Darryl Dawkins, notre entretien avec le regretté « Chocolate Thunder »

Joueur et personnage "plus grand que la vie", Darryl Dawkins, qui aurait dû fêter ses 65 ans aujourd'hui, était un être à part. Voici l'entretien qu'il nous avait accordé à l'automne 2008.

Darryl Dawkins, notre entretien avec le regretté « Chocolate Thunder »
Darryl Dawkins, disparu en 2015, aurait dû fêter ses 65 ans aujourd'hui. Star NBA et dunkeur fantasmagorique, "Chocolate Thunder" a marqué les esprits dans les années 70 et 80. On avait eu la chance de pouvoir l'interviewer pour REVERSE en 2008. Propos recueillis par Jean-Sébastien Blondel et Julien Deschuyteneer dans REVERSE #19 « Vous les gars de Paris, vous rendez beaucoup de femmes folles, non ? » Darryl Dawkins a toujours tout fait dans l’excès : de ses dunks fracassants à son autobiographie croustillante, de sa tchatche inimitable à ses costards hallucinants, de la planète Lovetron (temple de l’amour et du sexe sur lequel il régnait en maître) à sa passion pour les enfants. Parce que dans ce corps de colosse se cache un cœur énorme, le joueur le plus inoubliable à n’avoir jamais été All-Star consacre un temps considérable aux actions de sensibilisation menées par la NBA. Présent à Paris dans le cadre du programme NBA Cares, vêtu d’un costard jaune tacheté mythique lors du match Nets – Heat de Bercy, ce personnage aussi charismatique en dehors du terrain qu’il n’était surpuissant balle en main a eu la gentillesse de se poser quelques instants pour se raconter. Quand Darryl Dawkins plantait 26 pts aux Lakers en Finales NBA

Drafté juste après le lycée

[superquote pos="d"]"Je me suis cassé le dos deux fois, je me suis fracturé la cheville, l’épaule, le poignet et le bras"[/superquote] « Passer pro à 18 ans ? Si c’était à refaire, je le referais. J’ai 10 frères et sœurs. Mon père vivait à New York, nous à Orlando. Et je savais que je devais être l’homme de la maison, parce que sinon mes frères et sœurs ne verraient jamais l’intérieur d’une université. J’ai permis à 5 de mes frères et sœurs d’aller à la fac, et j’ai pu aider mon frère à construire une église. C’est important d’aller à l’université, parce que s’il vous arrive quelque chose, vous pouvez toujours vous appuyer sur votre éducation. Les choses ne se passent pas aussi bien pour d’autres qu’elle ne se sont passées pour Darryl Dawkins. Ça a marché pour moi. Je me suis cassé le dos deux fois, je me suis fracturé la cheville, l’épaule, le poignet, le bras, et pourtant je me suis moins blessé que quiconque ayant joué 21 ans. Je dis aux jeunes de privilégier leur éducation, parce qu’une de ces blessures aurait pu mettre fin à ma carrière.  Mais j’étais si jeune et inconscient, je jouais avec mon cœur, je jouais à fond tout le temps. Je pense que la moitié des gars ne voulaient pas défendre sur moi parce qu’ils se disaient : « Si tu lui rentres dedans, il va te rentrer dedans encore plus fort » (il se marre). J’étais comme les joueurs de foot américain, ça ne me dérangeait pas de me faire mal tant que je pouvais arrêter le gars d’en face ».

Des débuts difficiles

« Tu sais ce que c’est… C’était dur (de ne pas beaucoup jouer) parce qu’on a toujours tendance à penser qu’on est aussi bon que le mec d’à côté. Et souvent tu te dis que tu es meilleur que lui. Et même les spectateurs commencent à s’en rendre compte. Le public criait « Darryl ! Darryl ! », il voulait me voir sur le terrain à la place de l’autre. C’était dur d’avoir du temps de jeu, parce que quand tu rentrais, à la moindre erreur, le coach (Gene Shue - ndlr) te sortait. Alors que les vétérans pouvaient faire trois ou quatre erreurs et rester sur le terrain. Quand il me faisait rentrer, le coach me disait toujours : « Fais quelque chose, force-moi à te laisser jouer ». Même si je ne jouais pas beaucoup au début, je n’ai jamais perdu confiance parce que Gene Shue me disait que j’avais le niveau, et qu’il fallait juste que j’ai vraiment envie de jouer. Il me disait : « Tu ne peux pas faire le clown tout le temps, tu dois vouloir jouer ». Alors je me suis mis à m’entraîner après les entraînements avec les mecs qui posaient le parquet du Spectrum (l’ancienne salle des 76ers). On allait aussi jouer au centre communautaire juif. World B. Free et moi, on jouait tout le temps. Et quand un mec se met à jouer tout le temps, il devient plutôt bon ! Vous pouvez aller à des milliards de camps, faire des milliards de choses, si vous ne jouez pas, vous ne serez jamais bon ».

Un pro à part

[superquote pos="d"]"Je voulais dunker dans tous les sens, prendre tous les rebonds et faire ce que les intérieurs ne faisaient pas à l’époque."[/superquote] Dès le début, quand je rentrais, je voulais dunker dans tous les sens, je voulais prendre tous les rebonds, et je voulais faire ce que les intérieurs ne faisaient pas à l’époque : courir, finir les contre-attaques. Dès que je prenais le rebond, je donnais le ballon, je partais devant et je finissais par un dunk, et les gars appréciaient. J’aime faire les choses différemment. Je prenais des tirs à 6 mètres, Gene Shue se mettait à hurler, et « swish ! ». J’ai toujours pris du plaisir. Tout n’est pas marrant dans la vie, mais j’essaie de la rendre la plus fun possible. Quand des gars qui jouaient il y a quelques années commençaient à se plaindre, je leur disais toujours : « Vous êtes fous ? Vous êtes payés pour faire quelque chose que vous aimez ! » C’est toujours comme ça que j’ai vu les choses. Quand on a perdu ces trois finales (1977, 1980 et 1982), j’ai été beaucoup montré du doigt. Les gens disaient sûrement que j’aurais pu en faire plus, mais ça ne m’a pas dérangé parce que je savais que j’avais fait tout ce que je pouvais. Quand les Sixers ont gagné en 1983 après mon transfert, je suis retourné à Philadelphia et j’ai bu le champagne avec eux. J’avais toujours des amis dans l’équipe. Tu sais, beaucoup de joueurs, quand ils perdent, ne veulent jamais revenir. Moi, j’ai continué à traîner avec eux. C’était la différence entre moi et beaucoup d’autres mecs. Je revenais et je m’amusais toujours. Philly est d’ailleurs encore une des mes villes préférées. J’habite juste à côté. Ma fille aînée vient d’obtenir son diplôme de Temple. Et je ne peux pas imaginer quitter la ville parce qu’ailleurs je ne trouverai jamais un aussi bon cheesecake ! (rires)

Les gars qui l'ont marqué

« Le joueur sur lequel j’avais le plus de mal à défendre était sans aucun doute Bob Lanier. Lanier faisait 2,13 m et chaussait du 56. En plus il était gaucher et pouvait tirer de près comme de loin, et tu ne pouvais tout simplement pas savoir de quel côté il allait aller. Bob Lanier avait un bouton sur le côté, et quand il appuyait dessus son derrière s’élargissait, et tu ne pouvais plus en faire le tour ! (Tout le monde éclate de rire) C’était le mec le plus difficile à jouer. Je n’ai jamais eu autant de mal avec qui que ce soit d’autre. Kareem Abdul-Jabbar n’aimait pas le contact. Quand j’ai découvert ça, je me suis mis à lui mettre des coups tout le temps. Mais Bob Lanier était incroyable. Les deux mecs avec qui je me suis le plus amusé sont World B. Free et Bobby Jones. Bobby Jones était le premier chrétien que je rencontrais dans le sport pro. Des fois, je lui disais des trucs comme : « Désolé Bobby, je t’emmerde, je vais lui dégommer la tête », et il me répondait : « Je pense que sur ce coup tu te trompes, tu lui dois des excuses ». Et je lui répondais : « Bobby ! Je vais te défoncer mec ! ». Et il me disait : « Je me fous de ce que tu peux me faire, je pense que tu lui dois des excuses ». Je le respectais et je l’aimais pour ça. World B. Free, c’était mon frère. Il pouvait rater 9 tirs de suite, et là il te passait la balle et te disait : « Rends-la moi, je suis chaud ! ». Comment ça tu veux que je te la repasse ? Tu viens de rater neuf tirs ! Et il répondait : « Celui-là, il est dedans ». Si tu la lui donnais, il le mettait. J’ai pris beaucoup de plaisir à jouer avec ces deux-là. Beaucoup. Et à New Jersey, on avait un gars qui avait des tas de problèmes avec la drogue. Il s’appelait Michael Ray Richardson. J’adorais jouer avec lui. Il pouvait tirer, il pouvait distribuer, il jouait dur, et il savait quand il avait dépassé les bornes. Quand il avait mis un coup à un mec balèze, il venait me voir pour me dire : « Darryl, je ne sais pas si je peux le battre. Quoi que tu commandes ce soir dans ta chambre, c’est moi qui régale. Mais ne le laisse pas m’avoir ! » Alors j’allais voir le gars et je lui disais de se calmer. Mais il était fantastique. Il avait des années d’avance sur son temps. Il mettait 30 points à Magic, puis en collait 35 à Isiah, 30 à George Gervin, et on ne le voyait plus pendant deux semaines. Quand il revenait de désintox, il mettait tout le monde dans le vent. (Impressionné) 15 jours de cure ! Il arrivait dans le gymnase et disait : (imitant le bégaiement de Sugar Ray) « Quelqu’un doit partir et quelqu’un doit rester… et tu as plus une tête à partir que moi, donc je vais prendre ton job ! » (Rires) Et c’est exactement ce qu’il faisait ».

David Stern et l'évolution de la NBA

[superquote pos="d"]"Si tu as trois chances et que tu déconnes deux fois, que tu sais qu’à la prochaine tu dégages"[/superquote] « Quand David Stern est arrivé, il a fait de la NBA un spectacle familial et international. Les familles et les enfants ont commencé à venir aux matches, et il a réussi à atteindre des gens du monde entier pour renforcer le basketball aux quatre coins de la planète. Larry O’Brien (le prédécesseur de Stern - ndlr) voyait les choses différemment. Stern a réalisé qu’il pouvait faire tout ça, et une fois qu’il l’a fait c’était facile pour certains de dire qu’ils auraient pu y penser. Personne ne l’a fait à part lui. Et il s’est engagé auprès de nous en le faisant. David Stern a nettoyé la ligue, il n’y a pas d’autre façon de le dire. Il a fait comprendre aux joueurs qu’au troisième avertissement ils seraient bannis. Dès lors on n’a eu d’autre choix que de faire attention à ce qu’on faisait. Jusque-là, les joueurs qui faisaient des conneries s’en sortaient. Mais Stern leur a fait comprendre que s’ils ne jouaient pas selon les règles, ils ne joueraient plus jamais dans la ligue. Je ne pense pas qu’il ait été trop dur avec nous. Chaque fois qu’un gars fait une connerie, il sait qu’il fait une connerie ! Si tu as trois chances et que tu déconnes deux fois, que tu sais qu’à la prochaine connerie tu dégages, et que tu recommences… C’est là que David Stern arrive et te dit au revoir ».

L’entertainer de la planète Lovetron

La différence entre les dunks d’aujourd’hui et les nôtres, c’est que nous on voulait dunker sur quelqu’un. Je trouve que les gars maintenant font surtout des dunks acrobatiques. Moi je voulais dunker sur tout le monde. Tu montes au dunk et il y a quatre gars qui attendent pour te contrer, alors tu leur dunkes dessus et tu leur dis : « Ça, c’était le left handed spine chiller supreme ! » Et les mecs se disent que tu es fou ! J’avais plein de noms pour mes dunks, comme le Chocolate Thunder Flying, le Glass Flying, le Robinsine Crying, le Babies Crying, le Glass Still Flying, le Catch Crap, le Rump Roasting, le Bun Toasting, le Wham-Bam-I-Am-Jam, qui avait explosé le plexi. J’avais une grosse imagination… (il sourit) J’avais par exemple créé la planète Lovetron dans mon esprit quand je devais avoir dix ans. J’étais le Roi de cet endroit, car, vous savez, il n’y avait pas beaucoup de gars sur cette planète, juste moi et les filles. Donc c’était ma propre planète, à un million de milliards d’années-lumières d’ici. Et dès que mes coéquipiers ne savaient pas où j’étais, si j’avais raté un entraînement par exemple et qu’ils me demandaient où j’étais, je leur disais « J’étais sur Lovetron. » Alors ils disaient « Ah ok, il était encore avec ses femmes… » Mais c’était juste pour amener du divertissement. Certains disaient que je prenais de la drogue, d’autres que j’étais fou. Mais il y en avait suffisamment pour dire « Hey, il est dingue, mais, mec, je l’aime ! » et c’est tout ce qui comptait. Car les gens veulent juste être divertis. Le seul gars aujourd’hui qui pourrait faire les choses que je faisais, c’est Shaq. Il est tellement costaud, il peut faire ce qu’il veut, dunker sur qui il veut. Et puis il apporte une bonne dose d’humour dans la ligue, sans être grossier. Je pense que cette année on verra de plus en plus ce genre de comportement, parce que ça fait partie du show. Tout le monde vient au match pour s’éclater. Quand un joueur se jette dans les tribunes, atterrit sur une fille et lui renverse son popcorn, la fille ne pleure pas, elle s’amuse ! Les gens veulent faire partie du spectacle. »