an. Et grand bien m'en a pris puisque la saison s'est très bien passée et que nous avons gagné une autre Euroleague. Malgré le coup porté à mon égo, j'ai beaucoup apprécié cette année d'un point de vue professionnel et humain. Il y avait une très bonne ambiance dans le groupe, j'étais très proches des joueurs puisque c'était moi qui avait fait venir la plupart d'entre eux. Ça a été dur au début, mais au bout du compte ça valait de coup. REVERSE : Comment est-ce que vous vous partagiez le travail avec Pini ? DB : On travaillait la main dans la main sur tout ! On a parfois entendu dire que je m'occupais de l'attaque et lui de la défense, ou l'inverse, mais c'est faux. Au bout du compte, c'est le head-coach qui prend la décision finale, mais c'était vraiment un travail d'équipe. Aucun autre assistant au monde n'a eu autant de responsabilités que moi cette année-là (rires). REVERSE : Justement, on a parfois entendu dire que c'était vous qui aviez mis au point la fameuse défense de zone match-up qui a tant profité au Maccabi. C'est donc faux ? DB : Ce ne serait pas juste de m'en attribuer tout le mérite. C'est une chose que nous avons élaboré à deux. REVERSE : Cette équipe du Maccabi était vraiment extraordinaire avec Jasikevicius, Anthony Parker, Vujcic etc. Comment était l'ambiance au sein du groupe ? DB : Ce qui était vraiment formidable avec cette équipe, c'est qu'elle était composée de grands basketteurs, mais également de gens extraordinaire sur le plan humain. On avait d'ailleurs mis l'accent là-dessus au moment du recrutement, parce qu'on sentait que ce serait une des clefs pour atteindre nos objectifs. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ça a payé ses fruits parce que, non seulement nous avons pu gagner tous ces titres et développer un jeu magnifique, mais en plus nous avons vraiment passé du bon temps ensemble. Au jour le jour, c'était un vrai plaisir de travailler avec ces mecs-là. REVERSE : Jasikevicius est un sacré personnage. C'est comment de coacher un type comme lui ? DB : C'est vraiment un mec à part et c'est également quelqu'un qui te met constamment au défi. En plus d'être un grand joueur, il a une connaissance et une compréhension très pointue du jeu et il s'attend à être bien coaché et de la bonne façon. Et puis il a aussi ses hauts et ses bas dans son approche des entraînements. Mais ce qui en fait un joueur aussi spécial, c'est que c'est un véritable battant et qu'il comprend ce que ça demande de gagner. Et il s'attend à ce que tout le monde autour de lui le comprenne également et fasse le maximum pour y parvenir. C'était vraiment quelque chose d'unique de travailler au quotidien avec lui. [caption id="attachment_81626" align="alignright" width="300"] Rares sont les coaches qui savent autant tirer de leurs joueurs que David Blatt.[/caption] REVERSE : Avant de devenir entraîneur de l'équipe nationale russe, vous avez longtemps été assistant de la sélection nationale israélienne. Traditionnellement, les équipes israéliennes ne lâchent jamais un match alors que les Russes ont la réputation de manquer de concentration lors des matches clefs. A quel point est-ce que ces facteurs ont conditionné votre approche du coaching de ces deux équipes ? DB : Je pense tout d'abord que votre analyse est assez juste. Au sujet de l'équipe russe, vous parliez de manque de concentration, mais je pense surtout qu'elle avait la réputation de baisser les bras et d'abandonner. Or c'est justement la première chose sur laquelle j'ai voulu travailler lorsque j'ai pris la place d'entraîneur national. Avec mon staff, nous avions comme objectif d'instiller une nouvelle mentalité à ce groupe, basée sur l'engagement personnel et l'abnégation, afin de pouvoir porter l'équipe vers les buts que nous nous étions fixés. C'est une position sur laquelle nous avons refusé de transiger. Nous étions bien décidés à ne rien accepter de moins qu'un engagement total et irrévocable. Les joueurs qui étaient prêts à accepter ça étaient les bienvenus... et les autres pouvaient rester chez eux. L'idée était de créer une culture de la victoire et de l'alimenter jour après jour. REVERSE : Avec le recul, quel impact a eu la défaite de la Russie face à la Belgique, durant les qualiffs pour l'Euro ? DB : Pour nous, ça a été un moment décisif ! Avant de participer à l'Euro, il nous avait fallu passer par les qualifications, et ça, sans Kirilenko. Nous étions encore en pleine mutation et, après avoir remporté notre premier match à la maison, nous sommes partis en Belgique et nous avons perdu de 11 points. En plus d'avoir mal joué et d'avoir dû nous passer de Khryapa qui était blessé, ce qui m'a fait peur c'est que j'ai revu certains signes qui caractérisaient cette équipe par le passé : un certain individualisme et un manque de combativité. Dans les vestiaires, j'ai été très dur avec les joueurs et je les ai vraiment mis au défi de me prouver qu'ils étaient plus forts que ça et de me montrer ce qu'ils avaient vraiment dans le ventre. La réaction de l'équipe a été magnifique puisque nous avons gagné tous nos autres matches et que nous sommes sortis premiers de notre groupe. Durant toute l'année, je suis resté en contact avec les joueurs, pour suivre leur évolution avec leurs équipes respectives et pour les informer de ce que nous voulions mettre au point avec l'équipe nationale. Cet été, Kirilenko nous a rejoints et ça nous permis de hausser notre niveau de jeu de façon significative. Comme il connaissait déjà ses partenaires, sa période d'adaptation n'a pas été trop douloureuse. Nous avons pu reprendre notre travail et continuer à nous concentrer sur l'attitude de l'équipe et sur le fait d'oublier les récompenses et les distinctions individuelles. Petit à petit, à mesure que nous avons réalisé que notre valeur commune était supérieure à la simple addition de nos forces, notre collectif s'est renforcé et nous sommes devenus une très bonne équipe de basket, qui sait comment gagner. REVERSE : L'autre match clef pour vous, a été le quart-de-finale face à la France. Je sais que vous en aviez marre d'entendre que la Russie ne parvenait jamais à dépasser ce stade, est-ce que vous avez noté un changement d'attitude au sein de l'équipe après être finalement parvenus à vous qualifier pour les demi-finales ? DB : Avant d'en venir à ce match, j'aimerais revenir sur un autre facteur clef de notre développement : le match amical perdu face à la France juste avant la compétition. Nous avons été très mauvais et nous avions perdu de 36 points, après avoir joué deux très bons matches. Pour moi, c'était comme une réédition du match face à la Belgique et j'ai à nouveau été obligé de mettre mes joueurs face à leurs responsabilités et à leur remettre la pression. Une fois encore, ils ont parfaitement réagi, puisque la semaine suivante, nous sommes partis en Allemagne pour un autre tournoi, très relevé, que nous avons dominé. Tout ça nous a permis d'arriver à l'EuroBasket avec un très bon état d'esprit et une notion très forte de qui nous étions en tant qu'équipe et de la façon dont nous voulions jouer. Grâce à cela, nous avons su gérer notre premier match du tournoi face à la Serbie, qui, avant qu'elle ne parte en vrille, était quand même une équipe avec pas mal de ressources. On ne savait pas trop à quoi s'attendre de leur part et nous avons très bien joué, avant d'enchaîner avec une magnifique prestation face à l'Israël et une belle victoire contre la Grèce, les champions en titre. Du coup, au moment de jouer la France, je pense que nous étions résolument prêts à vaincre la malédiction des quarts-de-finales. Émotionnellement et physiquement nous étions au point. Même si ce match n'était pas facile à négocier, ce qui était sûr, c'est que nous n'allions pas abandonné. Quoi qu'il arrive, nous étions prêts à batailler jusqu'au bout et à faire ce qu'il fallait pour l'emporter... et c'est exactement ce que nous avons fait. Ce n'est jamais facile de passer un quart de finale, parce qu'à ce stade de la compétition, il ne reste que de bonnes équipes. Mais c'est évident qu'après avoir réussi à passer ce tour, nous avions beaucoup moins de pression sur les épaules. REVERSE : Vos trois derniers matches du tournoi (France, Lituanie et Espagne) ont tous été très serrés et, à chaque fois, c'était comme si vous preniez systématiquement la décision adéquate et que vos joueurs exécutaient chacune de vos instructions à la perfection... DB : (Il coupe) C'était quelque chose d'assez exceptionnel, c'est vrai. REVERSE : Est-ce que vous avez eu la sensation que vous étiez infaillible, un peu comme lorsqu'un joueur rentre « dans la zone » et que chaque nouveau tir qu'il prend lui donne l'impression de jeter des pierres dans l'océan ? DB : Non pas vraiment. Mais je vais être honnête avec vous et c'est vrai que, quand je regarde ces matches maintenant, connaissant la façon dont un match de basket peut facilement déraper, c'est assez stupéfiant de voir que chacun de nos ajustements et chaque décision que nous avons prises a marché à la perfection. Il y en a quand même certaines qui n'ont pas eu les effets que nous voulions, mais dans leur grande majorité, ça a payé. Vous savez, beaucoup de gens croient à la chance, mais pas moi. Je pense que la chance n'est rien d'autre que la rencontre entre une préparation et une opportunité. De toute évidence, nous avions fait le travail nécessaire en amont pour faire face aux opportunités qui se présenteraient à nous. Nous nous étions entraînés de façon très sérieuse et professionnelle, nous étions arrivés à un point où nous avions totalement confiance dans nos capacités à nous adapter à n'importe quelle situation, que nous l'ayons déjà rencontrée auparavant ou non. REVERSE : Quand vous arrivez dans une nouvelle équipe, comment procédez-vous ? Est-ce que vous suivez toujours la même philosophie de jeu ou est-ce que tout dépend du talent des joueurs dont vous disposez et de la façon dont vous pouvez en tirer le maximum ? DB : J'ai toujours une idée très précise de la façon dont j'aime faire jouer mes équipes et, dans le cas de la Russie, j'étais persuadé qu'elle serait compatible avec cette formation. Beaucoup de gens pensaient qu'il me serait impossible de reproduire ce que j'avais réussi à mettre en place avec mes équipes précédentes, mais moi j'étais convaincu du contraire. J'ai sans doute plus cru dans mes joueurs et dans leurs capacités de compréhension du basket que de nombreux observateurs. Plus important encore, j'étais persuadé qu'il était encore possible de leur apprendre à se transformer en véritable équipe et à devenir des battants, et pas seulement à rester un amalgame de talents. Quand tu prends en main un nouveau groupe, tu as déjà une part du jeu de prête dans ta tête. Après, le plus gros du travail, c'est de faire adhérer les joueur à cette idée et à leur enseigner une nouvelle façon de procéder. Mais tu ne peux pas non plus plaquer complètement un calque sur n'importe quel groupe. Tu dois toujours faire des ajustements, pour que ton jeu colle comme du sur mesure à la physionomie de ton équipe. Je me souviens par exemple que, durant la préparation, Kirilenko et Khryapa sont venus me voir pour me demander d'incorporer deux trois nouvelles choses dans le schéma offensif, pour les aider à être plus efficaces. Et j'ai fait des ajustements en me basant là-dessus. Le coach ne sait pas toujours tout, il doit aussi savoir être à l'écoute. [superquote pos="d"]"Le star-système pousse les coaches, les équipes et même les arbitres à satisfaire les moindres demandes de quelques joueurs au lieu de défendre le concept de jeu collectif"[/superquote]REVERSE : Avec Efes, vous avez récemment joué contre les Timberwolves. En tant que coach, que pensez-vous du jeu NBA ? DB : Je pense que le jeu européen et les règlements FIBA sont bien plus intéressants que ceux de la NBA. L'accent est beaucoup plus mis sur le jeu collectif, les mouvements de ballon et de joueurs, sur la résolution de problèmes et sur le besoin de faire des ajustements. A part les quelques équipes qui jouent « à l'européenne », je trouve le jeu NBA terriblement ennuyeux. Les règles NBA étouffent trop le jeu. REVERSE : Quelles sont les règles qui vous déplaisent le plus ? DB : Tout d'abord, je trouve que les considérations marketing aseptisent bien trop le jeu dans son ensemble. Il y a par exemple beaucoup trop de temps-morts. Ensuite, je pense que la règle des trois secondes en défense est très mauvaise, parce qu'elle réduit considérablement la palette des stratégies défensives. Du coup, le jeu offensif en devient encore plus statique et chiant, parce que tu n'as pas besoin de chercher de solutions pour résoudre les problèmes que te pose la défense. C'est pour ça qu'il y a autant d'isolations et de pick-and-rolls. Enfin, je pense profondément que cette organisation basée sur le star-système pousse les coaches, les équipes et même les arbitres à satisfaire les moindres demandes de quelques joueurs au lieu de défendre le concept de jeu collectif. REVERSE : Maintenant qu'il y a de plus en plus de joueurs européens et même quelques GM qui partent en NBA, est-ce que vous pensez que ça peut changer ? DB : Je ne sais pas si ça suffira pour faire changer les règles, malheureusement. Mais le jeu a déjà énormément changé sous l'impulsion des joueurs européens et aussi parce que les coaches NBA s'inspirent de plus en plus de ce qui se fait ici, surtout depuis que les grandes compétitions internationales ne sont plus dominées par les USA. REVERSE : Depuis le titre européen, avez-vous été à nouveau approché par des équipes NBA ? DB : Pas plus qu'avant, personne ne m'a encore offert un poste de head-coach. En même temps, qui ferait ça au moins de septembre (rires) ? REVERSE : Malgré tout, est-ce que c'est quelque chose qui pourrait vous intéresser ? DB : Si quelqu'un me proposait un gros poste à responsabilité, bien sûr, mais en attendant, je suis très heureux là où je suis aujourd'hui. REVERSE : Avec la sélection russe, la prochaine échéance désormais ce sera les Jeux Olympiques. Qu'est-ce que ça représente pour vous ? DB : Tout d'abord, le fait qu'un Américano-israélien, juif, qui a grandit durant la guerre froide, soit aujourd'hui l'entraîneur de l'équipe nationale de Russie, c'est déjà très ironique et ça remet sacrément les choses en perspective, d'un point de vue historique. Dans le monde où nous vivons, je trouve ça très positif et je suis extrêmement fier de ça. Tout comme je suis très fier d'avoir l'occasion de représenter trois nations différentes aux Jeux Olympiques – l'Amérique, Israël et la Russie – tout ça grâce au sport que j'aime. J'ai déjà hâte d'y être !
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